Le mal-être des Afro-américains
Cela fait plusieurs années que la communauté afro-américaine est au centre de plusieurs shows dramatiques mais en 2018 particulièrement, ces séries ont dressé un portrait peu reluisant des États-Unis. L'année a commencé avec Black Lightning, qui a réussi à placer dans l'univers super-héroïque de la CW un personnage proche de sa communauté, en traitant de sujets comme la guerre des gangs ou les violences scolaires. Là où Luke Cage était en passe de devenir un baron de Harlem dans sa saison 2, Black Lightning nous a offert un défenseur du peuple Afro-américain dans le paysage super-héroïque des networks.
L'exploration du mal-être des défavorisés Noir-américains a été complétée par Atlanta, qui a dénoncé les discriminations frappant cette communauté via des métaphores et des épisodes concepts (encore plus qu'en saison 1). On retrouve ces discriminations de façon plus sous-jacente dans le pendant urbain d'Atlanta, Insecure, avec ses héroïnes à la peine d'un monde du travail qui les stigmatise ou ignore leurs compétences. De la même façon, la saison 2 de la série Netflix Dear White People a traité du racisme de certains utilisateurs des réseaux sociaux et de la vie des Afro-américains sous l'administration Trump (bien que le nom du président soit volontairement éludé des dialogues).
Les ravages du capitalisme
Le fossé des inégalités sociales se creuse dans le monde et des séries américaines s'en font l'écho. En juin dernier, la série HBO Succession a mis l'accent sur la richissime famille Roy et leurs difficultés à gérer leur fortune. Évidemment, cette gestion chaotique amène des dissensions au sein de la fratrie et entre le père de famille et ses enfants. Elle montre aussi qu'avoir beaucoup d'argent implique la nécessité de chercher à le garder et à le faire fructifier et ce, par tous les moyens. Lors de la diffusion du show cet été, les Roy se sont écharpés pendant 10 épisodes où tous les coups (surtout les bas) étaient permis.
Roseanne, partisane de Donald Trump
Du côté des moins dotés, Au fil des jours (One Day At a Time en VO) poursuivait son portrait touchant d'une famille cubaine heureuse de s'intégrer sans renier ses origines. On y a retrouvé avec bonheur ses héroïnes, en particulier sa mère célibataire en pleine dépression réussissant à nourrir sa famille sans sacrifier sa vie personnelle, luttant pour faire des économies tout en véhiculant une vraie leçon de courage.
A l'inverse, l'héroïne de Roseanne était une fervente partisane de Donald Trump et de sa politique. La série dénonçait avec humour les disparités créées par l'application du programme du Président américain et la façon dont il poussait cette famille d'Américains moyens à enchaîner les petits boulots pour garder un train de vie décent. L'interprète de l'héroïne, Roseanne Barr, fut licenciée de la série suite à un tweet ouvertement raciste et le show annulé. Un spin-off intitulé The Conners a été lancé en septembre de cette année dans lequel Roseanne n'apparaît évidemment pas, mais prouve la puissance croissante des réseaux sociaux sur le destin des séries.
Les flux migratoires
La question des migrants ou des réfugiés crispent les débats sur la scène politique, motivant certains vers un replis identitaire dangereux. Le mouvement des flux migratoires ne fut pas abordé frontalement mais on a pu voir les questions de l’immigration occupé le devant de la scène de façon explicite : One Day at a Time dont la saison 2 a raconté le parcours de Lydia pour devenir une citoyenne américaine ; ou allégorique dans The Crossing où des réfugiés tentaient d’échapper à une guerre dans le futur en arrivant dans notre présent.
En France, c’est Bruno Dumont dans Coincoin et les Z'inhumains qui s’est emparé de la question. Plantant sa caméra dans le Nord, le réalisateur jouxte invasion extraterrestre, réfugiés et mouvement d’extrême droite. Son observation neutre aurait pu virer à la complaisance mais elle cartographie l’espace géopolitique français avec acuité, dynamitant le côté lourd de la thèse par des situations comiques non-sensiques.
