L’émotion était palpable dans l’enceinte du Palais des festivals où Plus que jamais, film d’Emily Atef, était présenté en avant-première mondiale ce samedi 21 mai. Le drame marque le dernier rôle de l’acteur Gaspard Ulliel, décédé le 19 janvier dernier après un accident de ski. Lorsque son nom apparaît, un torrent d’applaudissements fait vibrer les murs de la salle. Un au revoir déchirant.
Côté compétition, la projection des films se poursuit avec le grinçant Sans filtre, nouveau long métrage de Ruben Östlund, qui avait remporté la Palme d’or en 2017 avec The Square. Le retour également d’un autre ancien lauréat, Cristian Mungiu, qui avait gagné le prix suprême en 2007 avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Il présente cette fois-ci R.M.N., toujours en compétition officielle.
Cap sur les sections parallèles où Virginie Efira donne la réplique à Benoît Magimel dans Revoir Paris, film dramatique d’Alice Winocour, qui raconte le parcours d’une femme témoin d’un attentat. Sans oublier la nouvelle comédie de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser, projeté en séance de minuit.
Retrouvez le dernier épisode de notre podcast dans lequel on parle des films vus lors du 75e Festival de Cannes :
Plus que jamais (Un Certain Regard)
L'émotion forte du Festival de Cannes, la voici. Plus que jamais est l'ultime rôle de Gaspard Ulliel, décédé tragiquement en janvier dernier à l'âge de 37 ans. Impossible de ne pas être ému à la vision de ce film, dans lequel le thème du deuil, la perte d'un être cher est centrale. Le film suit Hélène (Vicky Krieps) et Mathieu (Gaspard Ulliel), heureux ensemble depuis de nombreuses années. Le lien qui les unit est profond. Confrontée à une décision existentielle, Hélène part seule en Norvège pour chercher la paix et éprouver la force de leur amour. Gaspard Ulliel et Vicky Krieps sont tous deux bouleversants dans ce film, souvent lumineux, malhré la dureté de son sujet, avec des scènes très intense. La réalisation est signée Emily Atef, qui avait précédemment réalisé Trois jours à Quiberon, et plus récemment deux épisodes de la dernière saison de Killing Eve. Sortie : 9 novembre 2022 Brigitte Baronnet
R.M.N. de Cristian Mungiu (En Compétition)
Six ans après son Prix de la mise en scène pour Baccalauréat, le réalisateur roumain Cristian Mungiu présente R.M.N., un drame dans lequel un homme revient dans son village natal de Transylvanie après avoir quitté son travail en Allemagne. Pour beaucoup, il est devenu un étranger. Alors qu’il tente de retrouver sa place parmi les siens, trois travailleurs originaires du Sri Lanka s’installent au sein de la petite communauté. Ragots, clichés racistes, agressions violentes… Une haine s’installe peu à peu dans le village isolé, pourtant réputé pour sa tranquillité. Cristian Mungiu dessine un portrait - peu glorieux - de l’être humain dans toute sa complexité. Il aborde frontalement la peur de l’autre et ses conséquences dévastatrices. Le film ne cache pas son message politique et monte en tension dans une deuxième partie presque angoissante. Thomas Desroches
Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (Séance de Minuit)
Quentin Dupieux à Cannes, c'est un pneu tueur (Rubber), Jean Dujardin obsédé par sa nouvelle veste (Le Daim) et maintenant un groupe de justiciers, les "Tabac Force" dont la mise au vert censée renforcer leur cohésion est interrompue lorsqu'un Empereur du Mal décide d'anéantir la planète Terre. Bref, du genre mâtiné d'absurde (et inversement), formule à laquelle Fumer fait tousser ne déroge pas. Avec un casting démentiel. Pour son dizième long métrage, Quentin Dupieux a en effet réuni une poignée d'habitués de son cinéma (Benoît Poelvoorde, Alain Chabat, Grégoire Ludig, David Marsais, Anaïs Demoustier, Adèle Exarchopoulos…) auxquels