"Disons que c'est un film politique fabriqué comme un thriller avec l'ambition de "dire des choses", d'être une réflexion sur le cynisme des grands groupes industriels, enparticulier dans le domaine de l'agro-alimentaire, prêts à empoisonner la terre entière "pour quelques dollars de plus". Je crois que c'est un thème qui n'avait pas encore été traitépar le biais du polar, et qui s'avère être d'une actualité permanente (...) Le thriller reste un genre critique, subversif, au cinéma. Parce qu'à la télé, paradoxalement, le polar est devenu depuis quelques années l'inverse : c'est un genre familial, consensuel et fédérateur."
Un ami parfait aura été l'un des tout derniers projets du flamboyant Humbert Balsan, qui s'est pendu le quatrième jour du tournage. Producteur entre autres de Chahine, Veysset ou Roüan, c'est lui qui, ayant travaillé sur Travaux, a présenté Carole Bouquet à Francis Girod. Parallèlement à Un ami parfait, il tentait, non sans difficultés financières, de produire L'Homme de Londres du Hongrois Bela Tarr, dont le tournage a été interrompu à la suite de son suicide. Girod, qui avait déjà collaboré avec lui sur Terminale et Mauvais genres, se souvient de cette épreuve : "Le financement du film était quasiment bouclé, mais évidemment, en début de tournage, tout n'était pas finalisé. Quand j'ai appris la nouvelle, j'en ai immédiatement informé l'équipe. Je leur ai dit que Humbert tenait énormément à ce film, et qu'il fallait aller jusqu'au bout, par respect, par amitié pour lui, pour sa mémoire, quoi qu'il arrive. Le film a pu être terminé parce que l'équipe, les acteurs et les principaux financiers m'ont fait confiance et m'ont suivi. Il y a eu une véritable solidarité professionnelle autour du film qui tenait à la personnalité lumineuse d'Humbert, l'un des derniers producteurs réellement indépendants."
Un ami parfait a été présenté en Sélection officielle au Festival de Berlin en 2006, en Séance spéciale, dans le cadre d'une soirée-hommage à Humbert Balsan, en présence du Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabre. Un documentaire d'Anne Andreu retraçant le parcours du producteur était projeté en avant-programme.
Un ami parfait est l'adaptation à l'écran du roman homonyme, paru en 2002, de Martin Suter. Né à Zurich en 1948, publicitaire de formation, également journaliste, il publie son premier roman Small world polar dans lequel il est déjà question de la mémoire (le héros est atteint de la maladie d'Alzheimer) et de la face cachée des grandes entreprises. Suter, dont les ouvrages sont publiés en France chez Christian Bourgois, a également signé La Face cachée de la lune et Lila, Lila. Au cinéma, il a collaboré à l'écriture de plusieurs films de son compatriote Daniel Schmid (Hors Saison).
Le cinéaste explique pourquoi il a choisi Antoine de Caunes pour incarner le trouble Julien : "(...) je savais qu'il fallait un acteur qui ait, a priori, la sympathie du public, quelqu'un qui ait une image de type formidable, sympa, drôle, et qu'au fur et à mesure du film, les spectateurs découvrent unpersonnage complexe, l'antithèse même de ce qu'ils imaginaient au départ. Et ça m'est apparu un soir : "Antoine de Caunes !". Alors j'ai appelé Humbert Balsan, qui m'a dit : "C'est génial, évidemment, c'est lui. Il faut que ça soit lui." Pour moi, Antoine de Caunes est une espèce de George Sanders, à la française. J'adorais les ambiguïtés inépuisables de cet acteur élégant et désabusé."
Francis Girod parle d'une thématique du film, celle du Double : "Le personnage de Julien Rossi est une variation sur le thème de "Dr. Jekyll et Mister Hyde". Il aura la possibilité de choisir qui il préfère être. Maisil va être déchiré et avoir un mal fou à se décider (...) On est dans le principe du double permanent, le double intérieur, le double entre les deux hommes et l'opposition entre les deux figures féminines. Le thème du double était tellement présent que je me suis même amusé à dédoubler un des personnage du roman : j'ai transformé le " méchant " en jumeaux, les frères Lelièvre, qui m'ont été inspirés par les frères Loiseau d'Hergé."
Antoine de Caunes évoque le travail de construction du personnage : "Ce qui me semblait important (...) c'est que sortant de son coma, totalement perdu dans le monde qu'il découvre, il se retrouve en colère (...) Et cette colère, qui se retrouve de scène en scène, une colère rentrée, froide, je l'ai prise comme axe de travail. J'ai travaillé avec une coach excellente, que m'a recommandée José Garcia, et ensemble on a travaillé là-dessus, sur ce principe-là, sur cette colonne vertébrale d'un homme qui exprime son sentiment de perdition à travers la colère. Ensuite, sur les conseils de Francis, je me suis replongé dans des bouquins de John Le Carré, notamment " La Constance du jardinier ", qui décrit aussi cet univers paranoïde (sic), où le mec a l'impression de se faire mener en bateau, d'être face à un grand complot, impression qui va s'avérer juste. Ça m'a permis de m'imprégner de ce genre d'atmosphère. Séduit par l'ambiguité du personnage, il a également été touché par cette histoire pour des raisons personnelles : "J'ai eu un deuil dans ma famille, très proche, et j'étais moi-même "en train d'errer", comme Julien le dit lui-même, "dans le labyrinthe de la mémoire". Donc il y a eu une accélération, une espèce de frottement au réel et à mon actualité personnelle, qui a fait que ça n'a pas été un rôle comme les autres", confie le comédien.
Jean-Pierre Lorit, qui trouva un de ses rôles les plus marquants dans un autre récit d'une amitié ambiguë, Une Affaire de Goût de Bernard Rapp en 2000, a été l'élève de Francis Girod au Conservatoire.
Le rôle de Barth, bref mais crucial, est interprété par un célèbre réalisateur, de la même génération post-Nouvelle vague que Francis Girod : Claude Miller, l'auteur de L'Effrontée et Betty Fisher et autres histoires. C'est un juste retour des choses, puisque le réalisateur d'Un ami parfait avait joué la comédie dans le moyen métrage du tout jeune Miller, en 1971 : Camille ou la comédie catastrophique. D'autre part, les deux cinéastes se retrouvent régulièrement lors des actions menées en faveur de l'exception culturelle et du système de financement du cinéma français, Girod dans le cadre de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) et Miller dans celui de l'ARP (Auteurs-Réalisateurs-Producteurs). Ajoutons que Francis Girod joue lui-même le rôle d'un réalisateur dans Un ami parfait.
Francis Girod avait déjà dirigé Marie-France Pisier en 1980 dans La Banquière.