Ainsi donc le voilà ce fameux film tant attendu, l'un des tous derniers opus du grand cinéaste Ingmar Bergman pour la première fois diffusé en France ! Alors qu'en est-il ? Passé quelques dizaines de minutes il faut se rendre à l'évidence : « En Présence d'un Clown » n'est pas le, ni même un chef-d’œuvre enfin « retrouvé » de Bergman, sorti du fin fond de l'oubli pour bouleverser l'art cinématographique. Nous nous retrouvons face à un téléfilm, un vrai, avant tout sérieusement enlaidi par son aspect « vidéo », par sa photographie disgracieuse rendant l'attrait visuel du long métrage pour le moins relatif… Mais Bergman n'est pas le premier venu, et ne se laissant pas démonter il en profite pour se jouer des contraintes : l'esthétique est cruellement artificielle ? Autant faire un film sur l'artifice alors, sur la scène, sur le spectacle, sur l'art, sur le théâtre et bien sûr le cinématographe ! Il dépasse cette esthétique justement factice pour proposer une réflexion doublée d'une mise en abîme de l'art dramatique et du cinéma : on n'est pas loin du théâtre filmé parfois, par moments on y est purement et simplement (et pour cause les acteurs jouent des personnages se produisant sur scène)… Il en résulte ainsi un singulier mélange de ces deux arts, l'essence de ce film ne relève ni purement de l'un, ni purement de l'autre : à l'image de la vie même de Bergman on ne peut les séparer distinctement (même si le cinéaste nous donnera quelque indice pour trancher). De toute façon sa science du cadrage et de la composition du plan, de la direction d'acteur, son talent d'écrivain, de dramaturge et de cinéaste sont là pour assurer au long métrage une envergure digne de sa réputation. Alors oui c'est un « film de vieux », qui sent la fin, la décrépitude morale, physique et spirituelle, oui le Bergman scatophile n'est pas vraiment celui que je préfère, oui le montage n'est pas exempt de tout reproche, oui il a déjà fait mieux… Mais il n'empêche, à 79 ans il a réalisé une fois encore une œuvre étonnamment riche, dense, vivante et puissante, comme bien peu en ont jamais réalisé de toute leur vie. Schubert domine de son aura tout le film, mais c'est bien Bergman que l'on retrouve dans chacun des personnages, comme toujours torturés par leurs pulsions sexuelles ou artistiques, plus que jamais grotesques (surtout pour ce qui est des protagonistes masculins), l'être rattrapé par la vieillesse et un corps qui se rappelle à eux. C'est comme si l'âge, avec ce qu'il suppose de dégénérescence physique, replaçait le corps et le trivial au centre des préoccupations de l'homme, comme si la matière reprenait le dessus sur l'esprit… Cette fois-ci même la mort perd de sa grandeur, de son caractère terrifiant, pour se réduire à un être obscène, encore inquiétant certes mais d'une grossièreté tantôt risible tantôt repoussante. Rarement un film de Bergman aura été aussi terre à terre, direct jusque dans l'usage de mots et d'images des plus vulgaires. Mais bien des moments de grâce, mélancoliques, graves et déchirants viennent sublimer ce long métrage singulier, complexe et ambigu : l'inspiration n'a décidément jamais quitté le maître suédois, et malgré le ton pour le moins prosaïque d'« En Présence d'un Clown », il nous rappelle ce qui fait qu'un homme puisse s'élever et non sombrer à sa mort. Pour autant, j'avoue avoir du mal avec cette œuvre, difficilement « aimable », du moins en ce qui me concerne.