"Je me suis plongé en profondeur dans les comic books", nous répond Matt Reeves quand nous l'interrogeons sur les sources d'inspiration de The Batman. "Lorsque j'ai commencé mon travail, je voulais tout lire et voir. Je ne peux pas faire un film si je ne trouve pas un point d'entrée qui m'est personnel. Il lui faut être connecté à quelque chose qui, d'une manière ou d'une autre, me motive."
La motivation du réalisateur et co-scénariste du film emmené par Robert Pattinson n'est d'ailleurs pas bien difficile à déceler dans le cas présent : il suffit de l'écouter parler avec passion de ses intentions, de sa vision ou, ici, de ses sources d'inspiration. Et se rendre compte que sa réponse à notre question dure… 7 minutes 30 !
"Je pourrais continuer à l'infini", dit-il lorsqu'il réalise qu'il va devoir citer moins de titres pour abréger sa réponse. Au final, il évoque trois comic books et autant de longs métrages, que vous pouvez (re)lire et (re)voir avant la sortie de The Batman, le 2 mars. Ou pour prolonger l'expérience ensuite. Et ce sera d'autant plus facile qu'Urban Comics a réédité certains volumes en lien avec le long métrage.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 décembre 2021
"THE BATMAN" : LES SOURCES D'INSPIRATION DE MATT REEVES
EGO (2000)
Quelques années avant "The New Frontier", considéré comme son chef-d'œuvre, Darwyn Cooke s'était attaqué à Batman avec "Ego". Déjà avec ce style de dessin rétro qui tranche avec la noirceur du récit dans laquelle l'Homme Chauve-Souris flirte avec la folie après le suicide d'un homme de main du Joker. Matt Reeves : Ce qui m'a d'abord parlé - et c'est ainsi que Batman a commencé - c'est cette ambiance de film noir, fataliste. Cette lutte contre un monde corrompu. Les comic books de Bob Kane et Bill Finger ont vraiment débuté avec ce ton et, au fur et à mesure de ma lecture, ceux qui m'intéressaient le plus étaient ceux qui plogeaient le plus dans la psychologie du héros, et sa noirceur. "Ego" de Darwyn Cooke était donc important, car on le voit y mener une bataille interne. [Bruce Wayne] combat la bête qu'est Batman, et cela se passe en lui. L'idée de trouver une manière de faire ressortir cela, ce conflit interne, m'a vraiment plu. NB : "Ego" a récemment été réédité par Urban Comics, en marge de la sortie de The Batman, tout comme "Catwoman - Le Dernier braquage", également signé Darwyn Cooke et dans lequel Selina Kyle, que le scénariste et dessinateur a basé sur la figure d'Audrey Hepburn, monte un ultime vol spectaculaire avant, peut-être, de changer de vie.
ANNÉE UN (1987)
Lorsqu'il s'agit de citer l'inspiration d'un film Batman, trois noms reviennent sans cesse : Bob Kane et Bill Finger évidemment, créateurs du personnage. Et Frank Miller. Contrairement à Zack Snyder, influencé par "The Dark Knight Returns", Matt Reeves s'inscrit dans la lignée de Tim Burton et Christopher Nolan en citant "Année Un", récit très sombre des débuts de justicier de Bruce Wayne. Matt Reeves : "Année Un" a été capital pendant mon exploration des comic books. Car il y a vraiment quelque chose dans le ton et la manière que Frank Miller et David Mazzuchelli ont trouvée pour faire de Batman un personnage terre-à-terre qui nous a alors paru réaliste et vraisemblable. Ce n'était pas comme beaucoup de ces histoires de super-héros que nous trouvons fantaisistes, avec des personnages en costume. Et moi je voulais me focaliser sur le fait que quelqu'un pouvait vraiment faire cela. Il y a un moment [dans "Année Un"] où il doit se trouver un alter ego en tant que Bruce Wayne. Il se rend alors dans l'East End [quartier de Gotham où se trouve notamment la célèbre Crime Alley, dans laquelle ont péri ses parents, ndlr] et ressemble un peu à Travis Bickle de Taxi Driver, avec ses mains dans ses poches. On dirait un vagabond. Il ne peut pas partir à la recherche du crime en costume de chauve-souris, car il attirerait l'attention des gens, cela n'aurait aucun sens. Ce simple détail m'a vraiment captivé car j'ai réalisé que c'est ainsi qu'il pouvait le faire : en tant que Bruce Wayne, les gens le reconnaîtraient. Mais déguisé en vagabond, il pourrait partir à la recherche de crimes. Tout en portant son costume sous ses vêtements, afin d'apparaître en sortant de l'ombre. Car le but de cette tenue, c'est autant l'anonymat que l'idée de créer une vision de terreur, une vision de cette espèce de vengeance. "Année Un" était très important sur ce plan.
