"Elle va faire passer la Bataille des Bâtards pour un parc d'attractions". La prophétie de Peter Dinklage, l’interprète de Tyrion, au sujet de la très attendue Bataille de Winterfell au centre de l’épisode 3 de la saison 8 de Game of Thrones, s’est-elle réalisée cette nuit sur HBO et OCS ? Assurément, tant l’affrontement entre les héros de la série et l’armée des morts du Roi de la Nuit a offert un spectacle inédit à la télévision. Et même sur un écran en général. Oui, plus encore que la bataille du Gouffre de Helm du Seigneur des Anneaux en 2002.
Cette séquence des Deux Tours, tournée à l’époque durant 14 semaines de nuit et sous la pluie par Peter Jackson, a justement été analysée en détails par le réalisateur Miguel Sapochnik. Récompensé par un Emmy Award pour son travail sur La Bataille des Bâtards, le Britannique a fait en sorte de décrypter en amont de ses 55 nuits de tournage de l’épisode 3 ce qui fait une grande bataille à l’écran… et comment éviter de lasser le spectateur, comme il l’a confié dans le cadre d’une interview à EW.com.
"Le siège de Helm dure 40 minutes, mais surtout il met en scène trois batailles différentes dans trois lieux différents. C’est la scène contemporaine la plus impressionnante à laquelle je pouvais me référer. Je voulais essayer de comprendre à partir de quand le public se fatigue d’une bataille. Et je crois que nous allons faire plus fort. Je crois que la meilleure approche est de prendre chaque séquence et de se demander 'Pourquoi est-ce que j’aurais envie de regarder la suite ?'. J’ai notamment compris que moins il y a d’action, du moins de combat, mieux c’est. Nous avons aussi fait en sorte de multiplier les genres. Il y a du suspense, de l’horreur, de l’action, du drame, et on ne reste pas bloqué sur le fait de tuer et encore tuer, car alors tout le monde devient insensible et la scène ne veut plus rien dire".
La Bataille de Winterfell parvient justement à tenir cette promesse, en alternant les lieux (la plaine, les remparts, la cour, le Bois Sacré, les couloirs, la bibliothèque, la crypte, les airs), les personnages (Jon, Daenerys, Tyrion, Sansa, Arya, Jaime, Brienne, Jorah, Sam, Thormund, Bran, Clegane, Beric, Theon…) et les genres / ambiances, au sein d’une longue nuit de combat et de mort. Avec le défi que cela suppose de donner de la cohérence à l’ensemble.
"Nous avons pris conscience que quand vous regardez un film comme Assault -ces films où un groupe est assiégés-, il y a habituellement un groupe de personnages et un thème central. J’ai donc essayé de définir quelle histoire on racontait. Et c’était différent de tout ce que j’avais fait auparavant, qui était raconté du point de vue de Jon. Ici, j’avais vingt personnages et chacun voudrait les voir au centre de l’action. C’était donc compliqué car les meilleures batailles sont celles qui ont un point de vue très fort, or ici le point de vue est objectif même si vous passez d’un personnage à l’autre, car c’est justement l’alternance des points de vue qui donne un regard objectif, que vous le vouliez ou non. Il fallait donc me demander constamment 'Quelle histoire est-ce que je suis en train de raconter ? Et quelles restrictions positives cela m’impose ?'".
Difficile dès lors de résumer les 75 minutes (!) de cet épisode épique et constamment surprenant, qui entremêle les enjeux et les destins dans des décors "réels" (le réalisateur a en effet tenu à réduire l’utilisation des fonds verts au maximum pour plonger le spectateur au cœur des combats, et la forteresse de Winterfell a ainsi été quasiment construite en intégralité pour les besoins de cet épisode). Mais essayons.
Tout démarre au pied des murs, dans la plaine, où sont alignés cavaliers Dothrakis, infanterie d’Immaculés, Sauvageons, soldats du Nord et catapultes, encadrés par les personnages principaux, tous ou presque en première ligne, notamment Brienne, adoubée chevalier des Sept Couronnes dans le final de l’épisode précédent, ainsi que Sam qui rejoint son frère de la Garde de Nuit Edd-la-Douleur ("Ah putain de merde, t’as pris ton temps !"). Jon et Daenerys observent la bataille à venir depuis une colline proche, Sansa et Arya sont aux remparts. Tyrion et Varys dans la crypte. Théon et Bran dans le Bois Sacré. Survient alors Melisandre. La Dame Rouge enflamme les armes dothrakis sous les yeux de Jorah Mormont, avant de lancer un regard appuyé à Arya, sur les remparts. Nous y reviendrons. La charge est lancée, le combat peut commencer.
