Sorti en avant première dans le cinéma de Pont-Sainte-Marie (10150). Plongée passionnante dans les secrets dessous d’une grande, d’une immense dame, monumentale (30 000 m2 de superficie de bâtisses sur près de 30 hectares). Si elle est faite de pierre, elle n’en est pas moins vibrante, organique et diffuse une telle présence charnelle qu’il est impossible de rester de marbre. C’est qu’elle en a vu passer du monde, notre héroïne, toujours indifférente à la laideur des humains ou à leurs artifices ! Ne cédant pas plus à leurs éclats de rire qu’à leurs prières ou leurs gémissements. D’abord Abbaye Cistercienne rayonnante (elle fut construite pour cela), ensuite geôle de la République, la voilà désormais en partance pour une nouvelle naissance, une nouvelle destination, droite dans ses fondations depuis 1115. Bientôt un millénaire ! Plus qu’un trésor architectural, elle est un personnage clé, à la présence hypnotique, qui nous parle de nous-mêmes sans dire un mot. Elle exprime les temps de gloire des hommes, leurs déchéances aussi. Elles s’incarnent dans les fissures de ses murs, comme autant de rides ; dans les graffitis de ses crépis, comme autant de cicatrices. Loin d’en être défigurée, elle en est encore plus touchante, plus attachante, cette abbaye-fille de Cîteaux. On devine en la surplombant (sublime vue du ciel par laquelle débute le documentaire) sa gloire passée, ses allées grouillant de monde, de moines affairés – l’un des principes fondateurs de l’ordre cistercien, jamais démenti, est de fuir, grâce au travail manuel, l’oisiveté. Celle-là même que, des siècles plus tard, une poignée de détenus tentent de combattre pour fuir l’ennui de leur captivité en attendant d’être transférés vers d’autres établissements pénitentiaires puisque Clairvaux, en tant que maison centrale, va fermer. Et voilà deux de ces « longues peines » sous l’œil de la caméra attentive, attentionnée. Ils s’appellent Pierre-Jean et Michel… Chacun trop humain et désarmant à sa manière, quels que furent leurs passés. L’un occupe ses mains en créant inlassablement des maquettes qui évoquent la vie du dehors, l’autre méditant pour élever son être, un peu à la manière des abbés qui consacrèrent tant de temps à bâtir Clairvaux, ses cellules, sans imaginer peut-être que ces lieux d’isolement choisi deviendraient un jour des lieux d’incarcération imposée.
Le documentaire nous entraîne ainsi intelligemment vers une réflexion délicate et profonde sur l’enfermement, les enfermements devrait-on dire, car tous n’ont pas la même densité selon qu’ils sont contraints ou consentis. C’est un peu comme ces parentèles, ces cousinages qu’on se choisit dans la vie au-delà de nos familles génétiques, que l’on subit parfois, tout comme leurs préjugés qui nous emprisonnent moralement. La parole des détenus va être mise en résonance avec celle de deux reclus, Frère Pierre-André et Frère Benoît, qui ont fait vœu de clôture et choisi de s’extraire de la société, tous deux membres de l’Abbaye-mère Notre-Dame de Cîteaux, Fondatrice de l’Ordre Cistercien…
On entendra aussi l’administration pénitentiaire, les gardiens, leur attachement à ces lieux de misère… Sans pathos, mais sans concession, c’est une traversée de la condition humaine dans tous ses états qui nous est donnée à voir : de sa lumière à ses zones d’ombres, à travers le temps. Car Clairvaux, c’est aussi un haut lieu de l’histoire de France, de notre culture, où furent incarcérés autant des résistants que des collaborateurs, des personnages de roman…
Désormais, la moindre pierre de l’édifice vous semblera chargée de murmures, de prières, de gémissements, d’une âme véritable.