Derrière son aspect discontinu et brouillon s’écrit, en réalité, une ligne narrative on ne peut plus claire, celle d’un complot adolescent contre l’institution scolaire ici perçue comme prison et zone de turbulences. Par une première séquence filmée dans un train, Jean Vigo prend le soin d’inscrire le garçon dans une certaine vision du monde où se conjuguent le plaisir de la blague avec la soif d’aventures, tous deux révélateurs de sa liberté fondamentale. Ce qui surprend toutefois, c’est le choix du cinéaste de ne pas individualiser le corps de classe : les élèves se rassemblent en petits groupes autour d’un arbre ou dans une salle de classe, ils se recouchent contre la volonté de leurs supérieurs, ils se révoltent enfin à coups de polochons. La lutte que met en scène Vigo refuse par conséquent d’extraire un héros de la masse qu’elle investit ; c’est reconnaître l’utilité de chaque être dans la naissance puis la réalisation du complot, à l’image des divers membres et organes constituant le corps humain. Contre ces costumes noirs ou gris, contre les allures suffisantes et ampoulées, contre les barbes et les petites lunettes qui peinent à divulguer le caractère grotesque de ceux qui les portent, les garçons circulent en pyjamas, les fesses à l’air. Leur imagination et le plaisir qu’ils ont à faire des bêtises laissent entrevoir, en creux, le dérèglement de la société : attouchements, lubricité, violence, le personnel enseignant ne tient pas en place, grince ou rebondit, imite Charlie Chaplin sans raison. Zéro de conduite s’efforce de déconcerter le spectateur en recourant à une séparation stricte entre le mouvement des personnages et la direction exigée par le cours normal des choses : un instituteur prend à droite dans une rue, les élèves vont à gauche mais le retrouvent, plus loin. Le film s’achève sur une kermesse perturbée : le drapeau de la piraterie – aussi celui de l’anarchie – vole au vent, avant d’être récupéré par l’un des élèves qui l’arbore fièrement. Nous découvrions les adolescents dans un train qui filait à toute allure, nous les quittons sur le toit de l’école. De la liberté à la liberté, en passant par la détention provisoire qu’un mort, dans un wagon, présage d’emblée. De même que les élèves transforment leur professeur en installation artistique à l’aide de cordes et, surtout, d’inventivité, Jean Vigo laisse libre cours à son imagination, propose ainsi une plongée dynamique et décapante dans l’École atrophiée des années 30. Censuré puis prohibé, Zéro de conduite souffle une révolte politique depuis le regard amusé d’un enfant qui n’a, aujourd’hui, rien perdu de sa superbe libertaire.