Les Dothrakis s’élancent tandis qu’une pluie de projectiles enflammés s’abat sur l’obscurité où se cachent les Morts. Rapidement, leurs serpes brûlantes s’éteignent une à une, au loin, puis l’on voit revenir quelques chevaux sans cavaliers, ainsi que quelques survivants, dont Jorah, hébétés… Un tsunami de cadavres s’abat alors sur les combattants. Telle une vague ininterrompue, l’armée des Marcheurs blancs déferle sur les soldats dans un fracas d’épées, de hurlements et de brouillard glacé, qui voit notamment tomber Edd. Malgré leurs armes en verredragon et l’aide de Daenerys et Jon à dos de dragons, les Humains se replient vers le château, et Ver Gris doit se résoudre à sacrifier ses hommes pour protéger cette retraite.
Melisandre parvient à allumer d’un feu magique les pieux qui entourent Winterfell, et donne un répit aux combattants. Un répit de courte durée, puisque les cadavres s’entassent sur les flammes, formant des "ponts" pour permettre aux autres Marcheurs de passer et d’atteindre les remparts. Dans des séquences évoquant World War Z, les morts s’agglutinent tels des insectes le long des murailles et envahissent rapidement Winterfell, malgré la bravoure de Brienne, Jaime ou Arya, qui met sa nouvelle arme (un bâton aux deux extrémités meurtrières) à l’épreuve.
Dans la cour, la jeune Lady Mormont est broyée à mort par un Géant, qu’elle parvient à terrasser dans un dernier coup d’épée héroïque. Dans les couloirs de Winterfell, le Limier et Beric Dondarrion portent secours à Arya : le guerrier de la Fraternité y laisse la vie, sa "mission accomplie", sous les yeux de Mélisandre qui rappelle à Arya une prophétie oubliée de la saison 3 : "Des yeux bruns, des yeux verts, des yeux bleus que tu fermeras". Dans le Bois Sacré, Theon et ses hommes défendent vaillamment Bran. Dans les airs, Daenerys et Jon parviennent à faire chuter le Roi de la Nuit de son dragon, mais le chef des Morts se montre insensible au déluge de feu "Drakarys" : Jon décide donc d’aller affronter son Nemesis sur le champ de bataille pour le duel tant attendu par les fans. Ce combat n’arrivera pas.
Le Marcheur Blanc ranime en effet tous les morts, avant de poursuivre sa route vers Winterfell, laissant Jon seul face à ces nouveaux Marcheurs. Dans la crypte, Tyrion, Sansa, les femmes et les enfants assistent à la "renaissance" des cadavres enterrés. Dehors, Jorah Mormont défend Daenerys, qui a chuté de son dragon. Le Roi des Morts parvient jusqu’au Bois Sacré, et tue Theon, lancé dans une dernière charge héroïque pour protéger Bran. Mais alors qu’il s'apprête à frapper le jeune Stark et que Jon tente, sans succès, de rejoindre son frère dans un Winterfell en ruines, c’est Arya qui parvient à tuer le Roi de la Nuit, accomplissant la prophétie.
Les yeux bleus sont fermés. Les morts s’écroulent. Jorah Mormont et Melisandre également. Le jour se lève. Et en écho aux mots de Gandalf à la fin des Deux Tours, le spectateur ne peut s’empêcher de penser : "La bataille de Winterfell est terminée, la bataille pour Westeros ne fait que commencer."
La bataille pour Westeros, ce sera dans les trois prochains épisodes, notamment l’épisode 5, également confié à Miguel Sapochnik. En attendant cette deuxième moitié de (trop courte) saison finale, restent des images inoubliables, auxquelles ces lignes ne pourront jamais rendre justice, où se mêlent vivants et morts, feu et glace, action et émotion, piano et violon. Et toujours plus de questions sur l’identité de celui ou de celle qui finira par conquérir le Trône de Fer.