Le scénario du film s'est grandement inspiré du livre de Jon Krakauer, "Voyage au bout de la Solitude", qui racontait l'histoire vraie de Christopher McCandless. Sean Penn avait acheté le livre par hasard, et s'était immédiatement dit qu'il l'adapterait au cinéma, pensant d'abord à Leonardo DiCaprio pour le rôle principal. "Sans cesser d'aimer l'homme, j'adore la nature" : ces quelques mots de Lord Byron ouvre ce film très littéraire, à l'instar de Chris/Alex, qui lit Tolstoï, Thoreau et Jack London. S'il n'est effectivement pas totalement misanthrope, Alex semble avoir fait sienne la phrase de Gide "Famille, je vous hais". Reprochant à son père d'avoir abandonné son demi-frère, à sa mère de s'être tue par souci de respectabilité, il rejette la voie toute tracée qui l'attend, faite de compromissions et de renoncements. Il n'en est pas pour autant rétif aux rencontres, qui jalonnent son parcours : un conducteur de moissonneuse recherché par la FBI, un couple de vieux hippies, des Danois hilares, une chanteuse adolescente, et un retraité de l'armée devenu graveur sur cuir.
S'il est prêt à échanger, il refuse pourtant de s'attacher, et les tentatives maladroites de ceux qui se prennent d'affection pour lui le conduisent à chaque fois à reprendre la route, toujours plus loin, toujours plus profond dans la nature, jusqu'à un bus abandonné en Alaska où il passe les cinq derniers mois de sa vie, abandonnant la chasse après avoir été traumatisé de découper un élan qu'il avait abattu. Et puis, ne professe-t-il pas que "la joie de vivre n'est pas avant tout dans les rapports humains" ?
Etrange film que celui que nous propose Sean Penn, à la fois road movie, réflexion philosophique parfois maladroite, et diapositives de voyage. Le Français Eric Gautier, qui avait déjà opéré pour "Carnets de Voyages" de Walter Salles, signe une superbe photographie, avec un jeu subtil sur la profondeur de champ, des couleurs contrastées qui épousent le changement des saisons et de savants mouvements de caméra. Sean Penn n'hésite pas à faire appel à tout le catalogue de la mise en scène : split screens, ralentis, accélérés, flash subliminaux, distortion de l'image, jouant aussi de la déstructuration du récit, construit à partir de deux points de départs de la narration : le début du voyage et l'arrivée en Alaska, et ponctué de nombreux flash back ainsi que du commentaires off de sa soeur.
Pourtant, malgré toute cette virtuosité, on reste (enfin moi en tous les cas) extérieur à l'histoire. La faute à une durée excessive, pour un voyage sans but terriblement répétitif, malgré le découpage en chapitres sensé donner l'impression d'une progression, et au jeu trop lisse d'Emile Hirsch. Au bout des 2 h 27, il reste peu de compassion pour un personnage bien naïf, mais de superbes images et une façon de saisir la nature qui rappelle "Jeremiah Johnson".
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