J'ai le souvenir d'une critique qui disait que Tigre et Dragon était un wu xia pian très occidental, eh bien cela s'applique aussi à Salé Sucré, qui partage malheureusement beaucoup de similitudes avec les comédies dramatiques hollywoodiennes, dans tout ce que cette désignation a de péjoratif. Si Ang Lee reprend le thème éculé du conflit familial, il faut reconnaître qu'il propose un cadre original, le monde de la cuisine. Cela fait illusion un temps : l'introduction présente le père de famille en train de préparer un repas complexe, et la minutie de ses gestes est impressionnante. Un peu plus loin, une autre scène, manifestement tournée en steadycam, montre avec brio toute l'effervescence de la cuisine d'un grand restaurant. Seulement voilà, cet aspect passe très vite au second plan, et le seul rapport avec la cuisine qu'entretiendra le reste du film sera pendant les scènes de repas d'une fadeur exaspérante. En effet, le réalisateur suit à la lettre les codes du genre, sans jamais dévier de la trajectoire préétablie. Si quelques gags arrivent parfois à arracher un sourire, l’ensemble se cherche jamais à s'affranchir des lieux communs et reste par conséquent très prévisible. La faute aux personnages sans doute, qui sont tous, malgré leur nombre, des stéréotype ou des personnage-fonction. L'ami de longue date du père est d'ailleurs hallucinant tant il sonne faux, tant il est interchangeable avec n'importe quel personnage de collègue issu de n'importe quel film. Il n'y a que la fille aînée, rigide à cause de sa religion et de son travail d'enseignante, qui possède un fond de personnalité. Mais il est vite masqué par les lourdeurs de l'écriture, qui tente vainement de faire de l'exposition à travers des dialogues du quotidien. Les "c'est depuis la mort de maman qu'il est comme ça" et les "ça fait 30 ans qu'on est amis" ne devraient pas exister. Cela amène des informations essentielles très maladroitement et rend en plus toutes les relations complètement factices. Le spectateur reste extérieur au quotidien des trois sœurs. Les personnages sont faux, ils n’existent pas car tout paraît écrit, alors que Notre petite sœur, un long-métrage similaire, arrivait à créer un lien invisible, un esprit de famille. Les trois jeunes femmes paraissent désincarnées, et le fait que leurs vies se recoupent et se chevauchent à travers de multiples coïncidences n'aide pas beaucoup à développer une impression de réalité. On appréciera les efforts de mise en scène qui permettent de se mettre autre chose que du champ/contrechamp sous la dent pendant les dialogues. Mais cela ne suffit pas pour rattraper ces personnages qui n'existent pas, avec des problèmes et des relations qui n'existent pas. Et puis, quand on voit que la scène de fin n'a aucun impact alors qu'elle a été pensée pour être émouvante, on comprend que le film a échoué. C'est tout.