Entre autres récompenses, Le Grand silence a décroché en 2006 le Prix spécial du Jury au Festival de Sundance ainsi que le Prix du Meilleur documentaire aux European Films Awards.
Le cinéaste précise ses intentions à propos d'un film qu'il définit comme une "expérience" : "Le projet initial a été écrit en 1984. Je l'ai relu avec une vision nouvelle lorsque le monastère m'a contacté en 1999. Un film qui reflèterait les origines archaïques, le fondement même de notre culture. Et surtout la conformité entre le contenu et la forme. Ici, cela semblait possible. Possible de créer le monastère lui-même pour 160 minutes à l'intérieur du spectateur. Faire un film qui serait une expérience. Un objet dans le temps (...) Le film montre le changement du temps, des saisons et les éléments du quotidien sans cesse répétés. Des visages. Un monde très physique (une tranche de pomme, des repas apportés en cellule...). Des moines qui prient. Le monde physique et la réclusion loin du monde. Vingt et un ans après ma première idée, j'ai terminé ma méditation cinématique,un voyage à travers 160 minutes de silence presque absolu."
Philip Gröning a choisi de s'intéresser à la communauté du Monastère de la Grande Chartreuse, dans les Alpes grenobloises. Cet ermitage voué à la contemplation fut fondé en 1084 par Saint-Bruno. Les coutumes réglant la vie des Chartreux furent mises par écrit par Guigues en 1127. Le Saint-Siège reconnut en 1133 le nouvel ordre des Ermites chartreux. Si l'Ordre a compté 150 maisons en Europe en 1371, nombre d'entre elles disparurent à la suite des Guerres de Religion et de la Révolution. Depuis la renaissance de l'Ordre en 1816, on compte environ 30 Chartreuses. Dans un monastère, chacun des pères chartreux vit dans sa cellule, dont il ne sort que pour se rendre à la messe chaque jour (même si la vie communautaire est plus développée les dimanches et jours de fête). A côté des pères cohabitent les frères, qui mènent également des vies de solitaires, mais doivent aussi s'occuper au quotidien des tâches matérielles.
Le Grand silence est signé Philip Gröning, déjà auteur de trois longs métrages de fiction, inédits en France, Sommer (1988), Die Terroristen ! (1992) et L'Amour, l'argent, l'amour (2000), et d'une poignée de documentaires. Né à Düsseldorf en 1959, il a passé une partie de son enfance aux Etats-Unis, voyagé en Amérique du Sud, étudié la médecine et la psychologie avant de s'inscrire à l'Ecole de cinéma de Munich.
Philip Gröning a vécu parmi les chartreux pendant plusieurs mois. "J'ai tout fait seul : j'étais derrière la caméra, j'ai enregistré le son, j'ai porté 20 kilos de matériel", précise-t-il. Il tournait 49 minutes (la durée d'une cassette) par jour, et a fini par obtenir ainsi 120 heures de pellicule à la fin du séjour. Pour respecter l'atmosphère du Monastère, il s'est efforcé de rester le plus silencieux possible, ce qui n'est pas forcément évident : "Au début du tournage, le plus difficile a été de contrôler le bruit que je faisais moi-même", confie-t-il. "Dans le silence ambiant, tout déplacement ou grincement de matériel semblait démesuré. J'avais même du mal à supporter le bruit insupportable du mouvement de tissu de ma veste.
Philip Gröning évoque les contraintes inhérentes à son projet : "J'ai eu l'occasion de vivre dans le monastère pendant presque 6 mois. Pendant ce temps, j'ai pu vivre dans une cellule comme un moine. Je devais partager la vie des moines. La Grande Chartreuse ne m'a imposé aucune condition excepté les suivantes : pas de lumière artificielle, pas de musique additionnelle, pas de commentaires, pas d'équipe technique, je devais être seul. Ces conditions correspondaient exactement à mon concept originel et donc, aucune restriction ne me fut imposée."
Le cinéaste ne prétend pas tout dire sur le quotidien des chartreux, son objectif est tout autre : "Mon film n'a pas la réponse à toutes les questions", reconnaît-il. "S'il suscite l'intérêt du spectateur, celui-ci pourra surfer sur internet et faire ses propres recherches. Aujourd'hui, on croule sous l'information. Ce qui manque, et c'est ce que chacun doit trouver par lui-même, c'est la signification des choses. Mon film veut également être un film sur le spectateur lui-même, sur ses perceptions, ses pensées. Il devrait se concentrer sur lui-même. C'est également un film sur la contemplation." C'est aussi pour cette raison qu'il n'a pas souhaité ajouter de commentaires : "On ne peut pas utiliser le langage pour décrire un monde qui évolue aussi loin des mécanismes du langage. Les moines s'évertuent à approfondir leur connaissance des choses. Je ne peux que souhaiter que le spectateur expérimente également la même chose. Mais ça ne peut pas fonctionner si j'offre des explications à tout ce qu'il voit."
Le cinéaste justifie l'emploi de nombreux cartons au cours du film : "Les seuls éléments de langage, mis à part les moments sous-titrés pendant lesquels les moines se parlent entre eux, comme pendant la marche ou la réunion hebdomadaire, sont des cartons. La version longue du film contient plusieurs cartons. Le texte de ces cartons est répété à l'identique. Dans la vie d'un moine contemplatif, les prières et les psaumes réapparaissent sans arrêt... pendant toute sa vie. Je suis donc intimement persuadé que la répétition des cartons est la seule méthode pour s'approcher de la vie des Chartreux. La contemplation d'une nouvelle vie qui pourtant reste toujours la même. Tout comme la prière qui prendra un autre sens au long de la vie du moine, en prenant une signification plus profonde, perdant son sens puis le retrouvant, ces cartons provoqueront un effet semblable chez le spectateur. Une compréhension par la répétition."