Le doublé pour Ruben Östlund ! Cinq ans après The Square, sa première Palme d'Or, le réalisateur suédois rejoint le club très fermé des cinéastes ayant décroché par deux fois la trophée suprême du Festival de Cannes. Une récompense remise par le jury de Vincent Lindon à Sans filtre (Triangle of Sadness), long métrage cynique, inattendu et provocateur.
Il égale notamment les frères Dardenne, qui n'ont pas réalisé le triplé mais sont repartis avec un prix spécial du 75e anniversaire pour Tori et Lokita… et ont permis à la Belgique de faire un carton plein, puisque ses trois candidats ont été primés : Les Huit Montagnes a reçu le prix du jury (ex-æquo avec EO), tandis que Close, favori de la presse et du public, est reparti avec le grand prix (ex-æquo avec Stars at Noon de Claire Denis, seul opus français au palmarès).
La Corée du Sud s'est également distinguée grâce à Park Chan-wook (prix de la mise en scène pour Decision to Leave) et Song Kang-Ho (prix d'interprétation masculine pour Les Bonnes étoiles d'Hirokazu Kore-Eda), alors que la séquence émotion a été offerte par Zar Amir Ebrahimi, prix d'interprétation féminine pour Les Nuits de Mashhad, contrainte de quitter l'Iran.
Le palmarès complet du 75e Festival de Cannes
- Palme d'Or
Sans filtre de Ruben Östlund
- Grand Prix (ex-æequo)
Close de Lukas Dhont
Stars at Noon de Claire Denis
- Prix de la mise en scène
Park Chan-wook pour Decision to Leave
- Prix spécial du 75e anniversaire
Jean-Pierre et Luc Dardenne - Tori et Lokita
- Prix d'interprétation féminine
Zar Amir Ebrahimi pour Les Nuits de Mashhad
- Prix d'interprétation masculine
Song Kang-Ho pour Les Bonnes étoiles
- Prix du scénario
Tarik Saleh pour Boy from Heaven
- Prix du jury (ex-æquo)
Les Huit Montagnes de Charlotte Vandermeersch & Felix Van Grœningen
EO de Jerzy Skolimowski
- Caméra d'Or
War Pony de Riley Keough & Gina Gammell
- Caméra d'Or - Mention spéciale
- Palme d'Or du Court-Métrage
Hai Bian Sheng Qi Yi Zuo Xuan Ya de Story Chen
- Palme d'Or du Court-Métrage - Mention spéciale
- Oeil d'Or
Tout ce que nous respirons de Shaunak Sen
- Oeil d'Or - Prix spécial du jury
Mariupolis 2 de Mantas Kvedaravicius
- Prix Oecuménique
Les Bonnes étoiles d'Hirokazu Kore-Eda
- Prix Fipresci - Compétition officielle
Leila et ses frères de Saeed Roustaee
- Prix Fipresci - Un Certain Regard
Le Bleu du Caftan de Maryam Touzani
- Prix Fipresci - Section parallèles
- Prix des Cinémas d'Art et Essai
Sans filtre de Ruben Ostlünd
- Mention spéciale des Cinémas d'Art et Essai
EO de Jerzy Skolimowski
- Prix François Chalais
Boy from Heaven
- Prix de la Citoyenneté
Leila et ses frères de Saeed Roustaee
- Prix Cannes Soundtrack
Pawel Mykietyn pour EO
- Prix CST de la Jeune Technicienne de Cinéma
Marion Burger, cheffe décoratrice d'Un petit frère
- Prix CST de l’artiste-technicien
L'équipe son de Sans filtre
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TOUS LES LAURÉATS DE CANNES 2022
Sans filtre de Ruben Östlund (Palme d'Or)
Et la Palme d'or revient à un film choc ! Un an après Titane, c'est donc Sans filtre, long métrage qui porte bien son titre (Triangle of Sadness en VO), qui repart avec la tant convoitée récompense. Après sa Palme d'or pour The Square en 2017, Ruben Östlund décroche (déjà) une seconde Palme d'or. Le cinéaste suédois pousse le curseur du cynisme encore plus loin que dans son précédent film, dans un long métrage en trois chapitres, l'un nous présentant un couple d'influenceurs - mannequins, l'autre nous emmenant à bord d'un yacht de luxe et le dernier sur une île déserte. Le chapitre central, très provoquant (aux faux airs de Grande Bouffe par instants !), ne devrait pas manquer de faire réagir ! Sortie : prochainement. Brigitte Baronnet
Close de Lukas Dhont (Grand prix ex æquo)
