27 octobre 2015, Vancouver
Au beau milieu d’un centre-ville surplombé de gratte-ciels qui pourrait presque passer pour celui de Manhattan s’il n’était pas complètement cerné par une nature sauvage, un mini-bus de la 20th Century Fox se met en route. Ses passagers : une petite quinzaine de journalistes internationaux très impatients d’arriver. Sa destination : La Planète des Singes.
Si Vancouver est une ville qui a permis le tournage de nombreux blockbusters tels que Deadpool, Man of Steel ou Robocop (version 2014), les singes de Matt Reeves, eux, ont préféré s’en exiler et s’éloigner de toute civilisation. Aussi nous faudra-t-il une heure de route pour arriver à bon port. Aux immeubles et aux quelques villas récalcitrantes succèdent bientôt des étendues d’arbres verts et d’immenses lacs. La route se transforme en petit chemin, de moins en moins praticable, qui nous emmène le long d’un grand terrain dénudé, entre deux immenses forêts.
ARRIVÉE SUR LA PLANÈTE DES SINGES
Au milieu de nulle part, après deux ou trois contrôles de sécurité, attendent plusieurs camions, des caravanes et quelques chevaux noirs portant des selles de fabrication plutôt rudimentaire. Quelque chose nous dit qu’ils ne sont pas destinés à des cavaliers humains, et que César et ses congénères ne doivent pas être bien loin.
Une fois descendu du bus, notre petit groupe s’enfonce dans la forêt, entre les arbres immenses qui servent à camoufler le tournage de La Planète des Singes – Suprématie aux yeux des éventuels indiscrets, de la même manière qu’ils protègent les abris fortifiés des singes dans le film. Ainsi que nous l’explique le producteur Dylan Clark à notre arrivée, dans ce troisième volet, les personnages sont en effet plus menacés que jamais. Deux ans après L’affrontement, sorti en 2013, une terrible guerre fait rage entre les singes et les humains :
"(...) sur le plateau où vous vous trouvez actuellement, une grande bataille vient d’avoir lieu. Ces hommes armés cherchaient César, pensant que s’ils parvenaient à le tuer, les autres singes se rendraient. Dans cette bataille introductive, ils étaient près du but, ils ont trouvé cette tranchée secrète derrière laquelle les singes ont bâti leur forteresse."
Après quelques minutes de marche, on arrive justement près de cette impressionnante construction, intégralement construite pour les besoins du film, et qui tient miraculeusement sur le flanc d’une falaise à pic, entre les grands arbres de la forêt. S’il n’y avait pas tous ces camions, ces tentes, ces grues pour nous rappeler à la réalité, nous rappeler que l’on se trouve sur le tournage d’un blockbuster hollywoodien, l’atmosphère silencieuse (pas un son dans le campement dès lors que le mot action a été crié !) et la mystérieuse respiration de la nature environnante nous ferait presque oublier la vie civilisée.
FACE À ANDY SERKIS !
Des acteurs en combinaison de performance capture nous croisent pour aller boire un café sous la tente principale. Parmi eux, Andy Serkis ! Difficile de ne pas être impressionné lorsqu’on le voit s’avancer dans cette espère de pyjama blanc couvert de capteurs qui lui a notamment permis de se glisser dans la peau de Gollum, de King Kong, du Capitaine Haddock, et depuis 2011… de César, le personnage principal de La Planète des Singes. Un rôle qui, selon ses propres mots au dernier Comic Con de New York, a considérablement évolué pour devenir le plus complexe qu’il ait jamais eu à interpréter dans sa carrière. En effet, tout porte à croire que le César de La Planète des Singes – Suprématie sera un héros sombre, complexe et tourmenté…
"César, qui a toujours essayé de trouver une solution pacifique et durable au conflit, se retrouve dans une position où ses émotions reprennent le dessus. Il se rend compte qu’il ne peut pas se dissocier de son désir de vengeance contre les humains. Donc c’est un gros changement pour lui parce que jusqu’ici, il avait toujours essayé de se tenir entre le monde des humains et celui de l’animal," nous explique Andy Serkis avant de nous préciser qu’au-delà de son évolution intérieure, le chimpanzé avait également bien changé à l’extérieur :
"C’est toujours le César qu’on a laissé dans le dernier film mais il s’est développé à travers L’Affrontement. Il s’est mis à utiliser le langage d’une manière plus humaine en termes d’expression, de syntaxe, d’articulation. Il s’exprime en utilisant de plus en plus d’expressions et de termes humains. (…) Mais nous avons dû faire attention de ne pas trop basculer, que ça ne devienne pas trop facile pour lui. C’était l’un de nos gros défis."