La puissance des réseaux sociaux
L'annulation d'un show n'est désormais plus définitive puisque 2018 nous a prouvé qu'en se mobilisant, les fans peuvent sauver une série de son funeste destin. En juin, Netflix a mis en ligne l'épisode conclusif de Sense8, la série de Lana Wachowski. Ce double épisode final faillit ne jamais voir le jour car le show avait été annulé au terme de sa saison 2 sur un cliffhanger. Le message posté par la réalisatrice suite à la commande de deux épisodes supplémentaires pour terminer la série faisait état de "lettres passionnées, pétitions et d'une voix collective" qui se sont fait entendre. La plate-forme de streaming fut ainsi convaincue de donner une fin aux fans.
Timeless, sauvée des eaux
Autre exemple, Lucifer avait été annulée par FOX début 2018 avant d'être récupérée et renouvelée par Netflix. La plateforme cherche particulièrement à racheter les séries à forte fanbase afin de les inciter à s'abonner pour avoir la fin de leur série. Mais le cas d'école cette année fut Timeless, qui fut annulée au terme de sa saison 2 en mai et qui grâce à une campagne #SaveTimeless pendant trois jours sur les réseaux sociaux, gagna le retour de la série. Dès le mois d'août, deux épisodes furent commandés pour conclure la série, qui seront diffusés le 20 décembre. A l'heure où nous écrivons ces lignes, la showrunner Arika Lisane Mittman espère même quelques épisodes supplémentaires. Cette année plus que jamais, Twitter, Instagram, Facebook et les pétitions ont eu un vrai pouvoir sur l'industrie. Une question demeure : les plaintes des fans à Netflix pour le renouvellement de Daredevil se sont-elles faites assez entendre ?
Le féminisme
Si on peut mesurer la force d’un mouvement à sa diffusion dans la pop culture, alors le féminisme entend occuper un espace fondamental. Il s’est trouvé de solides représentantes dans des genres et approches très différents mais au militantisme commun : pop et sucré dans The Bold Type ; vindicative et violente dans The Handmaid’s Tale ; éclairante et attentive dans Dietland ; grave et lyrique dans Crazy Ex Girlfriend ; érudite et sage dans The Deuce ; duel et sauvage dans Killing Eve.
Derrière la caméra, les choses changent également. Si la parité n’est pas encore atteinte, les voix d’auteurs, showrunneuses ou réalisatrices se font davantage entendre et montrent qu’Hollywood devra compter sur les femmes. HBO a également innové en créant un poste de "coordinateur d’intimité" sur le tournage de The Deuce, afin de garantir la sécurité des actrices et acteurs lors de scène de sexe. Hollywood avance.
La géopolitique
Depuis les élections de Donald Trump, les Etats-Unis semblent plus tournées sur elle-même. Dans The Looming Tower, c’est le traumatisme du 11 septembre qui est ausculté, notamment le manque de dialogue entre les différents services de renseignement ; dans la septième saison de Homeland, c’est la fragilité du pouvoir de la présidente qui est posée.
Nouvel acteur dans le théâtre politique du monde : la Russie. Sa supposée ingérence dans les dernières élections américaines a nourri l’imaginaire des auteurs de Homeland comme celui d’Eric Rochant sur Le Bureau des Légendes. La question du terrorisme fut moins fondamentale cette année. Belle intrigue secondaire pour la série française où Artus tente de déjouer un attentat ; plus problématique dans Jack Ryan qui tente d’adapter le héros des années 80 à notre monde contemporains (pour un résultat au mieux maladroit, au pire irresponsable) ou dans The State de Peter Kosminsky dont l’aspect documenté finit par étouffer et obscurcir le propos.
Le harcèlement en milieu scolaire
Le renouvellement de 13 Reasons Why a surpris tout le monde, persuadé que le récit était bouclé. Une aventure périlleuse qui aurait pu faire chuter la série mais dont elle se défait avec intelligence : en faisant son propre procès. Et c’est la responsabilité de l’école qui est en ligne de mire, coupable, pour les parents de la défunte adolescente, d’avoir permis un climat violent et anxiogène qui a conduit Hannah au suicide. Sujet très sensible et douloureux, jusque de notre côté de l’Atlantique, qui fait du milieu scolaire le théâtre de tous les maux. En France, c’est le téléfilm Le jour où j’ai brûlé mon coeur qui aborde la question.
