Ce projet est né de la lecture, par les cinéastes, d'un ouvrage qui connut un certain retentissement lors de sa parution en 1998 au Seuil : Souffrance en France (sous-titré La Banalisation de l'injustice sociale). Son auteur, Christophe Dejours, est psychiatre, psychanalyste et professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, où il dirige le Laboratoire de Psychologie du Travail et de l'Action (LPTA). Dans ce livre, il lève le voile sur une réalité méconnue : la souffrance au travail. "Ce livre fondateur parle de la souffrance subjective de ceux qui travaillent et de la banalisation du mal dans le système néolibéral. Suite à cette lecture, nous avons eu besoin de faire quelque chose de notre côté, à notre façon, de poser un geste cinématographique. Pas en réponse mais plutôt en continuité : dessiller les esprits, participer à la réflexion, nourrir le débat public. Ce débat qui est quasi inexistant dans l'espace public", notent les réalisateurs.
Les cinéastes précisent leur démarche "(...) Une des idées fortes, pour nous, c'est que la peur et la menace au licenciement sont devenus des outils de management (...) On exige de ceux qui travaillent des performances toujours supérieures en matière de productivité, de disponibilité, de discipline et de don de soi (...) La peur s'est inscrite dans les rapports de travail. Elle engendre des conduites d'obéissance, de soumission et d'individualisme. [Dejours] explique que dans ce nouveau système de management basé sur la peur, la tolérance à l'injustice, la souffrance personnelle et la souffrance infligée à autrui sont devenues des situations ordinaires (...) Mais les laissés-pour- compte sont de plus en plus nombreux, et on les retrouve dans les quelques rares consultations qui ne suivent plus la demande..."
Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil ont déjà signé ensemble plusieurs documentaires, parmi lesquels Pêcheurs à cheval, vision poétique du monde des pêcheurs, en 1993, Arbres, qui a bénéficié d'une sortie en salles en 2002, tout comme le très remarqué Pardevant notaire, réalisé en 1999 et sorti en salles en 2004.
Pour traiter le thème de la souffrance au travail, les réalisateurs ou eu l'idée de filmer des consultations. Ils justifient ce choix : "Le film raconte un hors-champ qu'il est impossible de filmer frontalement : la souffrance au travail. D'abord, filmer le travail à l'intérieur des entreprises est très difficile voire impossible. Ce sont des lieux de pouvoir où le regard d'observateur critique du cinéaste n'est pas le bienvenu. Ensuite, et surtout, la souffrance subjective est invisible sur les lieux mêmes du travail. Il faut trouver d'autres moyens, d'autres lieux où les choses peuvent se dire, comme les consultations. Finalement, nous sommes allés chercher la parole sur la souffrance là où elle est elle-même renvoyée : dans la discrétion du cabinet médical. Le huis clos, quand il est bien choisi, peut être hautement révélateur de réalités complexes. C'est aussi un espace très cinématographique, qui magnifie les gestes du corps, les expressions et la parole (...) Dans ces situations d'entretiens, il y a une vérité, une authenticité qui relève du document. C'est là, on ne peut pas le nier. C'est toute la force du documentaire. On y croit, ça parle et ça nous parle."
Les cinéastes ont filmé des consultations dans trois hôpitaux publics franciliens. Ils ont tout d'abord rencontré, à l'automne 2002, Marie Pezé, psychologue et psychanalyste qui créa en 1995 une des toutes premières consultations spécialisées "souffrance et travail" à l'hôpital Max-Fourestier de Nanterre. C'est elle qui les a guidés vers les deux autres consultations, également dirigées par des praticiens spécialisés, à Garches et à Créteil. Il faut noter que parallèlement à ce travail quotidien, ces trois médecins mènent une réflexion en réseau, avec entre autres l'équipe du laboratoire de Christophe Dejours au CNAM. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés se termine d'ailleurs par une discussion entre les médecins, une séquence que les réalisateurs conçoivent "comme un prolongement à la parole des patients".
Les réalisateurs reviennent sur le choix des patients : "Ce qui nous a le plus étonné sur ce film, c'est l'engagement des patients, libre et gratuit. (...) Tous ces patients -nous en avons filmé 37 de fin avril à septembre 2004- forcent notre respect. La seule raison qui les motive à nous laisser filmer la situation d'entretien, c'est l'idée que leur témoignage puisse être utile. Que cela puisse faire bouger les choses. Ensuite à nous d'être à la hauteur de cette confiance et de cette attente (...) Pour le choix des situations, il fallait retrouver la diversité professionnelle et la complémentarité des situations de souffrance au travail (...) Au-delà des spécificités de chaque consultation, il était important d'avoir, par exemple, une ouvrière et un cadre, une femme et un homme, un jeune et un moins jeune (...) C'est important de voir qu'entre l'ouvrière et le cadre, on retrouve le même discours –et le montage travaille sur ces liens. Il s'agit donc bien d'une nouvelle forme d'organisation collective de travail qui s'est généralisée et qui génère des pathologies."
Le titre du film est emprunté à la fable de La Fontaine Les animaux malades de la Peste : "La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) / Capable d'enrichir en un jour l'Achéron / Faisait aux animaux la guerre / Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés / On n'en voyait point d'occupés / A chercher le soutien d'une mourante vie." La morale de cette fable est "Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."