C'est ce vendredi 15 juin qu'est rendue la décision de justice concernant les droits de distribution de L'Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam. Ce jugement va trancher si le film peut continuer à être exploité tel qu'il l'est actuellement ou s'il doit être retiré de l'affiche. Ce Don Quichotte contenant tous les thèmes chers à Gilliam et à son cinéma, AlloCiné vous propose de passer en revue les marottes de l'ex-Monty Python.
OBSESSION 1 - LES DELIRES VISUELS
C'est avec Brazil que Gilliam donne libre cours à ses envies de décors délirants. Ce troisième long métrage du cinéaste crée un univers rétro-futuriste avec des salles énormes remplies d'ordinateurs qui ne seraient pas sans ressembler aux open spaces des grandes entreprises d'aujourd'hui. Le décor de Brazil est difficile à décrire tant il est visuellement riche et original, rempli de tuyaux, d'appareils robotisés, de pièces cylindriques, de murs courbés.... Ces décors, Gilliam les a en partie imaginés seul, grâce à sa formation de dessinateur.
Enfant, le réalisateur a toujours dessiné, puis s'est mis à faire des dessins animés dont on retrouve la trace dans le Flying Circus des Monty Python. Si Gilliam a la réputation de savoir exactement ce qu'il veut visuellement sur un plateau, cela vient du fait qu'il croque et storyboard tout ou partie de ses films. Ses délires visuels sont aussi permis à l'écran grâce à l'utilisation de maquillages et de prothèses sur certains acteurs, de décors réels crédibles (voir cet excellent document d'époque sur le tournage de Brazil) et de vrais accessoires (comme l'armure dotée d'ailes et l'épée du film).
Ces délires s'incarnent également dans le bestiaire des Frères Grimm (2005), les trips hallucinogènes de Las Vegas Parano (1998) ou dans les costumes et décors cartoonesques du Baron de Münchausen (1989). Encore dans Don Quichotte, la fausse publicité mise en scène par Adam Driver au début du film utilise des têtes de géants réellement fabriquées à taille "réelle". On y retrouve aussi le goût du cinéaste pour les tenues hautes en couleur au cours d'une réception baroque, véritable mascarade qui permet à Gilliam de véhiculer une émotion et de créer l'empathie du spectateur pour le personnage interprété par Jonathan Pryce.
OBSESSION 2 - LE GRAND ANGLE ET PLAN INCLINE
Gilliam adore jouer des perspectives, ce qu'il accomplit grâce à l'emploi de la lentille "grand angle". Ce procédé est utilisé dans la majorité de ses films de Las Vegas Parano à Tideland. Techniquement parlant, le grand angle augmente l’effet de profondeur et donne une forme "bombée" aux bords du cadre. Gilliam utilise cela pour isoler des personnages ou créer des mondes tordus, étranges et oniriques. Appliqué à un paysage, cet objectif grand angle distord l'image, donnant à un décor un côté surréaliste et fantasmé, et appliqué à des gros plans de visages, transmet la folie des personnages. Cette folie peut-être due à la drogue (Las Vegas Parano), à des problèmes mentaux (L'Armée des 12 singes) ou aux circonstances de vie (Brazil).
Gilliam décrivait ainsi sa fascination pour le grand angle (dans Séquences n°124, en 1986) : "(...) Ces techniques créent des effets très dérangeants. La distorsion ou la mutation de l'espace m'intrigue énormément. Je crois que c'est comme essayer de faire sortir le film du cadre de l'écran, comme le catapulter dans la salle. Le grand angle révèle beaucoup d'espace, mais crée en même temps un effet claustrophobique. Le seul problème est d'arriver à dissimuler les sources d'éclairage".
Le plan incliné, très présent aussi chez Orson Welles, est une autre technique que Gilliam utilise pour renforcer la folie de ses films. Le fait de coupler ces plans inclinés avec une mise en scène souvent dynamique et une caméra mouvante (par des recours nombreux aux travellings) permet de déstabiliser le spectateur et le fait entrer plus facilement dans un monde (au moins partiellement) imaginaire.
