Bon, les meilleurs Callahan sont décidément l'original, "Dirty harry", et "Le Retour de l'inspecteur Harry"; les autres n'ont plus l'âme même du film originel, et ont perdu l'intérêt de la saga. "Magnum Force" ne déroge pas à la règle; c'est une trahison, l'antithèse du film de base, son contraire au niveau de l'atmosphère; le film est coloré, lumineux. Il n'est plus question de prostitution comme de pornographie, de saleté des pavés et de pourriture humaine. Le soucis avec ce film, c'est qu'il me place devant un gros dilemme : d'un côté, le truc ne se justifie que pour le pognon qu'il est parvenu à engranger, mais de l'autre face du miroir, c'est un très bon divertissement, doublé d'une parabole plutôt convaincante sur la justice illégale, sur les vigilante du peuple. Et cela, voyez-vous, est très intéressant : un an avant le Punisher, c'est que l'on en sent les prémices, de ce Frank solide comme un Rock, de ce Castle imprenable. D'une partie, l'on pourrait résumer le film à "on prend les mêmes, et on recommence"; le soucis, c'est qu'il a complètement abandonné l'aspect noir du premier, sa personnalité viscérale autant que son haleine fétide de ville monstrueuse. C'est moche à dire, mais Callahan n'est plus Callahan : c'est qu'il est devenu drôlement sympa, le type : il se fait pote avec des jeunots, parle à la foule, se sociabilise; manque plus qu'il aille sauver des chatons dans les arbres, et la panoplie du parfait boy-scout lui sera délivrée. Sauf que Callahan, c'est pas ça. Callahan, c'est un flic robuste, paré à toute épreuve; donnez lui un cure dent, et il vous en fera une bombe. Donnez lui un flic novice, et il lui dépeindra le tableau de notre société décadente, pour qu'il n'y est point de "Relève". Donnez lui un Magnum, et il vous démontrera l'étendue de sa Force. Parce que Callahan, c'est pas le genre de mecs avec lequel t'as envie d'échanger, de parler; aborde pas la politique, ou tu vas te choper un bon vieux coup de 457 Magnum dans la gueule. Le mec, c'est un agressif par nature, un marginal par culture : alors comment peux-tu ô toi brave inconnu, imaginer atteindre les clefs du succès, en le transformant en pauvre femmelette sous anti-dépresseurs? Je grossis un peu le tableau, mais l'esprit y est : Callahan n'est plus Callahan, et reste à savoir si cette fois ci, Eastwood demeure Eastwood. Qu'on se le dise, Clint est toujours aussi bon : convaincant, il ne démontre pas encore les limites de son personnages, chose qu'il fera bien assez tôt ( dans le dernier épisode, en fait : "La dernière cible" ). En somme, Clint fait du Clint, et c'est pour ça qu'on l'aime. Non, le soucis ne vient pas de lui : il vient surtout de sa mise en scène, beaucoup trop colorée, rayonnante, loin des bas fonds d'antan, et de cette ambiance poisseuse propre à Siegel. Bon, c'est efficace ce qu'il fait, c'est même joli, parfois, mais l'on ressent tout de même moins d'aisance que chez Siegel, moins de talent. Certains plans demeurent marquant, mais le tout manque de maîtrise, de puissance : en bref, ça manque de personnalité. Sans être un objet estampillé "Eastwood", "Magnum Force" n'en demeure pas moins un film commun, banal et sans relief, privé de la moindre originalité de mise en scène. Son intérêt vient surtout de son écriture, précurseuse à bien des titres; les thèmes abordés sont traités d'une excellente manière, avec grand intérêt, et une intelligence certaine. Évitant le manichéisme de base pour y revenir par la suite ( l'intérêt, s'il vous plait? ), le film ne s’embarrasse pas de trop de clichés, et s'est muni, au préalable, de dialogues bien badass comme il faut, sans réellement se révéler lourds ou stéréotypés. J'aime à voir ce métrage comme un film sur une jeunesse qui ne croit plus en la justice de son pays, en la hiérarchie de l'autorité; les multiples crises en Amérique ont sapé leur moral, détruit leur volonté. C'est à la facilité qu'ils se remettent, à la sécurité : ils s'en remettent à eux mêmes, et n'ont plus aucune confiance en les autres, leurs frères patriotes. Et cette conduite semble justifier, à leurs yeux, tous les excès, toutes les bassesses. Harry, face à ça, fais effet de contrebalance : il équilibre le tout, le rend moins manichéen, moins stéréotypé. Mais le soucis, c'est qu'il se contredit lui-même : n'était il pas lui-même, dans le premier film, un genre de vigilante? J'avoue ne plus réellement comprendre, à ce niveau là d'incohérence. Mais retenez cela : la réflexion sur la justice, le libre-arbitre et la vengeance est parfaite, et fichtrement bien amenée. Car même si la fin, complètement bâclée, marque une trop grande rupture avec la qualité du reste de l'écriture, "Magnum Force" n'en demeure pas moins un film original, intelligent et réfléchi, en témoigne la présence de ce génie de John Milius au scénario.