Après Hero et House of Flying Daggers, Zhang Yimou replonge dans le Wuxa Pian avec La Cité interdite, plutôt dans le style du premier que du second. Rejetant le lyrisme mélancolique, Yimou privilégie en effet la froideur dramatique d'une nouvelle histoire de complots monarchiques, y ajoutant cette fois une dimension familiale pour tisser une tragédie aux accents antiques prononcés. De ce choix, au moins assumé jusqu'au bout, découlent toutes les forces du film et les faiblesses qui leur sont malheureusement rattachées. En effet, Yimou se donne tous les moyens pour dresser un siège dramatique autour de ses personnages, cherchant à les étouffer sous une intrigue souveraine et totalement maîtresse de leurs destins. Cela passe d'abord par une reconstitution dont le faste frôle la surcharge, qui rappelle le décorum royal, les obligations des personnages. Entre des plans savamment étudiés pour amplifier l'emprise solennelle du décor et des prises plus serrées sur des personnages en pleine souffrance, on étouffe, et la force de l'oeuvre prend bel et bien. Le problème, c'est que ces choix esthétiques pesants frisent la grandiloquence, empêchant la dimension émotionnelle de s'installer. Les personnages, pourtant joués par des acteurs impressionnants (Chow-Yun Fat et Gong Li en tête), demeurent à l'état d'archétype et amènent certes une aura dramatique mais sans générer l'empathie. Dès lors, le scénario, qui poursuit dans ses rêves de grandeur, s'enfonce dans le théâtral même s'il est sur le papier digne des très grandes œuvres tragiques. Même l'impressionnante capacité de Yimou à faire parler à la fois l'image et les symboles qu'elle porte, en faisant avec facilité appel à des moments antérieurs du récit et en apportant donc un surplus de sens, ne suffit pas à compenser l'absence de source et de réceptacle émotionnel, comme se devaient de l'être les membres de cette famille royale. Le drame prend de fait des allures abstraites, un peu trop intangibles, et l'implication reste très superficielle. La Cité Interdite, aussi belle que le monument dont elle porte le nom, en conserve donc malheureusement aussi l'austérité. Dommage, avec tous les enjeux narratifs esquissés, qui ne demandaient qu'à s'exprimer pleinement. Au moins, le final demeure spectaculaire, et le reste à la fois bien filmé et bien joué. Mais voilà, un grand film doit pour acquérir son statut trouver un équilibre parfait. Et même lorsque scénario, casting, photographie, cadrage, découpage et narration se rencontrent avec fluidité, ampleur et cohérence, une simple erreur de ton peut faire tourner la barre et orienter le cap vers des horizons décevants. Je n'ai en tout cas toujours pas trouvé l'égal (et même plus, pourquoi pas ?) du Tigre et Dragon d'Ang Lee.