Présenté au Festival de Berlin dans le cadre du Panorama, Va, vis et deviens a décroché les deux principales récompenses de cette section : le prix du jury et le prix du public. Le film a également reçu, ex aequo avec Crustacés et coquillages, le Label Europa Cinémas, attribué par le réseau de salles de cinéma européennes à un film de la section Panorama.
"Je me souvenais de l'opération Moïse et du rapatriement des Juifs éthiopiens en Israël en 1984/85, mais je n'avais pas pris conscience de l'énormité de cette aventure humaine.Peut-être l'une des plus complexes du XXème siècle, par les questions qu'elle suscite. C'est grâce à une rencontre avec un Juif éthiopien, à l'occasion d'un festival de cinéma de LosAngeles, que j'ai compris que les Falachas étaient restés les " figurants " de cette opération, alors qu'ils en étaient les protagonistes. Cet homme à Los Angeles m'a raconté son épopée, son voyage à pied jusqu'au Soudan où tous les Juifs étaient en danger de mort, la vie dans les camps de réfugiés, leur accueil en Israël... J'étais à la fois profondément ému et révolté qu'on n'en parle pas davantage. Je me suis alors emparé de tout ce qui avait été publié sur les Falashas : j'ai ainsi alimenté mon émotion, mon désir de mieux les connaître et, peu à peu, mon envie de leur consacrer un film."
Avant de se lancer dans le tournage du film, le cinéaste et son scénariste ont fait d'abondantes recherches concernant l'opération Moïse : ils sont notamment allés à la rencontre de témoins et de spécialistes : membres du Mossad, sociologues, historiens ou encore Ethiopiens non juifs vivant clandestinement en Israël. Concernant le casting, trois mois de recherche entre la France, l'Ethopie, Djibouti et Israël ont été nécessaires pour trouver le jeune acteur chargé de jouer le rôle de Schlomo : en plus de bien jouer la comédie, celui-ci devait être capable de parler trois langues... Il fallait en outre que les trois acteurs qui incarnent Shlomo à différentes périodes se ressemblent.
Le fait d'être choisi pour jouer le rôle d'un Israélien n'a pas surpris Roschdy Zem, acteur français d'origine maghrébine : "(...) ma rencontre avec Radu Mihaileanu s'est faite très naturellement et s'est avérée d'une grande cohérence. D'autre part, je me bats moi-même depuis des années contre l'idée de confier le rôle d'un Israélien à un Israélien, ou d'un Breton à un Breton... Pour moi, un acteur doit être capable d'incarner presque n'importe quel personnage. Du coup, quand j'ai lu le scénario, je ne me suis pas dit que j'allais devoir jouer un rôle de composition, mais que ma principale difficulté allait être d'apprendre l'hébreu ! En réalité, quand je suis arrivé sur place en Israël, je n'ai pas eu le sentiment d'être perdu, d'autant que l'hébreu est une langue assez proche de l'arabe."
Le titre Va, vis et deviens reflète la division du film en trois parties, ainsi que l'explique le réalisateur : "Ce titre m'a (...) été inspiré par l'un de mes livres de chevet, Vie et destin de Vassili Grossman. C'est à la fois une injonction d'amour et la parole de la mère, et cela correspond effectivement aux trois chapitres de la vie de Schlomo. " Va ", c'est l'arrachement et le voyage vers la survie. " Vis ", c'est l'adolescence, la rencontre de l'amour et la réconciliation avec la vie. " Deviens ", c'est l'accomplissement de son destin : devenir un homme, tout simplement, et réaliser cet affranchissement dont lui parlait sa mère autrefois."
