Persepolis, premier film de Marjane Satrapi et de Vincent Paronnaud, a été présenté en Compétition au 60e Festival de Cannes, où il a remporté le Prix du Jury. Une récompense partagée avec Lumière silencieuse de Carlos Reygadas.
Persepolis est l'adaptation sur grand écran des quatre albums de bande dessinée homonymes écrits et dessinés par Marjane Satrapi. L'histoire de ces albums est directement inspirée de la jeunesse de la dessinatrice. Celle-ci avoue qu'au moment de l'écriture des livres, il a été difficile pour elle de se rappeler seize ans de vie, "avec tout ce que vous voulez forcément enfouir, oublier".
Dès la parution des albums Persepolis, et suite à leur incroyable succès, Marjane Satrapi a reçu plusieurs propositions d'adaptation dont deux venues des Etats-Unis, après la sortie des albums outre-Atlantique. Ainsi, la dessinatrice affirme "On m'a proposé d'en faire une série à la Beverly Hills ou un film avec Jennifer Lopez dans le rôle de ma mère et Brad Pitt dans celui de mon père, ou quelque chose comme ça ! C'était tout et n'importe quoi."
En discutant avec Vincent Paronnaud, Marjane Satrapi a réalisé que le projet d'adaptation sur grand écran de Persepolis était la possibilité d'entreprendre quelque chose de nouveau qu'elle n'avait encore jamais tenté. "Ce qui m'intéresse le plus dans la vie, c'est d'apprendre, de tenter de nouvelles expériences. En fait, après avoir fait des bandes dessinées, des livres pour enfants, des dessins pour les journaux, des fresques murales etc... j'avais le sentiment d'arriver à une période de transition. Mais je savais aussi que je ne voulais pas faire un film toute seule. Et s'il fallait le faire à deux, je ne pouvais le faire qu'avec Vincent. Il était partant, excité comme moi par le défi que ça représentait. Je me suis dit qu'on allait bien rigoler... Parfois, ça tient à des riens, les décisions dans la vie... Comme je connaissais déjà le producteur Marc-Antoine Robert, on a commencé à travailler ensemble et le film est né ! "
Pour Marjane Satrapi, il a tout de suite été question de faire un film d'animation. Pour la réalisatrice, un film en images réelles aurait fait perdre l'universalité de l'histoire. "Avec les images réelles, ça devient tout de suite l'histoire de gens qui vivent loin, dans un pays étranger, qui ne sont pas comme nous. C'est au mieux une histoire exotique, et au pire une histoire de " tiers-mondiste " ! Si les albums ont aussi bien marché partout, c'est que l'abstraction du dessin - qui plus est, du dessin en noir et blanc - a permis à chacun de s'identifier totalement. Que ce soit en Chine, en Israël, au Chili, en Corée... Cette histoire est universelle. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a aussi dans “Persépolis” des moments oniriques, et qu'on n'allait pas faire tout à coup un film de science-fiction ! Le dessin nous permet de garder une cohérence, une unité. Le noir et blanc – j'ai toujours peur du côté vulgaire que peut avoir la couleur – participe à cela également. "
Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud souhaitaient que les dessins de Persepolis soient absolument réalistes. Les réalisateurs ont donc travaillé sur un style visuel particulier le "réalisme stylisé". Pour se faire, ceux-ci se sont inspirés du néoréalisme italien et de l'expressionnisme allemand, mais également de films contemporains comme Les Affranchis dont la réalisatrice souligne "l'énergie du montage et l'utilisation de la voix off".
Marjane Satrapi, qui a créé les personnages des albums de Persepolis en s'inspirant d'elle-même et de sa famille, avoue qu'il a été difficile de voir d'autres dessinateurs s'approprier ses dessins et reproduire son visage. "Ce n'est pas juste mon dessin et mes personnages que les dessinateurs s'approprient, mais également mon visage et mon histoire... En plus, j'avais toujours travaillé seule – même dans l'atelier, j'avais vraiment un coin à moi – alors, imaginez, en plus, dès que j'entrais dans le studio, il y avait mon visage. Petit, moyen, grand. Petite fille, adolescente, jeune fille, adulte, de face, de dos, de profil, en train de rire, en train de vomir, en train de pleurer, etc. C'était insoutenable ! Il n'y avait pas d'autre solution que de se dire "C'est juste un personnage". Comme pour les autres personnes dont je parle d'ailleurs. Car leurs histoires sont vraies. Je ne pouvais pas m'autoriser d'émotion sinon cela aurait été ingérable pour tout le monde. Il fallait que je mette de côté ma part d'émotivité pour pouvoir travailler sur cette histoire avec autant de gens. Si dès qu'ils dessinent, les gens me voient la larme à l'oeil, ils ne peuvent plus travailler. Alors qu'on a besoin qu'ils se sentent libres, qu'ils soient au mieux de leurs possibilités. Je ne pouvais pas faire autrement que parler de moi et des personnes de ma vie comme de personnages de fiction : "Marjane fait ça, sa grand-mère est comme ça..." Sinon, c'était impossible."
