Deux ans après The Horse Soldiers (1959), John Ford tournait ce film, Two Rode Together. En France, le premier a été intitulé Les Cavaliers, et le second, Les Deux Cavaliers. Belle inspiration, encore une fois... Mais peu importe. Ford poursuit son grand tableau de l'histoire des États-Unis et reprend, pour ce film de commande, des thèmes qui lui sont chers. Le thème principal, déjà bien développé dans La Prisonnière du désert, concerne les femmes et les enfants blancs qui ont été kidnappés par les Indiens et contraints d'adopter leur mode de vie. Un thème qui s'inscrit dans le temps et met en évidence le difficile voire impossible retour aux sources pour ces individus, une réadaptation parfois non voulue ou rendue insupportable par une population blanche qui finalement ne les accepte plus, adoptant à leur égard une forme de racisme ordinaire. Dans le film, deux personnages font ainsi leur retour. Méprisés et considérés comme des bêtes de foire, ils étaient, selon un personnage, "mieux traités par les Comanches"... Le propos antiraciste du film, éloquent, lui confère en partie sa qualité.
Deuxième thème cher à Ford : la notion de justice (individuelle et collective) qui prend, vers la fin de l'histoire, une teinte très noire et laisse un goût très amer, avec la destinée du personnage de Running Wolf, adolescent violent "rapatrié" contre son gré. Cette noirceur et cette amertume trouvent cependant un contrepoint étonnant dans la tonalité générale du récit, véhiculée par un autre grand thème fordien s'il en est, l'amitié virile. Une amitié croquée avec une drôlerie irrésistible (assez rare chez Ford...), via des dialogues bien piquants, caustiques voire vachards. Une amitié fondée sur l'association des contraires. D'un côté, le personnage incarné par James Stewart dans un contre-emploi (ou presque) : shérif gredin qui ponctionne aux commerces de sa ville 10 % de leurs recettes, qui n'hésite pas à exploiter la détresse humaine... Bref, un personnage avide et cynique, apparemment sans coeur ni morale. De l'autre côté, le personnage incarné par Richard Widmark, lieutenant de l'armée, désintéressé, réglo et plutôt humaniste. Cette amitié improbable trouve ses atomes crochus dans un certain goût pour la bière, les femmes (dont l'une que les deux hommes semblent bien connaître, jusqu'aux petits secrets cachés dans sa lingerie) et surtout dans un antiracisme farouche.
Ces Deux Cavaliers surprennent au final par ce mélange paradoxal mais heureux de légèreté et de gravité, d'humour et de sens tragique. Très bien écrit (en matière de dialogues comme en matière de construction dramatique, avec la reprise à la fin d'éléments scénaristiques du début), le film témoigne d'une science du divertissement et d'une conscience politique propres à Ford, dans un registre pas si classique que ça, celui du western social, sans action spectaculaire ni rythme trépident (l'affiche française est trompeuse), sans grands espaces non plus. Western aux ciels plombés et aux ambiances nocturnes. Western plutôt intimiste, toujours intelligent, percutant, savoureux. Western que l'on peut préférer, dans la filmo de Ford, à certains de ses grands classiques, plus monolithiques, plus lourds (Les Cheyennes, par exemple).