Entrer dans cette « Cité Interdite », simmerger au cur du palais Impérial de la Chine du Xème siècle laisse des impressions paradoxales. Car dans lenchantement des décors, des costumes aux couleurs emblématiques, au milieu du foisonnement de chrysanthèmes, qui, pourtant, néloignent pas le mal, le film de Zhang Yimou est un drame intemporel, une tragédie familiale aux enjeux de pouvoir et de domination. On en oublierait les décors pour se concentrer sur les visages, qui traduisent plus encore que les dialogues lintensité des sentiments. Jai pensé plus dune fois au jeu des acteurs de films muets et au cinéma expressionniste devant la force des émotions dans un simple regard, un geste, un rictus ou un sourire aux milles nuances. Alors que les magnifiques batailles nous plongent en plein XXIème siècle avec leurs effets numériques et leur stylisation futuriste, alors que nous admirons leur virtuosité, leur poésie aux antipodes du réalisme, les intrigues de palais pourraient avoir pour cadre la Grèce antique ou lAngleterre élisabéthaine. Des complots croisés, où les femmes, sous le joug de leurs époux, cherchent à survivre, puis trament leur vengeance, mais se heurteront à une organisation de la société qui ne leur laissera guère de chance démancipation. Dociles dans leur prison dorée leur existence sécoulera dans le luxe et lennui, mais quun grain de sable entre dans les rouages, quun lourd secret surgisse, que du passé remonte un crime impuni, et tout cet ordonnancement séculaire risquera de sécrouler. Les rebondissements ne le cèdent en rien à un thriller, les personnages des fils pourraient être actuels, la femme du médecin, experte en arts martiaux, est époustouflante. On se repaît de tous ces anachronismes assumés, bien loin de lironie exercée par les critiques pour des raisons tout autres que cinéphiliques. Gong Li, Man Li et Chen Jin donnent aux personnages féminins, prisonniers du rituel mortifère, un relief tout particulier.