Des défis, la carrière d’Andy Serkis n’a cessé d’en surmonter, et notamment dans la trilogie de La Planète des Singes. De quoi influencer et guider les autres acteurs de la saga. En effet, de la même façon que César s’est imposé en tant que leader auprès des siens, Serkis a su inspirer les membres de son équipe tout au long de leur passionnante aventure…
"Lorsque je suis allée voir Andy très timidement et que je lui ai demandé un conseil, il m’a simplement dit : 'Sois aussi sincère avec ce rôle en tant qu’actrice qu’avec n’importe quel autre. Ne fais pas de grimaces, mais cherche la vérité psychologique à l’intérieur, et pars de là,'" nous a ainsi expliqué Karin Konoval, l’actrice qui interprète l’orang-outang Maurice.
"Je pense qu’il aurait bien mérité une nomination à l’Oscar pour L’Affrontement. Sa performance était incroyable et il est encore meilleur dans celui-là car il connait son personnage de mieux en mieux. (…) La subtilité qu’il arrive à faire passer à travers sa tranquillité est époustouflante. La présence qu’il a est incroyable," confirme Terry Notary, qui incarne Rocket à l’écran, et qui a formé tous les "singes" de la saga pour les aider à rentrer dans la peau de leur personnage.
INCARNER UN SINGE EN PLEINE NATURE
Il faut dire que depuis le premier opus de La Planète des singes, les limites de la technologie sont constamment repoussées, et permettent désormais à Andy Serkis et à ses collègues de tourner en décors réels, de monter à cheval, de se déplacer en-dehors des studios, dans le monde réel. Bref, de faire tout ce que pouvaient déjà faire les acteurs traditionnels. Et quand on voit la beauté et l’intensité du paysage qui nous entoure, on se dit que ça change tout. Derrière une odeur de bois mouillé, la forêt respire calme et paix. Entre les cimes des arbres, loin, très loin au-dessus de nos têtes, un rapace fend les airs. Certains membres de l’équipe nous racontent même qu’ils ont croisé un cerf, un ours noir et son petit, au début du tournage.
"C’est incroyable, c’est génial !," s’enthousiasme Terry Notary à propos de la nature environnante. "Une bonne part de nos exercices consistait à sortir dehors avec les acteurs, à nous asseoir pendant une heure et à nous taire. Ne pas parler. Vous pensez peut-être que c’est facile, mais ça ne l’est pas. Etre au présent, être silencieux, la boucler. Etre vraiment très simple. (…) Quand vous prenez les choses extérieures et que vous en faites votre essentiel, vous devenez invisible et vous ne jouez plus, vous êtes. C’est incroyable. Votre performance se volatilise. Vous vous perdez dans cette chose qui devient plus importante que vous et vous cessez de vous identifier à vous-même, de vous diriger. Votre performance devient réelle, et c’est ce qui fait que ces films marchent."
On l’aura compris, incarner un chimpanzé en pleine nature s’avère être une expérience intense, presque mystique qui, assez paradoxalement, a considérablement gagné en authenticité grâce aux avancées de la technologie. Après avoir enfermé les acteurs devant des fonds verts, les ordinateurs les ont finalement aidés à retrouver le grand air.
"UN GRAND FILM, LE PLUS IMPORTANT DES TROIS"
"On peut tourner en extérieur, en plein jour, dans n’importe quel environnement, ça aide les acteurs à se situer dans l’espace et dans le temps. C’est mieux que d’avoir à jouer dans un hangar en regardant une balle de tennis censée représenter un groupe de soldats qui vous arrivent dessus," explique Terry Notary.