La prévention en début d'épisode
La violence en milieu scolaire, le manque d’effectif, de moyens, de méthodes pour résoudre la question du harcèlement est aujourd’hui l’un des thèmes centraux de l’éducation nationale. Un projet, appelé SENTINELLE, a été expérimenté dans plusieurs établissements français où des élèves sélectionnés (appelés ambassadeur) ont pour mission au cours de l’année de reporter, alerter, témoigner des différentes formes de harcèlement dont ils peuvent être les témoins. La fiction entend donc elle aussi sensibilisé sur le sujet, chaque épisode de 13 Reasons Why était précédé d’un message de prévention sur le sujet.
L’autisme
Longtemps, l’autisme à Hollywood s’est résumé à la prestation de Dustin Hoffman dans Rain Man. Une proposition caricaturale qui a fait rire, tout en excluant ceux qui souffrent de ce trouble neurobiologique et leur entourage. Deux séries lancées en 2017 sont venues corriger le tir : The Good Doctor, adaptation d’un format coréen, sur ABC et Atypical sur Netflix, auxquelles vient s’ajouter l’israélienne On the Spectrum présentée cette année à Séries Mania.
Ces trois séries tentent de montrer le quotidien des personnes souffrant d’autisme, que ce soit dans leur vie de famille, leur travail ou dans une colocation. Une même volonté les traverse : rendre compte sans jugement en montrant leur vie de tous les jours, que ce soit dans leur singularité comme dans leur caractère ordinaire. Une vision à la bonne hauteur qui n’oublie personne, s’arrange parfois de la réalité pour des besoins dramatiques (on reste à Hollywood, au moins pour deux d’entre elles). Leur bienveillance naturelle permet de sensibiliser sur le sujet et d’offrir une exposition nécessaire.
L'homoparentalité
Cette année, les séries françaises ont reflété l'actualité en rebondissant sur les débats autour de l'adoption et de la PMA pour les couples homoparentaux. Tandis que la législation tente de timides avancées autour de la question alors que la France est à la traîne par rapport à une dizaine de pays européens, le débat public s'enflamme encore et toujours sur la question, faisant rejaillir des tendances réactionnaires.
Une série peut faire évoluer les mentalités
Dans Dix pour cent sur France 2, une séquence a particulièrement ému les téléspectateurs : celle où Hicham Janowski, le patron d'ASK, adresse une lettre au centre d'adoption afin de renoncer à la paternité de l'enfant d'Andréa, dont il est le père biologique, en faveur de Colette, sa compagne. “C’est très facile de fabriquer un enfant, et tellement difficile de l’élever" : une réplique pleine de sens et qui révèle toute son importance à une heure de grande écoute télévisuelle. Le discours transmis dans les fictions permet de créer de l'empathie autour des sujets qui font société; comme le soulignait Camille Cottin dans une récente interview accordée à Allociné, une série peut faire évoluer les mentalités.
Sur Arte, Fiertés de Philippe Faucon a pour sa part montré, à travers trois époques différentes de la vie d'un homme, que l'acceptation de sa propre homosexualité est un combat sans fin, non seulement avec soi-même et son entourage, mais aussi et surtout avec l'Etat lorsque naît le désir de fonder sa propre famille. La série reflète les combats politiques des minorités sexuelles pour la reconnaissance de leurs droits, en montrant que la procédure d'adoption est encore aujourd'hui un véritable chemin de croix, auquel s'ajoutent les conséquences subies par les homosexuels à chaque nouveau débat public.
Les soulèvements populaires
2018 a vu émerger des soulèvements démocratiques sans précédent face au grand capital, qui pille les ressources écologiques au mépris des écosystèmes et de la survie des populations. Fuite des capitaux, paradis fiscaux, scandales financiers à n'en plus finir... Un seul constat en émerge : une minorité de riches s'enrichit toujours plus, tandis que les classes populaires sont de plus en plus pauvres. Face au gouffre d'inégalités qui se creuse, il était évident qu'un séisme profond devait se produire entre les classes dirigeantes et ceux qu'elles gouvernent.