UN LONG HALLOWEEN (1996)
Lorsqu'il a été révélé son intention de remettre en avant les talents de détective de Batman, beaucoup ont pensé que Matt Reeves allait signer une adaptation de "Un long Halloween", dans lequel le héros traque un tueur en série qui commet ses crimes les jours de fête (Halloween donc, mais aussi Thanksgiving, Noël, Pâques…). Une trame qui permet au récit de coller au rythme de publication mensuel de ses épisodes, et qui a donné lieu à l'une des histoires les plus célèbres mettant l'Homme Chauve-Souris en scène. Si la rumeur d'une adaptation fidèle a depuis été démentie, son influence se fait sentir dans les bandes-annonces et le réalisateur nous l'a confirmé. En plus d'avouer, dans une interview donnée plus tard, que c'était la raison pour laquelle son film débutait le soir d'Halloween. Matt Reeves : "Un long Halloween" a été très important pour la création de The Batman, car il repose sur une longue enquête autour d'une série de meurtres. Et je voulais vraiment avoir une histoire de détective : dans le film noir classique, il est fréquent que le personnage principal cherche à résoudre un crime qui, d'une manière ou d'une autre, va finir par l'impliquer sur le plan émotionnel. Or j'ai réalisé que "Un long Halloween" possédait une super version de ce schéma. C'est d'autant plus intéressant que mon professeur de scénario, la personne qui m'a conseillé de me mettre à écrire, n'était autre que Jeph Loeb, le scénariste de cette série de comic books. Et ce qui est drôle, c'est que je savais qu'il avait fait tous ces trucs importants autour de Batman, mais je ne les avais jamais lus. Je suis pourtant un immense fan de Batman. Mais tout a commencé avec Adam West et la série de 1966. Puis il y a eu les films. Et j'avais bien sûr lu quelques comic books, mais pas de manière aussi approfondie que je ne l'ai fait pour écrire ce film. J'ai alors réalisé, en découvrant l'œuvre de Jeph et de Tim Sale, que c'était exactement ce que je cherchais. NB : "Un long Halloween" a aussi été réédité début 2022 par Urban Comics. Tout comme sa suite, "Amère victoire", parue en 2012, et dans laquelle Batman est confronté à une nouvelle série de meurtres. A tel point qu'il doute d'avoir arrêté le bon coupable. Alors le rouge sur sa couverture rappelle les affiches du long métrage de Matt Reeves, le comic book pourrait-il servir de base à une suite ?