Marjane Satrapi avoue que le plus compliqué dans la réalisation de Persepolis a été, au début, d'oublier la structure qu'elle avait déjà mis en place pour ses albums. "Il a fallu repartir de zéro – mais avec les mêmes matériaux. Comme s'il s'agissait de construire tout à fait autre chose. C'est un objet à part. On n'allait quand même pas filmer les cases les unes après les autres ! Beaucoup de gens pensent qu'une bande dessinée, c'est un story-board de cinéma. C'est faux et absurde. Ce sont des narrations complètement différentes. La BD est le seul moyen narratif avec images où le lecteur participe à la narration : il fait le travail d'imagination pour deviner ce qui s'est passé entre deux cases. Dans la BD, le lecteur est actif avec l'auteur, alors qu'au cinéma, le spectateur est passif. Et puis, au cinéma, il y a le mouvement, le son, la musique... Dans la forme, la narration est très différente et donc sur le fond aussi, forcément."
Les voix des personnages de Persepolis ont été enregistrées avant que le film ne soit réalisé afin que l'animation, les mouvements, les expressions s'appuient sur les dialogues et le jeu des comédiens et des comédiennes. Chaque acteur a doublé son personnage séparément, Marjane Satrapi faisant les autres voix pour faciliter le jeu.
La réalisatrice avoue avoir d'abord pensé à Danielle Darrieux pour la voix de sa grand-mère, " Elle est drôle, intelligente, pleine de fantaisie et de liberté. Elle aime rire, l'absurde ne lui fait pas peur. D'enregistrer les voix avec elle, c'était un très beau moment... ". Marjane Satrapi rêvait de voir Catherine Deneuve doubler sa mère, non seulement celle-ci a immédiatement accepté mais en a parlé à sa fille, Chiara Mastroianni, qui n'a pas hésité à appeler la réalisatrice pour faire des essais. Marjane Satrapi ajoute " Tout de suite, ça a collé entre nous. J'aime sa voix, son talent, sa personnalité. C'est quelqu'un d'incroyable. Nous sommes devenues de vraies amies. On a beaucoup travaillé, on a répété pendant deux mois... C'est quelqu'un qui adore le travail, qui est perfectionniste. Et elle est très généreuse. Elle a suivi toutes les étapes de la fabrication du film, elle est venue nous voir au studio régulièrement... "
Dans Persepolis, Chiara Mastroianni, qui prête sa voix à Marjane dans le film, donne la réplique à sa mère, Catherine Deneuve, qui tient le rôle de Tadji, la mère de Marjane. C'est la première fois que les deux actrices prêtent ensemble leurs voix à des personnages de films d'animations. Par ailleurs celles-ci ont déjà joué ensemble dans de nombreux longs métrages tels que Ma saison préférée, Les Voleurs, ou encore Le Temps retrouvé. Marjane Satrapi explique : " Ce n'est qu'après avoir choisie Chiara que j'ai réalisé que je prolongeais une histoire de cinéma, puisqu'elles ont déjà été plusieurs fois mère et fille à l'écran. Je n'y avais pas pensé avant ! "
Catherine Deneuve connaissait déjà Marjane Satrapi et avait lu les albums Persepolis. L'actrice, qui avait participé à la mise en page d'un numéro spécial du magazine Vogue, avait fait appel à Marjane Satrapi pour créer une petite bande dessinée pour ce numéro.
Marjane Satrapi, qui est fan de Catherine Deneuve, avoue avoir été impressionnée et avoir eu quelques difficultés à diriger l'actrice et surtout à lui donner la réplique lors du doublage de certaines scènes... La réalisatrice explique " A un moment, je devais quand même lui dire : " Les femmes comme toi, je les baise contre les murs et je les jette aux ordures ! " "
La sélection de Persepolis au 60ème Festival de Cannes a soulevé la colère de l'Iran. Le pays ayant jugé le film de Marjane Satrapi trop critique sur la révolution islamique. Dans un courrier adressé à l'attaché culturel de l'ambassade de France à Téhéran, la Fondation du cinéma Farabi (qui dépend du ministère iranien de la Culture) dénonçait la sélection du long métrage à Cannes " Se peut-il que la sélection de ce film ne soit pas à mettre au compte d'un acte politique ou même anti culturel de la part du festival ? ". La polémique a repris de plus belle après l'attribution du Prix du jury au film de Marjane Satrapi, un conseiller culturel de la présidence iranienne a dénoncé un geste d' "islamophobie" dans cette remise de prix. Persepolis a d'ailleurs été censuré en Iran...
Lors de la conférence de presse de Persepolis à Cannes, Marjane Satrapi a précisé qu'elle regrettait que cette affaire ait pris tant d'ampleur. " Il faut voir le côté humaniste et universel de ce film et le fait que ce film aille à l'encontre des clichés qui existent sur les iraniens et sur l'Iran. Ensuite, en tant que véritable démocrate, je suis évidemment ouverte à toutes critiques et protestations et je pense que c'est aussi en écoutant ces critiques qu'on peut construire quelque chose. Je crois à la liberté d'expressions et à la liberté de paroles, je me suis exposée et il semble que ces critiques sont le résultat de cette exposition, tout le monde ne peut pas être d'accord avec moi, et c'est tant mieux ! Mais je n'ai pas envie de nourrir cette polémique et je pense que celles-ci grandissent parce qu'on les alimente en y répondant, c'est pourquoi je ne le ferais pas."
La réalisatrice ajoute "Peu importe l'histoire, au cinéma, un scénario devient une fiction, puisqu'on est obligé de construire une histoire, et dans la construction, il y a évidemment tricherie. Nous ne sommes pas en quête de la réalité, mais nous essayons de nous approcher le plus possible de la vérité. La réalité doit apparaître dans la presse, dans les journaux et aux informations,... Le cinéma est présent pour raconter de bonnes histoires et le plus précisément possible, et c'est ce que j'ai fait. "