Quatre ans après la Caméra d’or - prix qui récompense les premiers longs métrages -, le cinéaste belge Lukas Dhont signe un retour remarquable et remarqué avec Close. Son film remporte le Grand Prix, ex æquo avec Stars At Noon de la Française Claire Denis. Le drame, d’une intensité renversante, suit l’amitié fusionnelle de deux garçons de 13 ans et révèle deux beaux talents : Eden Dambrine et Gustav De Waele. Dans des rôles secondaires, Léa Drucker et Emilie Dequenne interprètent des mères délicates et bouleversantes. Le cinéaste pointe du doigt les jugements et les préjugés présents dans les cours d’école. Lukas Dhont embrasse le genre du mélodrame, filme les pleurs et les étreintes, sans jamais tomber dans le pathétique et le tire-larmes facile. C’est cette pureté et cette puissance qui désarment le spectateur. Sortie prochainement. Thomas Desroches
Stars at Noon (Grand Prix ex aequo)
Claire Denis n'était pas revenue en compétition à Cannes depuis 1988, et ce grand retour est donc auréolé d'une belle récompense : celle du prix du jury (ex aequo avec Close de Lukas Dhont). Un prix remis quelques mois seulement après l'Ours d'argent de la réalisation au Festival de Berlin pour Avec amour et acharnement.
Son nouveau film a pour titre Stars at Noon (nom du roman d'origine de Denis Johnson qu'elle adapte). Un film en langue anglaise, avec Margaret Qualley (remarquée dans Once Upon A Time in Hollywood, et héroïne de la série Maid sur Netflix) et Joe Alwyn (découvert dans Un jour de la vie de Billie Lynn).
L'intrigue se passe dans les années 80, en pleine révolution nicaraguayenne. Stars at Noon raconte l'histoire de deux amants, pris au piège de ce pays pour différentes raisons que l'on va découvrir, et surtout pris au piège de leur passion amoureuse. On retient avant tout de ce film ces deux acteurs, dont l'association fait des étincelles.
Margaret Qualley y est, comme toujours, magnétique. Joe Alwyn, qui remplace Robert Pattinson, initialement convoité pour ce rôle (mais retenu par le retard pris par The Batman), séduit aussi. Ce couple fait clairement écho à ceux que l'on pouvait trouver dans les films d'espionnage dans les années 40. Stars at Noon joue clairement sur ces codes, en installant une tension et un suspense. Ajoutez à cela la moiteur du pays, une langeur dans la mise en scène, et une musique jazzy signée Stuart Staples de Tindersticks, et vous aurez une idée du charme qui se dégage de ce film. Sortie : prochainement. Brigitte Baronnet
Park Chan-wook pour Decision To Leave (Prix de la mise en scène)
Park Chan-wook revient enfin au Festival de Cannes six ans après Mademoiselle. Son nouveau film délicieux et étonnant Decision To Leave, suit l'enquête de Hae-Joon, un détective chevronné, sur la mort suspecte d'un homme survenue au sommet d'une montagne. Sa rencontre avec Sore, la mystérieuse épouse chinoise du défunt, va le déstabiliser à tel point qu'il la soupçonne en même temps qu'elle l'attire. Le scénariste et réalisateur sud-coréen s'amuse avec ce nouveau film en mêlant romance impossible et thriller noir et offre un divertissement malin et enivrant en convoquant Alfred Hitchcock et David Fincher. La mise en scène minutieuse, précise et ludique de Decision To Leave est à l'image du jeu amoureux burlesque, sentimental et tragique entre cet enquêteur et cette suspecte, incarnés par les excellents Park Hae-il et Tang Wei. Grâce à un scénario finement écrit, qui ne laisse aucun détail au hasard, on est rapidement pris par ce récit élégant et drôle, qui décortique le sentiment amoureux intense, celui qui vire à la passion obsessionnelle et qui nous consume de l'intérieur. Cette romance inscrite dans un polar, à la photographie magnétique et à la bande sonore soignée, prend une toute autre ampleur et devient vite passionnante alors qu'elle est impossible et toujours sujette à des rebondissements. Mégane Choquet
Tori et Lokita de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Prix spécial du 75e anniversaire)
