Burlesque, mélancolique, décalé... Pierre Etaix était l'un des derniers poètes du cinéma français. Auteur d'une poignée de films au charme irrésistible, l'artiste est décédé ce vendredi 14 octobre, à l'âge de 87 ans.
Pierre Étaix est né en 1928 à Roanne. Dès son plus jeune âge, il dessine avec talent et déjà son imagination débordante le fait sortir du lot. Après avoir passé son enfance dans sa Loire natale et avoir travaillé pour un maître verrier en Italie, il découvre l’univers de la comédie et émigre vers la capitale dès qu’il en a l’opportunité, pour se plonger corps et âme dans sa passion. S'il fait d’abord ses armes dans le music-hall avec des numéros comiques où il met en place son style, puis au cirque avec le clown Nino, c'est encore principalement grâce à l’illustration qu'il gagne sa vie.
Keaton et Chaplin
Assez vite, son admiration pour Buster Keaton et Charles Chaplin entre autres, contribue à définir son identité artistique et il devient alors spécialiste dans l’art comique du slapstick, dont il se fera le chantre et le seul représentant contemporain dans l’Hexagone. Il s’agit d’un genre d'humour impliquant une part de violence physique volontairement exagérée, initié par Mack Sennett et popularisé par le cinéma burlesque américain des années 20 et 30.
Le choc Tati
C’est la rencontre cruciale avec Jacques Tati en 1954 qui permet véritablement à Pierre Etaix de lancer sa carrière: durant quatre ans, il travaille à ses côtés comme dessinateur et gagman à la préparation de son film Mon oncle, puis comme assistant-réalisateur sur le tournage. Le jeune homme se produit même avec son numéro de music-hall, quelque temps plus tard, dans le spectacle de Tati, Jour de fête à l’Olympia. Sa rencontre avec le 7e art ne fait que commencer et il s’initie à la réalisation de la plus belle des manières, ses deux premiers courts-métrages, Rupture (1961) et Heureux Anniversaire (1962), se voyant tous deux objets de récompenses prestigieuses, le prix Fipresci pour le premier et l’Oscar à Hollywood pour le second. Les deux films ont été réalisés en collaboration avec Jean-Claude Carrière, dont la rencontre, quelques années auparavant, s’avère décisive pour les deux hommes qui associeront leurs carrières respectives.
Maître du burlesque
L'histoire d'Etaix avec le cinéma s’oriente alors naturellement vers les longs-métrages et la réussite ne se dément pas, bien au contraire. Son premier long-métrage, Le Soupirant (1962) le révèle définitivement comme un auteur comique de tout premier plan. Formidable hommage aux maîtres du burlesque, notamment à Keaton et Max Linder, le film étonne par ses gags, la finesse d’observation de ses pairs et décroche plusieurs prix dont le prestigieux Prix Louis Delluc la même année. Le style du cinéaste s’affirme et se dessine, tout en finesse, à tel point que ses réalisations connaissent un réel plébiscite critique et populaire.
Entre consécration et disgrâce
Un film se dégage en particulier, le chef-d’oeuvre Yoyo (un vibrant hommage au monde du cirque qui le fascine toujours) où il ajoute à son art incomparable du burlesque, une poésie très personnelle, et mélange avec subtilité rire et émotion. Après le surréaliste et drôlissime Grand amour (1968), ses deux films Tant qu'on a la santé (1966) et Pays de cocagne (1971) sont l’occasion de révéler un caractère social assez virulent. Dans ce dernier, il croque un portrait sans complaisance de ses contemporains, qui ne se reconnaissent pas tous dans sa vision critique assez brute. Alors que son cinéma artisanal commence à susciter un sérieux scepticisme chez les producteurs qui ne voient plus en lui qu'un reflet anachronique d’un monde, son art doit également faire face à l’avidité de ses mécènes qui ne le considèrent plus comme le vecteur de gains faciles et rapides qu’il était auparavant.
Homme de cirque
Sa carrière prend alors un virage nouveau et, en 1971, le réalisateur fonde avec sa femme Annie Fratellini "l’Ecole Nationale du Cirque". Il faut attendre les années 80 pour le voir revenir vers le Septième Art : après avoir interprété un détective dans Max mon amour (1986) de Nagisa Oshima, il adapte en 1987 pour le cinéma sa pièce à succès, L'Age de monsieur est avancé, écrite deux ans plus tôt. Raffinée et d’une grande intelligence, sa mise en scène sert parfaitement l’humour boulevardier de ce très beau texte écrit en hommage à Sacha Guitry.
Retour en grâce
En 1989, Pierre Etaix se voit confier la réalisation du premier film de fiction en format Omnimax pour la Géode, intitulé J'écris dans l'espace, mais se révèle peu convaincu par cette expérience, délaissant une dernière fois le monde du cinéma, au profit de ses premières amours, le dessin et l’écriture. Suite à des imbroglios administratifs d’une ampleur incroyable, le cinéaste ne peut avoir accès à ses œuvres pendant de longues années et tombe dans l’oubli du grand public avant que le monde du cinéma ne se regroupe et, à l’occasion du festival de Cannes 2010 notamment, permette à ce génie trop peu connu de se voir exposer à la lumière comme il se doit.
Nous avions rencontré Pierre Etaix...
Grand amour (1968)
Avec son épouse Annie Fratellini.
Grand amour (1968)
Grand amour (1968)
Yoyo (1964)
Yoyo (1964)
Pays de Cocagne (1971)
Heureux anniversaire (1962)
Prix Henri Langlois 2015
Cérémonie du 10ème prix Henri Langlois à la maison de l'UNESCO à Paris le 30 mars 2015.
Pierre Etaix en 2016
Pierre Etaix en 2013
Ouverture de la rétrospective Michel Piccoli à la Cinématheque à Paris le 4 septembre 2013.