Assisté de Patrick Rotman, éminent documentariste sur la politique française, Bertrand Tavernier réalise «La Guerre sans nom» (France, 1991). Long de quatre heures, le documentaire additionne les témoignages d’anciens soldats français de la guerre d’Algérie. Souffrant de ne pas installer un dialogue, au moins par le montage, entre les soldats français et algériens, le film se limite à la part française. Univoque, l’œuvre n’en fait pas moins l’effort de rester impartial. Lorsqu’un cinéaste, devant les larmes et le désarroi de son interlocuteur, ordonne à son opérateur de couper, il ne peut être que question d’éthique et de respect. Tavernier conservera cette démarche morale dans «De l’autre côté du périph’». Face au présent, Tavernier et Rotman éveillent le souvenir, en déterrent le difficile rappel, au risque de froisser les sensibilités des témoins. Or il n’est jamais question de sensiblerie ou d’émotivité, la résurgence du passé n’est jamais l’occasion d’une défense ou d’une justification. Pourtant passéiste, le cinéma de Tavernier n’est pas du mauvais goût de ceux qui attrapent l’opportunité, à travers leurs œuvres, de réévaluer les affres du passé pour en amoindrir l’horreur, dans un acte honteusement révisionniste. Sans prendre parti, sans diriger l’œuvre dans un sens, les deux cinéastes ne se destinent qu’à immortaliser les témoignages d’une guerre qui a bouleversé une certaine jeunesse française, sa société et, par ce biais, son cinéma. Combien, aujourd’hui, seraient précieux les souvenirs des Poilus, pour le travail des historiens mais aussi pour la survie de leur mémoire. Le cinéma est aussi, dans son outillage le plus basique, un moyen d’enregistrer les réminiscences. Car aujourd’hui, la mémoire ne se célèbre plus par des Monuments au mort, elle se pérennise par l’image. Les édifices nouveaux sont les films. «La Guerre sans nom», par sa durée imposante, est un édifice neutre sur la lutte passée entre la France et l’Algérie.