Jean-Pierre et Luc Dardenne auraient pu marquer l'Histoire du Festival de Cannes en devenant les premiers réalisateurs à remporter trois Palmes d'Or. Mais Tori et Lokita ne leur a offert "que" le prix spécial du 75e anniversaire que le jury avait le droit de remettre. Une manière de mettre en lumière leur importance dans la manifestation, grâce à un film qui, après la radicalisation dans Le Jeune Ahmed, leur opus précédent, aborde un autre sujet de société : l'immigration. Venus d'Afrique, Tori et Lokita, un jeune garçon et une adolescente, font face ensemble aux dures conditions de leur exil en Belgique, où ils n'ont pas de papiers. Et sont donc autant à la merci des autorités que de la criminalité, à l'image de ce restaurateur qui se sert aussi bien d'eux pour livrer des pizzas que de la drogue. Réputés pour leur talent lorsqu'il est question de naturalisme, les Dardenne ne déçoivent pas malgré une tendance à frôler le misérabilisme, qui menace le récit de s'effondrer. Mêlant de nouveau acteurs amateurs et professionnels, les réalisateurs belges réussissent cependant à rester dans le cadre de leur récit sans en perdre le cœur, l'amitié entre Tori et Lokita qui se font passer pour frère et sœur, jusqu'à une fin qui arrive brutalement et pourrait diviser le public. Et le jury ?
Zar Amir Ebrahimi dans Les Nuits de Mashhad (Prix d'interprétation féminine)
Son histoire rend son prix encore plus fort. L'actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, qui a dû fuir l'Iran en raison d'un scandale de sextape qui lui avait valu la menace du gouvernement, incarne dans Les nuits de Mashhad d'Ali Abbasi une journaliste, Rahimi, qui enquête sur un tueur en série, auteur de féminicides au début des années 2000 en Iran. Ce rôle de reporter qui fait face à la misogynie de la société iranienne, qu'Ali Abbasi questionne dans toute sa complexité à travers le film, lui vaut donc d'être récompensée et de prendre une certaine revanche sur la vie et sur cette expérience traumatisante et dangereuse qui a mis sa carrière en péril. Elle campe donc une journaliste qui enquête sur Saeed Hanaei, auteur d’une série de féminicides qui a bousculé l’opinion publique dans la ville sainte de Mashhad. Par cette affaire tragique, pour lequel Saeed Hanaei était surnommé l’Araignée par la presse iranienne, Ali Abbasi rend compte d’une part sombre mais pas si cachée que ça du traitement des femmes dans la société iranienne grâce à un travail de documentation de plus d’une dizaine d’années. Sa multiplicité des points de vue et sa mise en scène à hauteur d’homme en font un thriller noir organique et bouleversant. Mégane Choquet
Song Kang-Ho dans Les Bonnes étoiles (Prix d'interprétation masculine)
Une Palme d'Or en 2019 (grâce à Parasite, dont il était l'un des acteurs principaux). Une place au jury en 2021. Et un Prix d'interprétation cette année pour le coréen Song Kang-Ho. Grâce au japonais Hirokazu Kore-Eda (palmé en 2018), qui lui a offert un rôle magnifique dans le bouleversant Les Bonnes étoiles. Après la France, où il a examiné le mythe Catherine Deneuve, le réalisateur pose ses caméras en Corée du Sud. Et il garde ses thèmes de prédilection habituels que sont la famille et l'enfance, sur fond de phénomène de société. Il y est des question des boîtes dans laquelle des femmes peuvent abandonner leur bébé en toute sécurité, en place dans le pays depuis 2010. C'est ainsi que commence Les Bonnes étoiles, avant que deux hommes ne récupèrent illégalement le bambin pour tenter de lui trouver un nouveau foyer. On pense parfois à Little Miss Sunshine, lorsque cette famille recomposée et dysfonctionnelle (à laquelle vient se greffer la mère de l'enfant) traverse le pays en van. Il y a aussi un peu d'éléments policiers avec cette capitaine (Doona Bae) qui les suit pour tenter de les prendre en flagrant délit. Mais c'est surtout l'émotion qui prédomine. Sans trop en faire, comme d'habitude chez le réalisateur, capable de nous cueillir avec un simple geste, alors que le récit s'inscrit dans la continuité de ses films précédents, Tel père, tel fils en tête. On pourrait accuser la fatigue accumulée en cette fin de festival pour les larmes provoquées. Mais il faut tout simplement admettre que Les Bonnes étoiles est très beau. Et permet à Song Kang-Ho de recevoir, enfin, un prix à la hauteur de son immense talent. Maximilien Pierrette
