Neuvième jour de cinéma à Cannes. Une journée marquée par le retour de Jacques Audiard sur la Croisette, avec Les Olympiades, film au style et thème loin des habitudes du cinéaste, qui pourrait lui valoir une seconde Palme d'Or samedi. Côté compétition, les festivaliers ont également pu découvrir le long drame L'Histoire de ma femme emmené par Léa Seydoux (malheureusement grande absente à Cannes) ainsi que Red Rocket, première sélection de Sean Baker, révélé par Tangerine, dans la catégorie-reine.
Parmi les autres oeuvres proposées, notre équipe a vu Mathieu Amalric acteur chez les frères Larrieu dans Tralala (Séance de Minuit) puis réalisateur de Serre Moi Fort (Cannes Première), le délicat et passionné Une histoire d'amour et de désir en clôture de la Semaine de la Critique, la "chasse aux migrants" de Europa à la Quinzaine des Réalisateurs et le chant d'amour de Valérie Lemercier pour Céline Dion avec Aline (Hors-Compétition).
Les Olympiades de Jacques Audiard (Compétition)
Comment parler du langage amoureux, de l'amour et la séduction dans les années 2020 et à l'ère des réseaux sociaux ? Présenté comme un Ma nuit chez Maud inversé, où la chasteté primait, ici Jacques Audiard dévoile un film où l'amour et le sexe sont abordés sans détour, et sur la façon dont les sentiments peuvent arriver après le sexe. Un film très dialogué, coécrit avec Céline Sciamma et Léa Mysius, qui nous permet de découvrir Audiard sous un jour nouveau, résolument contemporain, sublimé par la très belle photographie de Paul Guillaume, la BO électro de Rone et de jeunes comédiens enthousiasmants. Brigitte Baronnet Saurez-vous reconnaître Jacques Audiard dans Les Olympiades ? On ne parle pas d'un caméo mais bien de l'univers du cinéaste palmé en 2015 pour Dheepan dans cette histoire d'amours. C'est bien simple, on croirait voir un premier film derrière l'énergie et la modernité qui s'affichent, en noir et blanc, à l'écran. Et c'est tout sauf un défaut. Plutôt une surprise de voir le metteur en scène changer de registre alors qu'il n'a plus rien à prouver. Dans sa manière de filmer les corps et aborder le désir, le résultat rappelle parfois De rouille et d'os mais marque une vraie rupture dans son œuvre avec un impressionnant quatuor d'acteurs (superbe révélation que Lucie Zhang) et la musique électro de Rone, qui remplace le fidèle Alexandre Desplat. Un renouveau on vous dit. Maximilien Pierrette
L'Histoire de ma femme d'Ildikó Enyedi (Compétition officielle)
Trente deux ans après sa Caméra d’or pour Mon XXe siècle présenté à Un certain regard, Ildikó Enyedi est cette année en compétition officielle au Festival de Cannes avec L’Histoire de ma femme, adaptation du roman de Milán Füst. La réalisatrice hongroise met en scène le parcours de Jacob, un capitaine au long cours, qui va remettre ses principes et sa manie du contrôle en question lorsqu’il épouse Lizzy, une jeune femme très joueuse et sans limites. Avec sa fragmentation en sept leçons "pour devenir un nouvel homme", L’Histoire de ma femme prend surtout le parti de redéfinir une certaine masculinité grâce au pouvoir d’une épouse libre et libérée de toutes conventions. A travers une histoire d’amour passionnelle et passionnante, Ildikó Enyedi invoque une intention de lâcher prise, de remise en question et d’accomplissement à travers nos désirs dans un film très beau visuellement et impeccablement interprété par ses deux acteurs principaux, Gijs Naber et Léa Seydoux, mais qui souffre tout de même de quelques longueurs et de séquences superflues. Mégane Choquet
Red Rocket de Sean Baker (Compétition)
S'il tourne depuis le début des années 2000, Sean Baker a surtout été révélé en 2015 grâce à Tangerine. Il vit depuis une ascension éclair, qui le conduit aujourd'hui dans le grand bain de la Compétition cannoise, dont il est l'un des novices. Et son goût pour les marginaux est intact : Red Rocket suit en effet un ex-star du porno qui revient vivre dans son Texas natal, où il n'est pas le bienvenu. Mais une rencontre lui laisse espérer des jours meilleurs. Si l'aspect conte de fées est moins prononcé que dans ses opus précédents (mais toujours un peu présent), le réalisateur alterne entre douceur et âpreté, sans artifices et signe un portrait drôle et touchant d'un looser magnifique, qui aurait toutefois gagné à être un peu plus court, dans son dernier acte notamment. Maximilien Pierrette
Aline de Valérie Lemercier (Hors-compétition)
