La science-fiction a ouvert de nombreuses frontières dans la narration visuelle et a connu une expansion prolifique avec « Les Humanoïdes associés », une maison d’édition française. Lancé par Jean-Pierre Dionnet, qui aura regroupé les dessinateurs Moebius et Philippe Druillet notamment, la révélation d’une grande série de revues n’aura pas tardé à se faire connaître. Bien que son exploitation repose essentiellement sur le territoire outre-Atlantique, son influence lui est universelle. Que ce soit la bande dessinée ou ce film, réalisé par Gerald Potterton et tant d’autres, on en retrouve la substance dans des monuments de la pop culture et du 7ème Art (Blade Runner, Alien, Star Wars, Mad Max, le Cinquième Elément, etc.). Mais il ne faut pas s’arrêter au style graphique pour se convaincre de son potentiel, car il s’agit avant tout d’une aventure qui traverse les époques et les mondes fantastiques, dans le but de révéler la nature humaine et la nature absolue du mal.
Les intentions sont louables, mais la démarche peut en choquer plus d’un, car l’extravagance des intrigues se conjugue au rythme et à l’intensité de l’ambiance rock, voire hard rock des années 70. A la frontière de l’intrusif et de la curiosité, l’animation s’autorise des libertés que l’on ne peut soumettre au jeune âge. On s’adresse ainsi à ceux qui vivent une transition morale et ceux qui abordent la révolution culturelle, par le biais d’une violence qui les dépasse. En introduisant une sphère maléfique verte, le Loc-Nar, on reconnaît la thématique du mal qui se développe dans les esprits, pervers, avares et soucieux de leur statut dans leurs mondes respectifs. Certains personnages ne seront qu’éphémères dans ces récits qui ne font pas de pitiés à ses antihéros, ni à ses antagonistes. Rien que d’évaluer l’aspect des dessins, on peut palper la crasse dans ces vignettes en mouvement. Peu d’éléments du décor peuvent séduire, mais ce mélange de cultures et de ton n’hésite pas non plus à exploiter au maximum son univers médiocre, violent et envoutant.
Ce qui n’est pas non plus homogène, car on sent que les six segments ont été confiés à différentes équipes, voire différents studios. Chacun ajoute tout de même des propositions intéressantes, tandis que d’autres nous apparaissent maladroitement ou par accident. La caractérisation de la femme, hypersexualisée et constamment dénudée nous ramène peut-être à la création, le côté poétique en moins. Cela est très représentatif des figures idolâtrées par le public, où le modèle masculin domine, mais il se révèle sensiblement macho. Mais le Loc-Nar reste au centre des attentions, car il continue de corrompre les innocents comme les pires criminels de l’univers. On en vient même à intercaler le capitalisme américain, sous les traits d’un super-héros connu et qui ne démord pas de ses valeurs, même les plus sournoises. Il fallait pourtant conclure sur un acte qui tranche avec la déchéance, sans négliger le fondamental dans la description des vices. Animée par la vengeance, tel un western fantastique, Taarna est l’ultime guerrière de son espèce, qui ne craint pas la peur et qui se révèle décisive dans la lutte. Elle s’approprie la virilité masculine, en levant le glaive et en repoussant les assauts ennemis et répond justement à un appel d’hommes, dépourvus d’autorités, de contrôle et de pouvoir.
« Métal Hurlant » (Heavy Metal) aura laissé un héritage et beaucoup d’ambitions, même dans le Dune de Jodorowsky. Le mal ne vient pas des cieux, il est confiné en nous et le Loc-Nar défait simplement les verrous pour laisser nos pulsions s’exprimer au premier degré, à l’état primitif. On laisse tout de même de la conscience dans ces êtres que l’on observe, mais ces derniers restent souvent fidèles à eux-mêmes, dans l’insolence de leur devoir et dans la négligence d’autrui. Pas question de collectif, juste des individus face à des dilemmes où la tentation semble trop grande pour ne pas épouser la violence, le sexe, la drogue et l’immortalité.