CHINATOWN (1974)
S'il dit s'être grandement inspiré du film noir, Matt Reeves ne cite pas Humphrey Bogart et les classiques du genre nés pendant l'âge d'or hollywoodien mais plutôt ceux des années 70 et du Nouvel Hollywood. A commencer par Chinatown de Roman Polanski, dans lequel Jack Nicholson enquête dans les rues de Los Angeles. Matt Reeves : J'ai aussi cherché des histoires noires du côté des films, et Chinatown a été très important pour moi. Car Jake Gittes [Jack Nicholson] est quelqu'un à qui il est arrivé quelque chose à Chinatown par le passé, qui s'en est éloigné pour devenir une espèce de chasseur d'ambulance [personne qui suit les blessés jusque dans les hopitaux pour leur proposer ses services sur le plan judiciaire, ndlr] doublé d'un homme cynique. Mais il a une conscience au fond de lui et il s'engage dans cette histoire avec Evelyn Mulwray [Faye Dunaway], mais elle lui prend la tête car on a fait de lui le dindon de la farce. Et plus il avance dans son enquête, plus il doit se confronter à la noirceur de la ville de Los Angeles et de ce que représente Chinatown. Et à la fin, il est de retour à Chinatown alors qu'il avait tenté de s'en échapper. J'ai trouvé que c'était une histoire qui collerait à l'univers de Batman, avec cette idée de faire de Gotham un personnage dans ce récit où le héros cherche à résoudre un crime ou une affaire. Car son enquête le conduit dans les profondeurs de la ville pour en révéler la nature de l'endroit, son Histoire et à quel point certains de ses pires aspects sont insolubles et paraissent impossibles à changer. Mais pourtant, ce type continue à avancer quoiqu'il arrive. C'est aussi ce qui caractérise Batman : Gotham ne semble jamais pouvoir s'améliorer, mais lui ne cesse de se surpasser, car c'est manifestement un besoin personnel pour lui. C'est un type brisé. Donc en ce sens Chinatown était important.
TAXI DRIVER (1976)
Taxi Driver a la cote chez DC ! Après Todd Phillips et son Joker, c'est Matt Reeves qui cite comme source d'inspiration la Palme d'Or de Martin Scorsese, descente aux enfers d'un vétéran du Viêtnam qui se met en tête de jouer les justiciers pour délivrer une jeune prostituée de ses souteneurs. Matt Reeves : Taxi Driver était super important dans cette optique d'avoir un personnage avec un déplacement de sa colère envers la ville, alors qu'il est perdu et tente de se comprendre lui-même. Cela se traduit ici par le fait que je vois Batman comme quelqu'un qui mène une expérience criminologique. Il tient d'ailleurs un journal, un peu comme le Docteur Jekyll dans "L'Étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde", lorsqu'il raconte ce qu'il ressentait en tant que Hyde. Quand Bruce devient Batman, il se perd presque. Donc il doit tenir un journal pour ne pas perdre le fil. Et ça lui donne ce côté Travis Bickle.
KLUTE (1971)
Cinq ans avant Taxi Driver, Klute nous plongeait dans les rues de New York le temps d'une enquête menée par Donald Sutherland. A l'arrivée, un classique au rythme lent, qui n'est certes pas le plus cité des films mais qui a servi d'inspiration au papa de The Batman. Matt Reeves : Klute d'Alan J. Pakula a également beaucoup compté en ce qui concerne le côté effrayant de la corruption dans la ville, qui lui donne presqu'un aspect horrifique. Ce film est très effrayant et sinistre par moments, et je voulais que The Batman soit comme un film noir, mais qu'il tire vers le film d'horreur par instants. Et Klute était également important vis-à-vis de son personnage principal, que l'on découvre incroyablement inhibé. Il est évidemment très attiré par Bree Daniels, jouée par Jane Fonda, mais il la juge à cause de ce qu'elle est, et se met à faire des suppositions. Mais au final, il est complètement attiré par elle. Il y avait quelque chose dans cette dynamique, et les suppositions qu'il fait à propos d'elle et de sa morale, qui allait avec la version de Selina Kyle que je voulais développer. Alors que Batman s'engage dans cette enquête pour résoudre ces meurtres, il rencontre une personne qui est impliquée d'une manière qu'il ne comprend pas. Et il suppose donc que, puisqu'elle est impliquée dans ce monde, elle ne peut être que moralement corrompue. Ce qui n'est pas le cas. Il lui a fallu survivre. Elle ne possède pas les ressources que lui a grâce à sa richesse, et leur relation lui fait réaliser à quel point il a été naïf sur ce qu'il faut faire pour survivre dans une ville comme Gotham. Le film m'a donc inspiré pour le ton, autant que pour la relation entre Batman et Selina Kyle, qui renvoie à celle de Klute et Bree Daniels.