Le constat amer de Mr Robot
La Casa de Papel, énorme succès sans précédent pour une série espagnole, s'est ancrée dans son époque en incarnant un esprit anticapitaliste mainstream très identifiable, à l'aide d'une intrigue digne de Robin des Bois (des braqueurs au grand coeur qui court-circuitent le grand capital à sa source) et de deux symboles politiques forts, massivement réutilisés et détournés : le costume des braqueurs de la Fabrique de la Monnaie, vêtus d'une cape rouge et d'un masque de Dalí rappelant celui de Guy Fawkes porté par les Anonymous, et la chanson Bella Ciao, à l'origine un chant partisan italien, devenu le tube de l'été 2018.
Autre exemple phare dans la lutte contre le statu quo cette année, Mr. Robot est revenu pour une saison 3 plus sombre, tendant vers le post-apocalyptique. Programmateur informatique pour une multinationale le jour et hacker révolutionnaire la nuit, Eliott a fait pour sa part le constat amer de l'impossibilité de changer les choses par le biais d'une insurrection de masse, en se retrouvant face au dilemme moral de devoir sacrifier des vies innocentes pour le bien commun. Mais cette saison laisse tout de même une issue possible : pour changer les choses, ne vaut-il pas mieux opérer dans les coulisses des grandes puissances plutôt que de chercher à les détruire ?
La représentation des LGBTQ+
Les séries américaines ont compris qu'il ne suffisait plus d'insérer de simples personnages LGBT dans leurs séries afin de leur assurer une "caution diversité". Cette année plus que jamais, les personnages queer dans les séries se sont multipliés : outre le retour de la série culte Will & Grace outre-Atlantique, la nouvelle création de Ryan Murphy, Pose, raconte une époque de l'Amérique à travers le prisme de la communauté LGBT; Grey's Anatomy a introduit au bout de 15 saisons son premier couple gay dans ses intrigues amoureuses (si populaire qu'il a vu naître le hashtag #SCHMICO, de la contraction du nom des deux personnages Schmitt et Nico) abordant au passage la difficulté de mener une relation sur son lieu de travail; Elite a exploré les émois adolescents à travers la relation entre Omar et Ander; The Good Fight a scandalisé les fans lorsque la jeune avocate Maia trompe sa compagne de longue date avec une autre femme alors que leur relation bat de l'aile...
Des problématiques de couple on ne peut plus banales, mais qui restent encore aujourd'hui majoritairement hétéronormées dans leurs représentations. Des progrès notables en faveur de la diversité à l'écran, même si les clichés ont encore la peau dure : le hastag #BuryYourGays a ainsi refait son apparition sur les réseaux sociaux cette année suite à la mort de Jesus, personnage gay emblématique de The Walking Dead. Un moyen de dénoncer une tendance scénaristique discriminatoire dans les séries, où les personnages LGBT sont encore trop souvent évincés en étant tués lorsqu'ils n'ont plus d'utilité, souvent à la faveur d'un autre personnage hétérosexuel plus important.
Le mal-être des Afro-américains
Atlanta, Insecure, Black Lightning, Dear White People, Luke Cage.
Les ravages du capitalisme
Succession, Roseanne, Au fil des jours.
La puissance des réseaux sociaux
Sense8, Timeless, Lucifer.
Les Flux Migratoires
Coincoin et les Z'inhumains, The Crossing, One Day at a Time
Le féminisme
The Handmaid's Tale, The Bold Type, Dietland, Killing Eve, Crazy Ex Girlfriend, The Deuce
La géopolitique
Homeland, The Looming Tower, Le Bureau des Légendes, Jack Ryan, The State
Le harcèlement en milieu scolaire
13 Reasons Why, Le jour où j'ai brûlé mon coeur
L'autisme
The Good Doctor, Atypical, On the Spectrum
L'homoparentalité
Dix pour cent, Fiertés
Les soulèvements populaires
La Casa de Papel, Mr. Robot
La représentation des LGBTQ
Will & Grace, Pose, Grey's Anatomy, Elite, The Good Fight, The Walking Dead