Pour son sixième film, Valérie Lemercier fait une folie : elle écrit et réalise un biopic sur Céline Dion qu'elle interprète elle-même de 5 à 50 ans. Devant ce projet farfelu, il y a de quoi hausser les sourcils. Pourtant, tout fonctionne. Céline Dion devient ici Aline Dieu. Les noms changent, mais tout le reste est plutôt fidèle à la réalité. Alors qu'un portrait moqueur et cynique de la diva québécoise aurait pu être la solution facile, Valérie Lemercier prend son sujet à cœur. Le film est drôle bien sûr, mais il surprend avant tout par son émotion et son sens de l'épique visible à travers les (innombrables) costumes et décors. Inutile d'être fan de l'artiste originale pour se prendre de passion pour la vie d'Aline Dieu, c'est aussi ça l'un des exploits de ce biopic authentique. Thomas Desroches
Tralala de Jean-Marie et Arnaud Larrieu (Séance de Minuit)
Quand les frères Larrieu s’essaient au genre de la comédie musicale, ça donne Tralala ! C’est le nom du personnage incarné par leur acteur fidèle Matthieu Amalric qui se glisse dans la peau d’un marginal inspiré par la musique qui va quitter Paris pour Lourdes après une apparition qu’il croit divine. Son périple l’amène à se glisser malgré lui dans une famille qui voit en Tralala un homme disparu qu’il n’espérait plus revoir. En mélangeant une vision documentaire (avec les masques sanitaires à l’écran), des inspirations christiques et une partition musicale enjouée et burlesque, Arnaud et Jean-Marie Larrieu livrent un joli film choral où il faut accepter de se laisser porter par l’émotion et la légèreté de ses personnages barrés, campés par un sacré casting (Josiane Balasko, Bertrand Belin, Mélanie Thierry, Maïwenn, Denis Lavant et Galatea Bellugi), et par ses musiques composées par Philippe Katerine, Etienne Daho, Dominique A, Jeanne Cherhal, entre autres. Mégane Choquet
Europa de Haider Rashid (Quinzaine des réalisateurs)
Avec Europa, le cinéaste italo-irakien Haider Rashid suit Kamal, un migrant pourchassé par la police à la frontière turco-bulgare. Pour capturer l'horreur de cette chasse à l'homme, le réalisateur propose une expérience immersive en plaçant sa caméra proche du héros, à quelques centimètres de son visage, le tout avec de nombreux plans séquences. Dans cette forêt, le personnage est une proie, les "chasseurs de migrants" sont quant à eux invisibles, donc plus menaçants. Film au sujet d'actualité et politique, Europa ne peut laisser indifférent. Thomas Desroches
Une histoire d'amour et de désir de Leyla Bouzid (Semaine de la Critique)
Une histoire d'amour et de désir ou l'histoire d'un étudiant d’origine algérienne qui va tomber amoureux d'une jeune Tunisienne mais submergé par son désir, va choisir d'y résister pour ne pas l'éteindre... Ce très joli film présenté à la Semaine de la Critique, met en scène la rencontre spirituelle et physique de deux jeunes gens totalement opposés dans leur manière de voir leur identité et leur désir et qui vont découvrir le pouvoir et l'érotisme des mots, sur les bancs de la fac de Lettres, plus précisément au contact d'un corpus de littérature arabe sensuelle érotique. Quête d'identité, héritage méconnu, réflexion sur le désir retenu, ce petit bijou de Leyla Bouzid incarné par deux acteurs très séduisants, possède une poésie, une beauté et une sensualité rares. Laetitia Ratane
La Panthère des neiges de Marie Amiguet (Cinéma pour le climat)
Ode à la nature, sublimant la vie sauvage, La Panthère des neiges est un magnifique documentaire allant sur la piste de cet animal rare. Mais le film va bien au-delà du film animalier, car il est avant tout axé sur la rencontre et le dialogue entre le photographe Vincent Munier et l'auteur Sylvain Tesson, conférant beaucoup de poésie et d'esprit à l'ensemble. Le film montre des images d'une rare beauté, amplifiées par la musique de Warren Ellis. Sortie dans les salles le 1er décembre prochain. Brigitte Baronnet
Serre moi fort de Mathieu Amalric (Cannes Première)
"Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va", dit le bref synopsis de Serre moi fort. Et c'est très bien comme ça, car il y a un peu de mystère dans cette histoire que raconte Mathieu Amalric. Quatre ans après son étonnant film sur Barbara, le comédien adapte la pièce "Je reviens de loin" de Claudine Galéa, parue en 2003 mais jamais montée sur scène. Et il signe un très joli film, sensoriel, sur les souvenirs. Car cette "femme qui s'en va", jouée par Vicky Krieps, retourne sur des lieux associés à cette famille qu'elle vient de quitter et y revit certains moments, grâce à une réalisation particulièrement inspirée et fluide. D'une grande douceur, le long métrage laisse l'émotion monter petit-à-petit, jusqu'à ce qu'elle nous submerge dans les derniers plans. Maximilien Pierrette