OBSESSION 3 - L'IMAGINATION REINE
Avec son premier long métrage (Jabberwocky, 1977), Gilliam laisse la place à l'imagination du spectateur en ne faisant apparaître le dragon du titre qu'à la toute fin du film. Et s'il emploie cette technique, c'est parce que Gilliam a toujours refusé de donner toutes les clés de ses films aux spectateurs. Cela passe également par l'inclusion de "twists" qui laissent souvent le public sortir d'un film de Gilliam en se posant des questions. Le réalisateur nous avait d'ailleurs confié en 2005 à propos des Frères Grimm : "Comme tous mes films, les contes de fées sont sombres, marrants et dérangeants. Et ils vous font réfléchir. C'est ce que tous les réalisateurs devraient faire : divertir les spectateurs et les encourager à penser."
Cette ode à l'imagination est aussi présente dans Münchausen et Bandits, bandits (1982), qui présente pour sa part une ambiance fantastique et absurde. Une sorte de conte de fées pastiche emprunt de poésie et d'humour. Ce n'est pas un hasard si c'est à Gilliam que les studios ont confié les rênes des Frères Grimm (même si le résultat final n'est pas vraiment le sien) ou qu'il a cocréé avec Charles McKeown L'Imaginarium du docteur Parnassus (2009).
Brazil peut être perçu comme un film sur le combat d'un rêveur désirant échapper à la réalité oppressive, de la même façon que L'Homme qui tua Don Quichotte soutient qu'il faut embrasser l'imaginaire et même se l'approprier. C'est ce qui est proposé grâce à l'arc narratif du personnage de Toby (Adam Driver). Le déconcertant Tideland (2006) présente lui le pouvoir sans limite de l'imagination avec un monde entièrement construit par la pensée d'une petite fille, donnant lieu à des personnages loufoques et des séquences très décalées.
Les héros "gilliamiens" comportent une part de mystère fascinante laissant l'imagination du public en combler les vides, qu'ils soient des marginaux (Robin Williams et Amanda Plummer dans Fisher King) des dérangés (Brad Pitt dans L'Armée des 12 singes, Pryce dans Don Quichotte) ou des gens du spectacle (dans Parnassus ou Adam Driver dans Don Quichotte). Ces personnages incitent le spectateur à entrer dans leur monde très particulier et à tenter de l'appréhender. Gilliam apprécie ce jeu avec le public, puisqu'il nous avait déclaré en mai dernier : "Une fois que je fais travailler son imagination, je peux jouer avec l'esprit du spectateur, le piéger, le choquer, le surprendre".
OBSESSION 4 - UNE PASSION POUR LE PASSE
Il se dégage du cinéma de Gilliam une passion certaine pour la chevalerie et le médiéval (même de pacotille) avec Jabberwocky, Sacré Graal ou Don Quichotte. On peut aussi penser à l'armure ailée de Brazil, dans lequel le héros cherche à retrouver la femme de ses rêves (une princesse ?). Dans Bandits, bandits, un petit garçon voyage dans le temps de l'époque du Titanic à celle de Robin des Bois en passant par une rencontre avec Napoléon. On retrouve aussi le Graal, un château et un roi (symboliques) dans Le roi pêcheur via la tour Langdon Carmichael et le personnage de Jeff Bridges.
Même lorsqu'il se lance dans des mondes futuristes, Gilliam leur donne un aspect "rétro". C'est le cas avec les décors et accessoires de Brazil : la voiture de Jonathan Pryce -très proche de la 2 CV, la présence de publicités des années 30 et 50 et de tuyauteries antédiluviennes. On trouve aussi dans le monde post-apocalyptique de L'Armée des 12 singes des appareillages dignes du début du XXème siècle. Ces deux films sont aujourd'hui considérés comme des influences majeures du courant "steampunk", mêlant la science-fiction et les technologies du XIXème siècle. Gilliam a toujours été intéressé par cela et fut même un temps attaché à un film d'animation intitulé 1884, une histoire d'espionnage à l'époque de la machine à vapeur.
Ce rétro-futurisme est également présent dans Zero Theorem (2014) dont la technologie est relookée à l'ancienne par Gilliam. On y retrouve notamment des tuyaux de tôle rappelant les tuyaux de Brazil et les tubes pneumatiques des années 80 qui servaient à faire passer des courriers. Gilliam a clairement une nostalgie pour ces appareils et ces décors.
Avec douze longs métrages réalisés en solo, Terry Gilliam aura nourri notre imaginaire, construit un univers, donné une identité visuelle à chacun de ses films et fait réfléchir le spectateur. N'est-ce pas là la marque des grands réalisateurs ?
"L'Homme qui tua Don Quichotte", actuellement dans les salles :