Oui, François l'affirme.
Stéphanie et lui se sont bien déjà rencontrés par le passé.
C'était lors de son anniversaire à elle. Une réception avait été donnée au luxueux Hotêl Napoléon.
Ce soir-là François était au sommet de son élégance.
Chemise et veste blanches. Cravate et pantalon noirs.
L'ensemble était parfaitement assorti. La coiffure soyeuse. Le regard séducteur.
« On aurait dit James Bond » avoue même François, se souvenant d'ailleurs de lui face à un miroir, s'amusant à prendre la pose, le sourire gauguenard et deux droits dressés tout contre lui, faute de Walter PPK.
...Mais François a beau raconter la chose avec une certaine émotion dans la voix que Stéphanie - elle - ne s'en souvient pas.
François comprend. Mieux que ça : il sait pourquoi.
Il sait pourquoi personne ne l'a vu ce soir là, quand bien même était-il aussi bien habillé que tous les autres invités à cette réception.
Personne n'a pris la peine de le considérer tout simplement parce que ce soir-là il était serveur alors que les autres étaient servis.
Ce soir là il n'était rien juste parce qu'il était « de l'autre côté du buffet »...
...Du mauvais côté.
Cet échange qui a lieu au milieu du film - et qui, par bien des aspects est tout ce qu'il y a de plus anodin - dit au final beaucoup de ce qu'est ce « Coup de tête ».
« Coup de tête », c'est l'histoire d'une farce qui traite de l'arbitraire social ; de cette absurdité du lancé de dés initial qui conditionne tout le reste mais qu'on s'efforce de transformer par une mascarade ridicule où chacun croit pourtant y tirer son compte.
Aussi, celles et ceux qui ne voudraient voir dans ce film qu'une simple dénonciation du monde du football passent selon moi à côté de l'essentiel ; à côté de tout le reste.
Le football n'est qu'ici que la gigantesque roulette qui permet de révéler toute la supercherie de l'ensemble.
Un jour un coup du sort peut faire d'un pestiféré une idôle ; d'un patron un valet ; et d'un esclave un roi.
Alors chacun s'efforcera-t-il d'adapter son rôle en fonction de la nouvelle donne, avec la même hypocrisie sociale que lors de la distribution précédente.
Or c'est clairement dans ce petit jeu cynique que la patte de Jean-Jacques Annaud se faire sentir.
Jusqu'alors invisible par sa réalisation plutôt ordinaire, c'est dans ce parfum sulfureux qu'il devient possible de reconnaître son oeuvre.
J'avoue d'ailleurs tout particulièrement apprécier ce François Perrin bien plus sur la brèche que ce qu'il peut l'être d'habitude sous la seule plume de Francis Veber.
Le Perrin veberien se réduit souvent à n'être qu'une victime qui subit d'abord mais qui finit par être sauvé par un monde finalement pas si méchant.
Rien à voir avec ce Perrin là que ce monde ne pourra pas sauver.
Un Perrin qui n'est d'ailleurs pas si gentil que ça.
Le Perrin d'Annaud est un Perrin tel que ce monde l'a fait. Un Perrin en colère. Un Perrin aigri.
Lui aussi il marque des buts mais s'il se fait virer c'est parce que la star du club local en a décidé ainsi.
Lui aussi pourrait convoler d'amour avec la première de bal mais s'il est l'éternel figurant - quand bien même est-il plus beau et plus doux - c'est uniquement parce qu'il est le prolo de service qui ne pèse rien face à un pourtant petit assureur.
Et dans ce monde où les petits, au lieu de se serrer les coudes entre eux, ne font que soutenir les forts quelques soient leur identité du moment, Perrin n'a rien à espérer.
Alors Perrin pourrait céder à tout instant. Il pourrait voler, violer, brûler, détruire...
Au fond il pourrait devenir celui qu'on a voulu qu'il soit...
Mais c'est là tout l'intérêt de ce Perrin par rapport à tous les autres.
C'est que le Perrin d'Annaud, au lieu de jouer du coup de pied a su jouer du "Coup de tête".
Lorsque la roulette a tourné hasardeusement, le faisant passer un temps de l'autre côté du banquet, ce Perrin là a su régaler à sa façon, en renversant la table plutôt que se servir dessus.
A partir de là plus besoin d'agir. L'absurdité de cette société fera le reste. Et en plus tout cela sur le ton amusé d'un Pierre Bachelet s'il vous plaît !
...Un Pierre Bachelet qui, comme souriant de la puérilité de ce monde d'hommes en culottes courtes, a su agrémenter cette belle farce grinçante d'une ritournelle simpliste mais entêtante jusqu'à l'amusement.
Alors certes, ce "Coup de tête" est bien moins dense qu'un "Dîner de cons", bien moins rocambolesque qu'une "Chèvre" et aussi bien moins bon-enfant et gai/y-luron qu'un "Placard".
Néanmoins il contient en lui une truculence comique qui le distingue des autres farces wéberiennes et qui en fait son charme : c'est ce charme de l'humour révolutionnaire ; cet humour qui rappelle aux futilités de tous et de chacun - y compris de celles du héros - et qui nous soulage par une bonne vieille remise des compteurs à zéro.
Comme quoi, la farce sociale, ça a aussi ses vertus comiques...
...Et ça nourrit autant qu'un bon buffet.