En 1993, Emmanuel Siess, alors âgé de treize ans à peine, a été abusé par un prêtre à qui il vouait une confiance absolue. Ses parents n’ont pas cru leur enfant qui leur avait aussitôt rapporté les faits. Près de trente ans plus tard, après y avoir longuement réfléchi et contacté l’archevêque de Strasbourg, Emmanuel décide de porter plainte à la gendarmerie. Sa cousine, Claudia Marschal, une réalisatrice formée à l’école documentaire de Lussas (Ardèche), filme sa déposition.
Depuis l’admirable travail mené par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, on en sait plus sur ce sujet longtemps tabou : son rapport estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de victimes, surtout de jeunes garçons, d’abus commis par quelque trois mille pédo-criminels au sein de l’Eglise catholique depuis les années 50.
Emmanuel fut l’un d’entre eux, dont l’histoire serait banale si elle n’était pas dramatique. Elle a pour cadre le Sundgau haut-rhinois, à la frontière de l’Allemagne et de la Suisse. Benjamin d’une fratrie de trois enfants, délaissé par ses parents que la gestion quotidienne de leur bar-restaurant accaparait, hypersensible, Emmanuel est très pieux depuis sa tendre enfance. Il devient servant de messe et se rapproche du nouveau curé de la paroisse. Emmanuel raconte comment, un jour d’orage, le prêtre prenant prétexte de la pluie, l’a dénudé et caressé. Les faits sont prescrits car ils constituent des agressions sexuelles. Y aurait-il eu viol, ils ne l’auraient pas été, la prescription s’étendant désormais trente ans après la majorité du mineur violé.
Le documentaire de Claudia Marschal utilise les vieilles photos et les films Super-8 tournés pendant l’enfance d’Emmanuel. On y voit une France profondément rurale, qui me rappelle celle de mon enfance dix ans plus tôt, avec ses fêtes familiales copieusement arrosées. Emmanuel est le héros du film. Il a aujourd’hui près de quarante ans. C’est un bel homme qui assume son homosexualité sans ambages et qui est toujours en quête spirituelle : il a quitté l’Eglise catholique pour l’Eglise évangélique. Le père d’Emmanuel est l’autre héros du film : c’est un homme fruste qui s’exprime avec un très fort accent, animé par une foi profonde, presqu’idolâtre. Il est taraudé par le remords d’avoir fait la sourde oreille au témoignage de son fils et voudrait maladroitement rattraper le temps perdu.
J’ai eu la chance d’assister au Saint-André-des-arts au débat qui a suivi la projection du film, le jour de sa sortie, en présence de sa réalisatrice. Claudia Marschal a expliqué sa démarche avec beaucoup d’intelligence, refusant d’en faire le film d’un thème – les abus sexuels dans l’Eglise – ou d’une cause – la condamnation du père Hubert qui continue, comme si de rien n’était, à officier dans la même Église, située juste à côté du domicile familial.