Plusieurs titres de film sautent immédiatement en tête lorsqu'il est question du légendaire duo Scorsese- De Niro : certains évoqueront le classique *Taxi Driver* tandis que d'autres citeront plutôt le non moins notoire *Goodfellas*. Plusieurs pourraient également porter l'attention sur le biopic *Raging Bull* et les plus impatients parleront déjà de l'attendu *The Irishman*. Il est cependant assez rare que *The king of comedy* (étrangement traduit dans la langue de Molière par *La valse des pantins*) surgisse dans ces conversations portant sur ce tandem mythique. On peut légitiment se poser la question : pourquoi ce long-métrage est-il laissé assez systématiquement de côté ? S'agit-il d'une égarement dans la médiocrité de la part du réalisateur new-yorkais ou s'agit-il plutôt d'une de ces oeuvres que le public a injustement boudée et peu à peu oubliée ?
Le film se propose comme une étude de personnage, en l'occurence celui de Rupert Pupkin, un aspirant comique véritablement obsédé par le célèbre Jerry Langford, un animateur de talk-show harcelé à chaque sortie en rue par des dizaines de fans. Le protagoniste principal est particulièrement bien écrit, dans le sens que ses actions provoquent tantôt l'antipathie, la gêne ou encore la pitié chez le spectateur. Rupert est clairement un outsider, se situant dans le prolongement du dérangé Travis Bickle, avec qui il partage une certaine solitude, une ignorance des conventions sociétales ainsi qu'un détachement évident de la réalité l'entourant. Le collectionneur d'autographes parvient ainsi à plusieurs reprises à mettre mal à l'aise tant les personnages présents à l'écran que le spectateur, par ses réactions totalement inappropriées ou sa persistance exagérée à vouloir atteindre son but trop rapidement. Il sera d'ailleurs, assez logiquement, souvent rejeté par son environnement immédiat : un autre point commun avec le protagoniste de *Taxi Driver*.
Mais, pour autant, Rupert ne nous est pas tellement étranger. Il n'est qu'une exagération d'un phénomène déjà existant, à savoir les nombreux fans et les chasseurs d'autographes suivant les célébrités du moment (comme démontré d'ailleurs par la scène d'ouverture du film). Même dans son excès, Pupkin n'est pas seul, ayant trouvé une amie/alliée en la personne de Masha, elle aussi obsédée par Langford mais à un niveau plutôt physique. Il nous est également assez aisé de comprendre les sentiments et l'objectif ultime du protagoniste principal. Qui en effet n'a pas déjà eu quelques songes éveillés de célébrité et de reconnaissance, à un niveau évidemment moins élevé et malsain que Rupert ? Le film montre également clairement que son "héros" n'est qu'un individu perdu dans la masse, un rêveur lambda pour lequel ses congénères montrent au mieux de l'indifférence (ce qui est souligné par le fait que son nom est constamment lapidé) au pire du mépris ou de la moquerie. Son désir de s'affranchir de cette image explique son but d'accéder à la célébrité en brûlant toutes les étapes,
ce dont il est lui-même conscient comme le prouve une des dernières phrases du long-métrage : "*Better be a king for a night than a schmuck for a lifetime*"
. Finalement,son usage très limité de la violence et son constant enthousiasme rendent le personnage par moment presque sympathiques, là où on pouvait se détourner bien plus vite de Travis Bickle.
Tout aussi bien écrit qu'il soit, un personnage ne sait complètement exister sans l'apport d'un acteur. Et Rupert Pupkin a justement la chance d'avoir comme interprète le magistral Robert De Niro. Ce dernier, qui avait déjà fait ses preuves à cette époque et commençait à s'instaurer comme un des piliers du cinéma américain, nous livre ici une de ses meilleures, voire même d'un certain point de vue, LA meilleure prestation de sa carrière (oui, oui, vous avez bien lu !). Il disparaît complètement derrière ce personnage, tout en rendant excellemment bien son mélange de solitude et d'espoir désespéré de lendemains glorieux à l'écran. Aux critiques qui soulignent les similitudes entre les différents personnages de De Niro, je conseille vivement de regarder cette performance.
Au-delà d'une plongée dans la psyché de son personnage, le film propose également un regard acerbe sur la célébrité, portant aussi bien sur l'envie et la jalousie maladive qu'elle entraîne sur les individus ne l'ayant pas connue que sur le sentiment d'insatisfaction ressenti par les quelques chanceux parvenus au sommet. Ceci est particulièrement bien illustré par le passage où Langford se retrouve seul et isolé chez lui ainsi que par le magnifique monologue délivré par Jerry Lewis.
Mon seul regret au niveau scénaristique est que le film se conclut par un "happy end" pour le personnage de Rupert Pupkin, qui ne semble pas coller avec le ton du long métrage et qui ne montre pas le revers de la gloire (même si il est vrai que cette fin peut être interprétée d'une différente manière, au vu de la frontière fine entre réalité et fantasme sur laquelle se tient le protagoniste)
.
Le tout est également porté par le talent avéré de Scorsese en tant que réalisateur. Son apport est le dernier élément permettant de construire entièrement le personnage de Rupert. Il alterne les plans démontrant son détachement presque complet de la réalité (les scènes de fantasme éveillé sont ainsi plus dérangeantes par l'insertion d'un De Niro parlant seul entre chaque ligne de dialogue de Jerry) ou encore sa solitude (ces deux facettes sont très bien illustrées par mon plan préféré du film, à savoir le passage où Rupert s'imagine déblatérer son monologue dans un long couloir blanc au bout duquel se trouve une évidente image de public en carton, ce qui montre également que le personnage est encore loin de son objectif à ce moment du film). Il parvient donc à nous délivrer un film d'une ambiance particulière et unique, ne tombant jamais véritablement dans les codes d'un drame ou d'un thriller psychologique (il cadre cependant, pour le temps séquence très drôle d'un échange téléphonique, avec les standards d'une comédie pure).
En conclusion, et pour répondre à ma question d'introduction, on peut à l'évidence ranger cette oeuvre dans la catégorie des films injustement oubliés. Nous proposant une étude de personnage en béton, grâce au script, à la performance de De Niro et à la réalisation de Scorsese, ce long-métrage mériterait d'être mentionné plus régulièrement dans les discussions liées à la filmographie du fameux réalisateur. Espérons qu'il soit bientôt réhabilité dans le panthéon de ses oeuvres majeures (peut-être grâce à l'influence qu'en a visiblement tirée le futur film *Joker*), mettant fin à la triste ironie que le film de Martin explorant les affres de la célébrité fasse paradoxalement partie de ses long-métrages les moins célébrés.