Génie de l'animation, artiste exceptionnel, Don Bluth, qui souffle ses 80 bougies aujourd'hui, est malheureusement un peu tombé dans l'oubli par les jeunes générations biberonnées à l'écurie Pixar, Dreamworks et autres péripéties des Minions.
Don Bluth débute sa carrière en tant qu’intervalliste sur La Belle au bois dormant puis animateur chez Disney. Il a notamment travaillé sur Robin des Bois, Les aventures de Bernard et Bianca ou encore Rox et Rouky. En 1973 il s'associe à Gary Goldman et John Pomeroy, autres animateurs au sein de l'écurie Disney, pour fonder Don Bluth Productions. En 1979 ils achèvent le téléfilm animé Banjo, le chat malicieux qui reçoit de nombreux prix.
Ils se lancent alors dans un projet d'envergure : Brisby et le secret de Nimh, l'histoire d'une petit souris dont le fils est malade. Il s'agit de la première réalisation de cinéma de Don Bluth. Bien qu'étant aussi un film pour les enfants, Brisby est tout à la fois d'une grande noirceur et d'une époustouflante maîtrise technique. Mais le film ne rencontre pas son public, mettant Don Bluth Productions au bord de la faillite. Pour sauver sa société, Don Bluth vend les droits de Brisby, et se tourne alors vers un media promis à un grand avenir, les jeux vidéo, en signant deux titres devenus cultes : Dragon's Lair et Space Ace, qui sont au final moins des jeux vidéo que des films animés interactifs.
Dragon's Lair, un film animé interactif...Mais pas trop quand même
L'histoire de Dragon's Lair est simple. Le joueur-spectateur incarne le valeureux chevalier Dirk, lancé dans une quête pour délivrer sa bien aimée, Daphnée, retenue prisonnière des griffes d'un dragon maléfique. Le but du jeu étant de traverser un château en aidant le chevalier à affronter tous les pièges et autres rencontres mortelles dans les lieux.
Dans une série de scènes-tableaux lancées aléatoirement, le joueur mettait ses nerfs à rude épreuve avec un gameplay qui était l'ancêtre de ce que l'on appelle le QTE (pour Quick Time Event). Pour avancer, le timing, qui flirtait parfois avec la micro seconde, devait être parfait. Cet artifice a donné à Dragon's Lair la réputation -justifiée- d'être d'une difficulté parfois cosmique, suscitant quelques crises de rages chez les joueurs au passage. Une manière aussi de gonfler la durée de vie du titre : un joueur connaissant sur le bout des doigts tous les mouvements à effectuer terminait Dragon's Lair en moins de 20 minutes !
Ci-dessous, l'intégralité du jeu en démonstration, avec les séquences de jeu dans l'ordre...
Mais peu importe au fond. Visuellement, Dragon's Lair tient du jamais vu. A une époque où les jeux vidéo restent encore largement primaires, bridés par les capacités des premières consoles de jeux vidéo, et où les personnages sont représentés par des sprites, Dragon's Lair fait exploser ces limites en s'appuyant sur un support révolutionnaire : le laserdisc; même si le choix de cette technologie a imposé en contrepartie de vraies contraintes sur le gameplay du jeu.
Ce n'est pourtant pas Don Bluth qui est à l'origine du projet, mais un certain Rick Dyer, président-fondateur d'une société du nom de Advanced Microcomputer Systems, qui connaîtra une gloire éphémère avec les bornes d'arcade utilisant les laserdiscs comme support. Une équipe de Game Designers se charge de la création des environnements, ainsi que de la chorégraphie des mouvements, le tout sur storyboard, qui servira de conducteur au jeu.
Dyer, lui, tient à développer le jeu pour le laserdisc, après avoir été émerveillé à la vue d'un autre jeu vidéo du nom de Astron Belt; un Rail Shooter dans l'espace développé par Sega, qui passe pour être le premier à avoir utilisé le laserdisc comme support. L'inspiration lui est aussi venue après avoir vu le film de Don Bluth, Brisby et le secret de Nimh : il comprend alors que s'il veut marquer le coup, il doit offrir aux joueurs une animation digne de ce nom.