Sirak M. Sabahat, qui joue le rôle de Shlomo adulte, a lui-même vécu les événements retracés dans le film : né en Ethiopie en 1981, il quitte son pays natal à 10 ans, avec ses parents et ses trois frères cadets, pour rejoindre Israël. Après une longue marche vers la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, où il reste pendant 5 mois, il embarque avec sa famille dans un avion militaire dans le cadre de "l'opération Salomon". Arrivé en Israël, l'adaptation est difficile pour le jeune homme, seul Noir de son école. Après son service militaire, il décide de se lancer dans la comédie. Très impliqué dans Va, vis et deviens, il confie : "Ma relation avec Radu Mihaileanu est très spéciale :il est comme un frère pour moi. Je voulais être près de lui durant tout le tournage du film pour l'aider, dans quoi que ce soit, qu'il s'agisse de la direction des enfants qui interprètentle rôle de Schlomo, ou qu'il s'agisse des figurants éthiopiens ou même de la traduction de l'hébreu en amharique (la langue éthiopienne). Mon implication allait au-delà du simple fait d'être sur place en tant qu'acteur : je voulais faire partie de la création de ce film pour pouvoir aider à raconter l'histoire de ma communauté. C'était très important pour moi de venir chaque jour sur le tournage, de voir de mes propres yeux mon histoire et l'histoire dema communauté devenir un film."
Radu Mihaileanu propose un regard original sur le conflit israélo-palestinien, celui que pose le jeune Shlomo. "Yaël Abecassis m'a dit une chose qui me semble très vraie : le regard de l'intérieur et de l'extérieur plein de fraîcheur, voire de naïveté de cet enfant, ni Juif, ni Israélien, ni Palestinien, et tout à la fois, est en réalité le mien...", assure-t-il. "Schlomo, qui vient de la mort, se pose des questions que je me pose aussi. Schlomo pense que ces deux peuples qui s'affrontent, Israéliens et Palestiniens, sont deux peuples victimes -comme lui- qui subissent un conflit qu'ils ne maîtrisent plus. Il ne peut pas juger le conflit d'une manière politique. Il ne peut le juger qu'au niveau humain." L'identité et l'exil sont depuis longtemps au coeur des interrogations du cinéaste : son père, qui s'appelait Buchman, a en effet dû changer de nom pour échapper au nazisme et au stalinisme. Lui-même est partagé entre deux pays, la France et la Roumanie. Notons que le cinéaste a donné le nom de Buchman à l'un des personnages du film : le médecin français.
Radu Mihaileanu souligne que Va, vis et deviens est "un film autour de la quête désespérée de la mère [qui] aurait d'ailleurs pu s'appeler L'Enfant des mères. Schlomo a la chance de tomber sur quatre mères exceptionnelles : la sienne, capable de dire " ce n'est pas mon fils ", pour le sauver ; la deuxième, Juive éthiopienne, qui retrouve une raison de vivre en recueillant Schlomo et en l'arrachant à la mort ; la troisième, la mère adoptive issue d'une autre culture, qui accepte de faire un pas vers Schlomo ; enfin, Sarah, l'amoureuse, qui en devenant mère à son tour finit par comprendre Schlomo et le renvoie vers sa mère originelle."
Le héros de Va, vis et deviens porte le même prénom que le personnage principal du précédent film de Radu Mihaileanu Train de vie. Hasard ou intention ? Le cinéaste explique : "Un journaliste américain m'avait demandé à propos du Schlomo de Train de vie s'il survivait à la fin. Le film s'achevait sur une image de lui dans le camp, avant la fin de la guerre. Jusque-là, je ne m'étais pas posé cette question. Je lui ai répondu que si on ne l'oubliait pas, Schlomo survivrait. Pour moi, il a survécu, je n'ai pas pu l'oublier, aujourd'hui il a quitté le camp. Sous la forme d'un enfant."
Les photographies qui défilent au début du film, pour témoigner de l'épopée des Juifs d'Ethiopie, sont signées du réalisateur François Margolin, auteur en 2005 d'un documentaire intitulé Falachas et dix ans après.
La musique, composée par Armand Amar, reflète le mélange des cultures prôné par le film : elle mêle en effet orchestre classique, violoncelle et doudouk, un instrument traditionnel arménien (une sorte de flûte).