Je te mangerais s'inspire de l'expérience personnelle de Sophie Laloy, qui, avant de devenir ingénieur du son pour le cinéma, se destinait à une carrière musicale. "Les premières grandes émotions de ma vie, je les ai ressenties alors que je jouais des morceaux de musique classique, explique la réalisatrice. J'ai donc intégré le Conservatoire de Lyon afin de devenir concertiste. Pendant ma première année d'étude, j'ai vécu en collocation avec une amie d'enfance, pour les mêmes raisons initiales que celles de Marie. Cette amie était propriétaire et avait le sens du concret qui me manquait, mais je me suis sentie oppressée par cette relation. De l'extérieur, nous apparaissions comme deux amies d'enfance plutôt liées, assez sages. Mais en réalité, c'est avec une grande lâcheté que je n'ai pas exprimé la violence du mal-être qui m'animait. Et moins je l'exprimais, plus c'était violent, puisque je créais mon propre malaise et que je me laissais dominer."
C'est avant tout ces sensations-là que la cinéaste a eu envie de raconter et de sublimer dans un récit : "comment Marie peut-elle se laisser enfermer dans une relation de plus en plus malsaine ? Comment elle-même peut induire, par son comportement, cette relation malsaine ? En quoi la peur de l'une peut influencer le désir de domination de l'autre ? Il n'y a pas une méchante et une gentille, il y a une très jeune, un peu naïve, un peu lâche, un peu indolente, très malhabile, très séduisante et une plus mature, très seule, blessée, possessive, maladroite et amoureuse."
Pour le personnage d'Emma, Sophie Laloy souhaitait une actrice qui puisse déranger, et en regardant Isild Le Besco, elle a ressenti exactement ce qu'elle recherchait. "Elle était à la fois cruelle et sensible, puissante et fragile, dérangeante et excitante, confie la réalisatrice. Isild a apporté la luminosité et la présence physique qu'imposait le rôle d'Emma et son côté glamour, sa blondeur, son mystère envoûtant me rappelle les héroïnes d'Hitchcock ou de Lynch."
La cinéaste imaginait une comédienne ayant une certaine innocence pour incarner Marie, "une jeune femme sensuelle pleine de formes pouvant jouer l'ingénue avec simplicité". Elle a été immédiatement séduite par Judith Davis, "qui a parfaitement réussi à jouer l'ambiguïté et le mensonge avec la candeur et l'innocence nécessaires à la sympathie du personnage."
Sophie Laloy commente les influences présentes dans Je te mangerais : "Le début du film est lumineux, coloré, au rythme agréable. Comme le début de Répulsion ou celui d'Harry, un ami qui vous veut du bien... puis les fous rires cèdent la place au malaise, et l'été fait place à l'hiver... le naturalisme au drame. Je joue sur des couleurs, le rouge par exemple, pour trouver des ambiances étranges, comme celles qu'il y a parfois dans les films de Claude Chabrol. Jouer du piano permet à Marie d'extérioriser les sentiments et émotions qu'elle renferme et qui la troublent, notamment dans les échanges avec Emma. Les morceaux choisis en deviennent une bande-son de ses états d'âme successifs. "La Pavane pour une infante défunte" de Maurice Ravel quand elle se sent bien ou un extrait du "Carnaval" de Schumann, "Chiarina et Chopin", dans des moments plus sombres."
A travers Je te mangerais, Sophie Laloy avait aussi envie de parler du désir sexuel féminin. "Je voulais faire un film sensuel, filmer les peaux, les pieds, les mains, les cheveux, confie la réalisatrice. La sexualité est complètement liée à cette histoire. L'envie de découvrir le sexe pour Marie est forte, décuplée par le fait qu'il lui soit interdit par Emma. Entre les deux filles s'opère un effet de vases communicants, Emma découvre une sexualité chez Marie, et en est influencée, elle commence à la voir comme un objet de désir. Marie accepte d'avoir une relation sexuelle avec Emma, sans l'assumer. Sa force par rapport à Emma est d'avoir des relations sexuelles à l'extérieur, et donc de pouvoir la faire souffrir."
En 2005, au lancement du projet, Laetitia Casta et Laura Smet étaient les deux actrices pressenties pour incarner les héroïnes de Je te mangerais, mais la première comédienne dut se désister en raison de sa grossesse.
Je te mangerais est le premier long métrage réalisé par Sophie Laloy. Cette jeune cinéaste a passé une partie de son enfance avec ses parents et ses trois soeurs à Aurillac, où elle a appris le piano et la danse classique. Elle resta en Auvergne jusqu'à son bac scientifique et quitta, à 17 ans, le foyer familial pour entrer au Conservatoire de Lyon afin d'y entreprendre des études de musicologie. Lorsque sa professeure lui demandera de pratiquer le piano six heures par jour, elle comprendra que ce n'est pas sa véritable vocation et choisira de s'orienter vers un métier moins solitaire et plus "sociable". C'est ainsi qu'elle intègre la Fémis en 1992 pour y suivre trois années de formation de cinéma dans le département son. Ses études terminées, elle exerce le métier de perchman et d'ingénieur du son sur des téléfilms, longs-métrages et documentaires. Elle réalise ensuite un premier court-métrage, D'amour et d'eau fraîche, prime à la qualité du CNC.
Le tournage s'est déroulé en novembre et décembre 2007.