Cannes 2021 : jour 7 ! Alors que le Festival va entrer dans sa deuxième semaine, le rythme s'intensifie et les événements s'enchaînent alors que les nuits de sommeil racourcissent. Mais il faudra, de toute façon, se lever de bonne heure pour faire mieux que le tapis rouge cinq étoiles de The French Dispatch. Bien que labellisé "Cannes 2020", le nouveau film de Wes Anderson a enfin été présenté en compétition, avec une bonne partie de son incroyable casting.
Toujours assigné à résidence, le Russe Kirill Serebrennikov n'a donc pas pu faire le déplacement pour dévoiler La Fièvre de Petrov, son nouvel opus traversé d'images fortes. Mia Hansen-Love, elle, était bien présente avec Bergman Island, également en lice pour la Palme d'Or. Tout comme Ryusuke Hamaguchi et Drive My Car, qui a d'ores et déjà décroché le titre de plus long film de la compétition, du haut de ses 2h59.
Dans les sections parallèles, Kornel Mundruczo impressionne avec Evolution, Adèle Exarchopoulos détonne dans Rien à foutre et Aissa Maïga s'engage pour le climat avec Marcher sur l'eau.
The French Dispatch (Compétition officielle)
Le Wes Anderson nouveau est enfin arrivé ! Après des mois d’attente, on découvre The French Dispatch qui réunit un casting XXL international impeccable. Ce film à scénettes très joyeux et rythmé, qui zigzague entre les couleurs chaudes et pastels et les noirs et blancs, rend un bel hommage au métier de journaliste et à la France avec des jeux de mots délicieux. Sa présence en Compétition au Festival de Cannes, indispensable, lui confère une saveur particulière. Construit comme un magazine en live action, parsemé ça et là de séquences animées, The French Dispatch séduit par la puissance et la précision de sa mise en scène, sa vitalité, ses personnages fougueux et son humour savoureux. Mégane Choquet
Des cadres symétriques, un pas de deux entre noir & blanc et couleurs pastels, de l’humour décalé, un sens du détail qui confine au sublime, un brin d’animation. Dès la première image, le doute n’est pas permis : le projectionniste a lancé le bon film. Car The French Dispatch est un bonbon 100% pur Wes Anderson en forme d'hommage aux journalistes. Très drôle et plus vif, mais aussi plus décousu que ses derniers opus (film à sketches oblige). Plus cinéphile, bédéphile et francophile aussi. Comme toujours, le casting est aussi énorme que parfaitement dirigé. Et petit bonus rigolo pour le public français : reconnaître les acteurs hexagonaux qui apparaissent, parfois le temps d'un plan. Maximilien Pierrette
Drive My Car (Compétition officielle)
Après les succès de Senses et Asako I & II, Ryusuke Hamaguchi revient avec Drive My Car, adaptation de la nouvelle éponyme du recueil de Haruki Murakami. Le réalisateur prouve une nouvelle fois son élégance et sa parfaite maîtrise de ses plans en racontant l’histoire de Kafuku, un acteur et metteur en scène, qui va se remettre d’un drame personnel grâce à Misaki, sa chauffeure attitrée. D’une douce beauté et d’une mélancolie folle, Drive My Car regorge de nombreuses qualités visuelles et de séquences marquantes mais n’atteint pas le bouleversement émotionnel espéré, la faute à un récit trop étiré et certains dialogues parfois alourdis. Mais le propos maître du film sur le poids de la fiction et du deuil vient nous cueillir dans des moments de fulgurance incroyables. Mégane Choquet
Rien à foutre de Emmanuelle Marre et Julie Lecoustre (Semaine de la Critique)
Rien à foutre est l'histoire de Cassandre, hôtesse de l’air enchaînant les vols, les destinations non visitées et les fêtes sans lendemain, sans attache, donnant l'impression de ne rien désirer de plus que ce qui survient au jour le jour. Peu à peu, la jeune femme va devoir malgré elle laisser remonter les douleurs enfouies, laissées au sol... Un rôle parfait pour Adèle Exarchopoulos dont le visage toujours aussi expressif et signifiant nous promène avec elle, sans trop en dire, ni trop en faire ; tantôt mélancolique, tantôt très joyeuse, capable de basculer d'un moment à l'autre. En pointant les contradictions liées à la réalité du métier d'hôtesse de l'air d'une compagnie low cost, les réalisateurs nous font redescendre sur terre : vies épisodiques, faux rêve d'évasion, non-rencontres, désolation au sens strict, tout est dit avec élégance à travers cette héroïne qui tente de mettre un mouchoir sur ses pertes profondes et de faire diversion, à la faveur de belles scènes improvisées, de dialogues drôles et enlevées et d'une mélancolie joyeuse qui nous fait voyager.