Toute l'animation est réalisée par Don Bluth et son équipe, des vétérans de chez Disney. Et à l'ancienne, c'est à dire à la main, à base de celluloïdes. En raison d'un budget de développement serré (1 millions de $), l'équipe de Don Bluth doit boucler son travail en sept mois. Petite anecdote savoureuse au passage : du fait de ce budget un peu étriqué, l'équipe n'avait pas les moyens d'engager un modèle féminin pour pouvoir croquer les traits de la princesse Daphnée. Elle a alors cherché l'inspiration en feuilletant les magazines Playboy, ce qui explique d'ailleurs les courbes particulièrement voluptueuses de la promise du chevalier Dirk. A l'exception d'une seule voix off, effectuée par un acteur professionnel, toutes les autres voix dans le jeu sont faites par l'équipe de développement.
Don Bluth, la tête dans l'espace
L'engouement du public est spectaculaire. En juillet 1983, 1000 bornes d'arcade Dragon's Lair équipent les salles de jeux, tandis que le carnet de commande de la société fabriquant les bornes, Cinematronics, se voit rempli de 7500 commandes supplémentaires. A la fin de l'année 1983, Dragon's Lair est le jeu d'arcade n°1 aux Etats-Unis. En février 1984, les recettes générées par le jeu sont estimées à 32 millions de $. Une authentique cash machine.
Tout en travaillant déjà à une suite, baptisée Dragon's Lair II : Timewarp, le tandem Rick Dyer / Don Bluth sort, quelques mois après la sortie de Dragon's Lair et toujours sur borne d'arcade laserdisc, un autre jeu, du nom de Space Ace. Le procédé technique de création, de même que la mécanique de gameplay, sont presque les mêmes que pour Dragon's Lair. Avec notamment l'usage du procédé du rotoscoping; technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d'une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d'animation. Pour l'anecdote, un des premiers films à avoir utilisé ce procédé fut Tygra, la glace et le feu, de Ralph Bakshi, sorti en 1983.
Dans Space Ace, le joueur doit aider un aventurier de l'espace du nom de Dexter -qui préfère être appelé "Ace", accompagné de sa dulcinée Kimberly, pour se débarasser du méchant du jeu, le commandant Borf. Bourré d'humour, comme son aîné, Space Ace sort au printemps 1984. Contrairement au précédent jeu, le titre se joue dans un ordre linéaire, avec toutefois quelques embranchements possible, histoire de proposer une certaine rejouabilité.
Ci-dessous, l'intégralité des séquences du jeu. Evidemment, ca va très vite quand on connait sur le bouts des doigts les actions à effectuer...
Le krach mondial du marché des jeux vidéo
Malheureusement, ces deux jeux -dont seul Dragon's Lair fut un vrai gros succès- sont noyés dans le krach mondial qui frappe le monde des jeux vidéo fin 1983 - début 1984, au point que l'on s'interroge sur la survie même de ce jeune media, qui sera sauvé par l'arrivée de Nintendo et sa mythique console NES. Cette crise est dévastatrice pour le studio de Don Bluth. Le développement de Dragon's Lair 2 : Timewarp est gelé en mars 1984, tandis que la société fabriquant les bornes d'arcade Cinematronics, endettée, gèle les 3 millions de $ de royalties qu'elle devait verser à Sullivan Bluth Studios (autrement baptisé "Bluth Group"). Acculé, ce dernier se déclare alors en faillite. Ce n'est qu'en 1991 que la société pourra terminer le jeu, et sera exploité en bornes d'arcade par Leland Corporation.
Puisant son inspiration dans la mythologie et les contes, notamment celui d'Alice au pays des merveilles, le jeu est un chef-d'oeuvre du genre. Mention spéciale à la séquence avec Beethoven, plongé dans l'écriture de sa 9e symphonie, visible dans la vidéo ci-dessous à partir de 05''05.
Epilogue...