Quitte à pouvoir tourner n’importe où (ou presque), l’équipe de La Planète des Singes compte bien en profiter pour repousser une fois encore ses limites et pour offrir au public "un grand film, le plus important des trois," selon le producteur Dylan Clark. L’idée : proposer quelque chose d’inédit et placer les personnages dans des situations nouvelles :
"Dans la neige, par exemple. Je pourrais dire que ça n’a jamais été fait avant mais ce n’est pas totalement vrai, ce qui est sûr c’est que ça n’a jamais été fait dans ces proportions-là. Nous allons filmer des acteurs en motion-capture dans la neige. Ça va être très amusant mais c’est terrifiant. Parfois, ils devront aller dans la boue. Ça devrait nous prendre une bonne quinzaine d’années…" s’amuse le producteur.
Quelques semaines après notre passage à Vancouver, toute l’équipe devra effectivement lever le camp et partir vers les étendues gelées d’Alberta où, dans des conditions autrement plus extrêmes, ils tourneront la confrontation entre César et le Colonel, le nouveau méchant du film incarné par Woody Harrelson. Faute de pouvoir nous emmener avec lui, le producteur nous montre une série de story-boards représentant la forteresse de glace du Colonel, de grandes plaines enneigées et de lointaines silhouettes de singes à cheval qui ne sont pas sans rappeler celles de Taylor, de Cornelius et de Zira dans La Planète des Singes originale (sortie en 1968).
Mais avant de partir braver la neige et le froid, Andy Serkis, Terry Notary, Karin Konoval et les autres doivent se concentrer sur la première bataille du film, qui vient donc d’avoir lieu près du lieu dans lequel nous nous trouvons. Munis de casques et installés dans une tente où l’on peut visionner les prises en temps réel, nous pouvons assister (à une petite distance) à la première rencontre entre César et les 4 pauvres humains qu’il vient de capturer. Andy Serkis, fidèle à lui-même, parvient très vite à nous faire oublier les moniteurs, les micros et les costumes de performance capture. Les masques de singes, accrochés au bout de longues perches en bois et censés aider les acteurs à se représenter le visage de leur interlocuteur, n’ont plus vraiment d’utilité lorsque César se met à parler.
Son discours, empreint d’autorité et de clémence, se heurte pourtant à une annonce des plus déplaisantes : celle de l’existence du Colonel, qui "ne s’arrêtera pas avant d’avoir tué tous les singes."
La scène est finie. Les acteurs se remettent en place pour la prochaine prise. Le metteur en scène lance une directive à un technicien. Et nous, on réserve déjà intérieurement nos places de cinéma pour le 2 août 2017.
En attendant, on peut déjà apprécier la première bande-annonce du film...
César et ses lieutenants en expédition.
Un plan qui n'est pas sans rappeler la fin du film original en 1968.
Andy Serkis, dans le rôle le plus exigeant de sa carrière.
L'orang-outang Maurice, incarné par l'actrice Karin Konoval, est aussi de la partie.
C'est en pleine forêt, non loin de Vancouver, qu'a été tourné le début du film.
Le dernier refuge des singes, sous le feu des humains.
César et ses congénères ne sont pas du genre à se rendre sans combattre.
Après la bataille, les singes procèdent à l'interrogatoire des prisonniers.
Une séquence à laquelle nous avons pu assister lors de notre visite du tournage l'an dernier.
César, plus sombre et menaçant que jamais.
"Je n'ai pas déclenché cette guerre."
César se prépare à rencontrer son ennemi.
Un Woody Harrelson déjà terrifiant dans le rôle du Colonel...
...et qui n'est pas sans rappeler Marlon Brando dans Apocalypse Now.
Le repaire du Colonel...
...qui se rase de près pour accueillir l'ennemi.
"Toute l'histoire de l'humanité nous a conduits à cet instant."
César à cheval dans la neige, façon "The Revenant".
César en très mauvaise posture.
"C'est notre dernier combat. Si nous le perdons, notre planète deviendra la planète des singes."