Laetitia Ratane
Evolution de Kornél Mundruczó (Cannes Première)
Coup de cœur pour ce triptyque de Kornél Mundruczó dans lequel il s'intéresse à une famille marquée par l'Holocauste sur trois générations. Le réalisateur dissèque les liens qui unissent une grand-mère, sa fille et le fils de cette dernière. Evolution questionne la transmission de la honte et du traumatisme en héritage. Composé de trois segments, tous tournés en un plan-séquence impressionnant. Le premier d'entre eux est le plus impressionnant. D'une noirceur extrême, il ouvre le film d'une manière grandiose et bouscule le spectateur dès son entrée en matière. Thomas Desroches
Bergman Island de Mia Hansen Love (Compétition officielle)
Toute première fois en compétition à Cannes pour la réalisatrice Mia Hansen Love. Après avoir filmé Isabelle Huppert dans L’Avenir, ou de vrais-faux Daft Punk dans Eden, elle réalise son premier film en langue anglaise : Bergman Island. L’histoire se passe en Suède sur l’ile où tournait le cinéaste Ingmar Bergman, Faro. C'est l’histoire d’un couple de cinéastes qui part écrire dans ce lieu inspirant, le temps d’un été. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille… Bergman Island est un film lumineux, avec de très beaux plans et à la construction à laquelle on prend plaisir à se prendre au jeu. Bergman Island sort ce 14 juillet. Brigitte Baronnet
Marcher sur l'eau d'Aïssa Maïga (Le Cinéma pour le climat)
Marcher sur l'eau est un documentaire nécessaire et ambitieux, qui met des visages sur les ravages du réchauffement climatique et pointe avec intelligence les excès d'une partie du monde au mépris de la survie d'un autre. Visage d'enfants livrés à eux-mêmes pendant que les adultes partent chercher du travail, ou d'adolescent(e)s devant marcher des kilomètres pour puiser l'eau manquante là où ils peuvent, aux dépens de leur éducation scolaire... Quand elle ne filme pas la beauté des paysages de ce petit village du Niger dont les réserves d'eau sont dans le sol mais inexploitables sans forage, Aïssa Maïga pose sa caméra avec respect, et décide de suivre une adolescente ou un petit garçon en particulier, dans leur débrouille, leurs jeux, leurs difficultés à vivre tout simplement. Très très édifiant.
Laetitia Ratane
Moneyboys de Yilin Chen Bo (Un Certain Regard)
Au cœur de Moneyboys, il y a Fei, un jeune homme originaire d'un petite village chinois qui se prostitue pour garantir la sûreté de sa famille. "Avant de faire des sacrifices pour votre famille et vos amis, apprenez à vous aimer vous-même", lance le réalisateur Yilin Chen Bo sur la scène de la Salle Debussy quelques secondes avant la projection. Pour son premier film, le cinéaste propose un film sensible, dur car il aborde un sujet difficile dans un pays où l'homosexualité est encore montrée du doigt. Malgré quelques longueurs, Moneyboys signe la naissance d'un réalisateur courageux à suivre. Thomas Desroches
Neptune Frost de Saul Williams & Anisia Uzeyman (Quinzaine des réalisateurs)
Ovni à la Quinzaine des réalisateurs ! Neptune Frost de Saul Williams & Anisia Uzeyman est un film mêlant science fiction, dystopie et film musical. Il se présente plus précisément comme l’histoire d’amour musicale entre un.e hacker Africain.e et un mineur de coltan en fuite. Et de cette union va naître une déflagration cosmique, virtuelle et surpuissante... Une expérience de cinéma poétique et dont les partis pris esthétiques retiennent l'attention. Brigitte Baronnet
La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov (Compétition)
Trois ans après l'étourdissant et émouvant Leto, Kirill Serebrennikov fait son retour en Compétition. Et cette fois-ci, le cinéaste russe adapte le roman de l'un de ses compatriotes, paru en 2017. Un écrit quelque peu prophétique, car il est difficile de ne pas penser au Covid devant l'état de santé du personnage principal, entraîné dans une déambulation alcoolisée, où rêve et réalité s'entremêlent, au même titre que passé et présent. Contrairement à Leto, dont le plaisir était plus immédiat, La Fièvre de Petrov demande un peu de recul pour digérer le foisonnement qu'il nous offre. Traversé de vrais beaux moments de cinéma, mis en scène avec des plans-séquences d'une élégance folle, le long métrage fourmille d'images, de sons et d'idées. Sans doute trop, tant il est parfois difficile d'y voir clair et de comprendre ce que Serebrennikov cherche vraiment à raconter. A la fois joyeux et en colère, dans sa manière de dépeindre le monde notamment, le film peine à nous maintenir totalement dans son univers, mais le talent de son auteur reste indéniable. Maximilien Pierrette