EO (Hi-han) de Jerzy Skolimowski (Prix du jury ex æquo)
Un OVNI récompensé par le Prix du jury ! EO (Hi-han) du Polonais Jerzy Skolimowski n’a pas laissé Vincent Lindon et ses partenaires indifférents. Le cinéaste suit le parcours d’un âne - baptisé EO ou Hi-Han en version originale. Rescapé d’un cirque grâce à l’aide de militants, l’animal engage un voyage où il va découvrir les visages complexes de l’être humain. Pour illustrer ce périple, le réalisateur s’essaye à différents styles de réalisation et réinvente même une façon de faire du cinéma. Il met en lumière la bonté, la bêtise et la cruauté des Hommes. La musique de Pawel Mykietyn accompagne parfaitement cette aventure visuelle et sensorielle. Thomas Desroches
Les Huit montagnes de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen (Prix du jury ex æquo)
Les Huit montagnes, le drame naturaliste du duo de réalisateurs Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, s’empare du Prix du jury, ex æquo avec EO de Jerzy Skolimowski. Le film dresse le portrait de deux hommes, amis dès leur enfance, qui se sont perdus de vue et pris des chemins différents. Lorsque le père d’un des deux décède, ils se retrouvent pour construire une maison perchée dans les hauteurs de l’Aoste, une région en Italie. Le duo de réalisateurs embrasse leur décor - les montagnes sont presque des personnages à part entière - et filment, d’une manière contemplative, des paysages d’une beauté renversante. Le film suit la quête d’identité de ces deux hommes que tout oppose et que le malheur de la vie rassemble. Vrai dépaysement, Les Huit montagnes émeut par la puissance de ces deux interprètes et la délicatesse de son écriture. Le 21 décembre 2022 au cinéma. Thomas Desroches
War Pony de Riley Keough & Gina Gammell (Caméra d'Or)
Jusqu'au dernier jour, l'ombre d'Elvis Presley a plané sur ce 75ème Festival de Cannes : en plus du biopic que Baz Luhrmann lui a consacré, c'est sa petite-fille qui s'est illustrée avec sa première réalisation. Secondée par Gina Gammell (co-productrice de Dixieland, dans lequel elle jouait), Riley Keough faisait ses premiers de réalisatrice. Et c'est peu dire qu'ils sont réussis, car ils lui ont valu la Caméra d'Or, qui récompense le meilleur premier long métrage, toutes sections confondues. Dans War Pony, la néo-cinéaste nous emmène dans la réserve indienne de Pine Ridge (Dakota du Sud) pour raconter l'histoire de passage à l'âge adulte de deux jeunes qui tente de s'en sortir. Quitte à tomber dans l'illégalité. Ceux qui ont vu le très beau The Rider de Chloé Zhao se sentiront peut-être en terrain connu, car la cinéaste oscarisée avait tourné dans la même région. On pense également à la série Reservation Dogs, qui explore les mêmes thèmes, ou à American Honey d'Andrea Arnold, déjà avec Riley Keough au casting, qui montrait une Amérique trop souvent laissée en-dehors du cinéma. Porté par des acteurs non-professionnels bluffants de naturel (dont beaucoup étaient présents pour la projection officielle, et très émus face aux applaudissements qui leur ont été réservés), War Pony impressionne par sa maîtrise, que viennent à peine entâcher quelques longueurs dans le récit. Les deux réalisatrices nous offrent un conte tantôt grave et léger, qui flirte légèrement avec l'onirisme et ne met pas longtemps à nous séduire. Et non content d'avoir remporté la Caméra d'Or, il a également reçu la Palm Dog, qui récompense le meilleur chien vu dans un film. Maximilien Pierrette