Si la technique employée par Don Bluth était révolutionnaire à l'époque, offrant un résultat visuel encore jamais vu, celle-ci est passée de mode depuis bien longtemps. Ce qui n'a toutefois pas empêché Dragon's Lair, Space Ace, ainsi que toutes les suites, d'être systématiquement adaptées sur tous les supports possibles et imaginables, de la première Gameboy à la Super Nintendo, en passant par des versions remasterisées en DVD et Blu-ray. En raison des capacités limitées de mémoire sur les machines, ces différentes versions furent logiquement amputées de nombreuses scènes des jeux originaux.
Fin 2002, pour célébrer les vingt ans de la sortie de Dragon's Lair sur borne arcade, la société Digital Leisure Inc, propriétaire des droits de la franchise, édita un coffret DVD regroupant Dragon's Lair, Dragon's Lair 2 : Timewarp, et Space Ace. Toutes les scènes des jeux d'arcade étaient présentes, tandis que les joueurs pouvaient, du fond de leur canapé, sélectionner des séquences inédites et créées en 1983, mais jamais intégrées dans le jeu original. En 2006, une version HD est sortie des titres, puis passa par la case Blu-ray en 2007. Il existe même des versions smartphone pour rejouer à ces classiques.
Avec leurs qualités mais aussi leurs nombreuses tares, les jeux créés par Don Bluth traversent malgré tout sans encombre les années, et ceux qui ont joué à ces titres mythiques en garde parfois un souvenir ému. En 2015, à l'âge de 78 ans, le vétéran de l'animation sollicitait même les fans et les nostalgiques en lançant un crowdfunding, pour financer à hauteur de 550.000 $ un long métrage animé basé sur Dragon's Lair. Ce fut un échec, ayant à peine récolté 241.579 $ auprès de seulement 2954 donateurs. Triste époque tout de même, de voir ainsi un géant de l'animation avoir autant de mal à revenir sur le devant de la scène. Fût-ce à l'âge vénérable de 80 ans.
Quel est votre film culte signé Don Bluth ?
Une affiche originale du jeu "Dragon's Lair" de 1983
Don Bluth souhaitait que le matériel promotionnel du jeu Dragon's Lair soit pensé comme un vrai film. De là la création de cette fantastique affiche du jeu sorti sur borne d'arcade en 1983, rappelant effectivement un vrai film d'animation. Cette affiche, devenue ultra rare, est très recherchée par les collectionneurs.
Image extraite du jeu Dragon's Lair, en 1983
Daphnée, la belle dulcinée du brave chevalier Dirk
N'ayant pas les moyens de payer un vrai modèle pour poser pour eux, l'équipe d'animateur de Don Bluth sont allé chercher l'inspiration du côté des Pin-up du magazine Playboy. D'où les courbes et mensurations généreuses.
Image extraite de "Dragon's Lair II : Timewarp"
Bien que son développement ai commencé dans la foulée de la sortie du jeu Dragon's Lair en 1983, le krach du marché du jeu vidéo en 1983-1984 stoppa net sa production. Don Bluth Productions céda les droits et les assets de Dragon's Lair II à Leland Interactive, qui compléta le jeu pour le sortir finalement en borne d'arcade, toujours au format laserdisc, en 1991.
Image extraite du jeu "Dragon's Lair II : Timewarp", sorti en 1991
Dans cette séquence très drôle, Dirk débarque avec sa machine à voyager à travers le temps (d'où le titre du jeu) au beau milieu du jardin d'Eden. De là sa rencontre avec une improbable Eve, qui ne correspond pas vraiment aux canons des saintes écritures...
Image extraite de "Dragon's Lair II : Timewarp"
Pourchassant à travers le temps Mordroc, le sorcier ayant kidnappé sa dulcinée Daphnée, Dirk se retrouve carrément chez Beethoven, en plein délire créatif de sa 9e symphonie sur son piano, qui ne remarque même pas l'agitation autour de lui, avec son chat désireux de faire de Dirk son en-cas.
Affiche originale du jeu "Space Ace", sorti en 1984 sur borne d'arcade
Tout comme Dragon's Lair, Space Ace reprend les mêmes principes pour son matériel promotionnel : touot doit être fait comme s'il s'agissait d'un film d'animation sortant en salle.