« Il était une fois en Castille, vers 1940 ».. Le film du cinéaste espagnol Victor Erice commence ainsi, tel un conte de fée. Il va nous proposer l'histoire d'une jeune fille fascinée par Frankenstein dans un village isolé du monde extérieur, mais hanté par le spectre du franquisme. Un récit fort, un récit initiatique, comme un apprentissage de la mort, comme un passage de l'enfance vers l'age adulte. Laissée sans repères par une famille fuyant la réalité, la petite Ana (extraordinaire prestation d'Ana Torrent), va alors utiliser l'imaginaire pour survivre à sa réalité. Le cinéaste parvient à traduire ce point de vue de l'enfant, à la fois dans la dureté du réel, et dans la puissance de l'imaginaire qui vient s'y superposer. L'imaginaire, qui est ici symbolisé par le cinéma, avec la projection du film Frankenstein, et sa perception par un enfant, qui ne comprend pas que tout est « faux ». De cette mort fictive, Ana va partir pour aller rencontrer une mort « réelle ». Au final, la frontière entre vrai et faux, réalité et imagination, est brouillée, comme si les deux coexistaient. Victor Erice soigne chaque séquence d'un travail visuel remarquable. Le rythme est lent, mais jamais soporifique : on sent vivre chaque plan, chaque mouvement. La photographie est sublime, jouant avec les nuances de lumière et de couleurs, atteignant souvent une qualité picturale, dans un style clair-obscur. Le cinéaste utilise peu de dialogues, et fait surtout parler les images. La musique, composée par Luis de Pablo, participe à la dualité du film, entre chanson enfantine et air plus grave. Enfin, Victor Erice utilise des symboles très forts : Frankenstein et le cinéma, on l'a vu, mais aussi la ruche et les abeilles, métaphore qui ouvre plusieurs niveaux de lecture (indifférence à la mort? Monde des adultes réduit à un travail sans âme? Franquisme totalitaire?). «El espirito de la colemna » est un film somptueux, voyage fantasmagorique d'une enfant qui apprend à ouvrir les yeux sur le monde. Et cette Ana, c'est peut être chacun de nous, spectateurs de cinéma cherchant à apprivoiser nos propres monstres.