Un fascinant miroir brisé, un film complètement fou et inégal, à moitié raté mais non dénué d'intérêt pour autant ! Contrairement à « Glory to the Filmmaker », « Takeshis' » comporte encore de véritables personnages, permettant une empathie que le second opus de la trilogie de « l'autodestruction de l'artiste » n'autorise pas. Pourtant on pénètre de plein pied dans l'entreprise d'auto-critique (acerbe) de Kitano, il suffit de constater la façon dont il se moque des travers de son art, comme il se maltraite, comme il rit de ses défauts d'artiste et d'homme… Nous avons affaire à un essai rageur, presque nihiliste, comme si le réalisateur nippon réglait ses comptes avec les autres et lui-même : on l'accuse de se complaire dans la violence gratuite ? Avec « Takeshis' » il en remet une sacrée couche ! On ne compte plus les fusillades ralenties avec sang qui gicle de partout. Et c'est loin d'être fini ! Les figures récurrentes de son cinéma comme de sa personnalité schizophrène de cinéaste et de comique trivial viennent hanter le présent long métrage, avec un soupçon d'ironie qui donne au film plusieurs niveaux de lecture bienvenus. D'autant que la structure même du long métrage, onirique, fantasmée, s'avère complexe et confuse, perdant le spectateur dans les méandres du cerveau du japonais. On en ressort tour à tour séduit, agacé, amusé, ému, surpris, écœuré, déçu ou enjoué : l'art de Kitano vole en éclats, mais s'il ne parvient pas à atteindre l'envergure d'un Fellini le pied de nez à la critique et au spectateur que constitue « Takeshis' » ne manque pas de sel. Plus troublant encore est cette profonde instabilité du film, qui pourtant garde une certaine cohérence : Kitano est en crise, il doute, il s'auto-invective, se met à nu… « Takeshis' » penche dangereusement du côté du néant, il se tient véritablement au bord du gouffre, prêt à sombrer dans le vide (ce qui arrivera en un sens avec « Glory to the Filmmaker »), mais ce qu'il laisse deviner de l'état du cinéaste s'avère terriblement touchant… A ce titre son angoisse, son blocage face aux attentes des uns et des autres, son complexe d'infériorité apparaissent de façon clairement manifeste ! C'est une œuvre qui comporte les défauts de ses qualités : sa liberté, son inventivité, son originalité demeurent tributaires de son relatif inachèvement.