se joignent des petits nouveaux prestigieux tels que Jean-Pascal Zadi, Oulaya Amamra, Vincent Lacoste et Gilles Lellouche. Que le cinéaste réunisse les Avengers de son cinéma pour une histoire qui mêle super-héros et Contes de la Crypte n'est donc pas très surprenant. Contrairement au résultat. Costumes moulants, méchants en mousse, hectolitres de sang… Fumer fait tousser n'a pas manqué d'enflammer le Grand Théâtre Lumière, visiblement conquis par cet opus drôle, sanglant, étonnant, délirant, capable de changer d'ambiance d'une séquence à l'autre. Avec une confirmation : quand Dupieux est dans les parages, il y a donc de fortes de chances que la Croisette s'amuse. Maximilien Pierrette
Chronique d'une liaison passagère d'Emmanuel Mouret (Cannes Première)
Faute de festival, Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait n'avait eu droit qu'à un label Cannes 2020. Deux ans plus tard, Emmanuel Mouret est bien présent sur la Croisette pour cette nouvelle exploration de la carte du tendre : Chronique d'une liaison passagère. "Le titre est un programme car il contient aussi la fin", disait le réalisateur et scénariste au moment d'annoncer la projet, qu'il a aussi envisagé d'appeler "Scènes de la vie extraconjugale". Le réalisateur ne manque d'ailleurs pas de citer ouvertement le classique d'Ingmar Bergman, dont l'ombre plane dans ce récit où, comme toujours, les mots et sentiments priment. Et où l'alchimie entre Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne fait des étincelles. Dès la première scène, leur complicité crève les yeux, leur opposition d'énergie (son côté pétillant à elle face à sa gaucherie à lui) séduit, et rend d'autant plus difficile cette fin inéluctable, autour de laquelle Emmanuel Mouret bâtit un suspense sentimental. Vif, fluide et attachant, Chronique d'une liaison passagère laisse les vies de ses personnages principaux hors-champ pour ne se concentrer sur leurs entrevues, bâties autour d'un lieu, d'une idée. Souvent très drôle, toujours très juste. Cannes 2021 avait eu Julie (en 12 chapitres), autre histoire de sentiments morcelée. Au vu des rires, réactions et applaudissements nourris, l'édition 2022 a peut-être trouvé son équivalent. Maximilien Pierrette
War Pony de Riley Keough & Gina Gammell (Un Certain Regard)
L'ombre d'Elvis Presley plane sur ce 75ème Festival de Cannes. En attendant le biopic que Baz Luhrmann lui a consacré, c'est sa petite-fille qui s'illustre avec sa première réalisation. Secondée par Gina Gammell (co-productrice de Dixieland, dans lequel elle jouait), Riley Keough fait ses premiers pas derrière la caméra et nous emmène dans la réserve indienne de Pine Ridge (Dakota du Sud) pour raconter l'histoire de passage à l'âge adulte de deux jeunes qui tente de s'en sortir. Quitte à tomber dans l'illégalité. Ceux qui ont vu le très beau The Rider de Chloé Zhao se sentiront peut-être en terrain connu, car la cinéaste oscarisée avait tourné dans la même région. On pense également à la série Reservation Dogs, qui explore les mêmes thèmes, ou à American Honey d'Andrea Arnold, déjà avec Riley Keough au casting, qui montrait une Amérique trop souvent laissée en-dehors du cinéma. Porté par des acteurs non-professionnels bluffants de naturel (dont beaucoup étaient présents pour la projection officielle, et très émus face aux applaudissements qui leur ont été réservés), War Pony impressionne par sa maîtrise, que viennent à peine entâcher quelques longueurs dans le récit. Les deux réalisatrices nous offrent un conte tantôt grave et léger, qui flirte légèrement avec l'onirisme et ne met pas longtemps à nous séduire. Un joli candidat pour la Caméra d'Or (prix remis au meilleur premier long, toutes sections confondues)… et pour la Palm Dog, qui récompense le meilleur chien vu dans un film.
