Le cinéma fellinien années 60, depuis "La dolce Vita" jusqu’à "Juliette des esprits", constitue à mon sens le sommet de la filmographie du maestro, qui baissera ensuite inexorablement en qualité au fil des années, malgré quelques exceptions notables, telles "Amarcord" ou encore "Prova de orchestra"… Réalisé juste après ce chef d’œuvre fondamental qu’est "8 ½", "Juliette des esprits" apparaît donc comme une des perles du cinéaste, à mon sens injustement sous-estimée. Premier, mais aussi meilleur film en couleurs de Fellini, "Juliette des esprits" est un film puissamment onirique, affirmant clairement le choix de l’imaginaire fait par le cinéaste depuis le film précédent, et scellant la rupture avec ce qu’il restait de néo-réalisme dans son cinéma. Accordant bien peu d’importance à la trame dramatique, le film peut se voir comme le voyage intérieur d’une bourgeoise conformiste en pleine crise identitaire. Les rêves et les visions de Juliette, qui ne sont que la mise en images de son inconscient, constituent donc l’essentiel de ce film fantasmagorique. C’est avec un plaisir impatient que l’on attend donc chacune des manifestations visuelles de l’imagination débridée de Juliette, qui sont autant de moments d’anthologie, symboliquement forts par ce qu’ils suggèrent des obsessions du personnage, et visuellement éblouissants, avec un usage exubérant de la couleur. Cette exubérance, souvent présentée comme caractéristique du cinéma de Fellini, et qui malheureusement se transformera souvent par la suite en grotesque, est ici portée au sommet de sa beauté et de son raffinement, raffinement qui se manifeste par cette tonalité particulière du film. Derrière une certaine légèreté apparente, plutôt joyeuse, qui confère une forme d’humour au métrage, se cache une grande complexité, une profonde intelligence et une belle sensibilité. En cela, "Juliette des esprits" est un film que je ressens comme féminin.