Boy From Heaven de Tarik Saleh (Compétition)
Après le magistral Le Caire Confidentiel, le réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh frappe une nouvelle fois un grand coup avec Boy From Heaven, qui lève toujours plus le voile sur les ignominies d’une société complexe à travers ses grandes institutions. Dans ce thriller dramatique, on fait la connaissance d’Adam, un simple fils de pêcheur, qui intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l'Islam sunnite. Ce qui aurait dû être une bénédiction pour lui se transforme en cauchemar lorsque le Grand Imam de l’institution meurt le jour de la rentrée. Suite à cet évènement tragique, Adam va se retrouver malgré lui plongé dans une spirale infernale où il devient un pion pour les élites religieuse et politique du pays. Choisi comme infiltré en pleine élection du nouveau Grand Imam, l’étudiant va être pris en étau entre les différents pouvoirs en jeu qui cristallisent tout un pays et qui sont le théâtre de corruption, de pression idéologique et de violence psychologique. Pour ce nouveau film percutant, le réalisateur, désormais interdit de séjour en Egypte, fait appel à son acteur fétiche Fares Fares, remarquable dans un rôle où il est méconnaissable, et au jeune talent Tawfeek Barhom, impressionnant dans la peau d’Adam. Outre les prestations des acteurs, Boy From Heaven se distingue par son récit brillant, passionnant et courageux, véritable diatribe d’un cinéaste engagé qui sait insuffler de l’urgence et un rythme haletant à son propos d’une grande intelligence. Mégane Choquet
Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux (Semaine de la Critique)
Comment représenter à l’écran les tourments de l’âme ? C’est le défi que s’est lancé Céline Devaux avec Tout le monde aime Jeanne, son premier long-métrage. La réalisatrice nous offre un bijou d’inventivité en mêlant la comédie et l’animation pour décortiquer les angoisses qui traversent un esprit mélancolique et brisé, celui de Jeanne que vous allez forcément aimer. Jeanne est surendettée après la faillite de son entreprise écologique qui faisait d’elle une superwoman. Elle se rend alors à Lisbonne pour mettre en vente l’appartement de sa mère décédée un an auparavant. Dès son arrivée à l’aéroport, Jeanne se retrouve embarquée dans un enchaînement ubuesque de rebondissements rythmés de rencontres et retrouvailles, qui vont peu à peu lui redonner le goût des choses, et surtout le goût d’elle-même. Céline Devaux offre un écrit introspectif original et authentique en transposant à l’écran les angoisses et questionnements qui passent par la tête au moyen d’un génial petit personnage animé, catalyseur d’émotions en tout genre et fil conducteur d’un parcours de résilience aussi drôle qu’émouvant servi par une Blanche Gardin en grande forme. Le reste de la distribution, Laurent Lafitte en tête, est tout aussi savoureux. Mégane Choquet
Sans Filtre (Compétition officielle)
Attention, film féroce ! Après sa Palme d'or pour The Square en 2017, Ruben Ostlund signe Sans filtre, long métrage qui porte bien son titre (Triangle of Sadness en VO). Le cinéaste suédois pousse le curseur du cynisme encore plus loin que dans son précédent film, dans un long métrage en trois chapitres. Le chapitre central, très provoquant (aux faux airs de Grande Bouffe par instants !), ne devrait pas manquer de faire réagir ! Sortie : prochainement. Brigitte Baronnet
Revoir Paris (Quinzaine des Réalisateurs)
A Paris, Mia est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle de l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible. Après Proxima, avec Eva Green dans le costume d'une astronaute, la cinéaste Alice Winocour s'intéresse au sujet des attentats, dans un film lointainement inspiré du Bataclan. Cette fiction prend le parti fort et passionnant de montrer en premier lieu la question de la mémoire traumatique. En d'autres termes, comment un drame comme celui là peut agir sur les souvenirs. Alice Winocour, parisienne d'origine, pose sa caméra pour la première fois à Paris, et montre la ville comme on l'avait rarement vue au cinéma. Elle filme un Paris meurtri, blessé par les attentats, comme un personnage à part entière. L'héroine de Revoir Paris reste bien sûr avant tout Virginie Efira, captivante, quasiment de tous les plans de ce long métrage qui lui offre un nouveau rôle beau, dense et complexe. Sa connexion avec Benoit Magimel est belle et fonctionne très bien à l'écran. Sortie : 7 septembre 2022