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Deauville, septembre 2002. Protégés de la pluie qui tombe drue sur les planches, Kathryn Bigelow et Harrison Ford font face aux nombreux journalistes venus assister à la conférence de presse de K-19 : le piège des profondeurs, présenté en avant-première. Question : "Madame Bigelow, que pensez-vous de la traduction française de votre film, "Le piège des profondeurs", qui s'éloigne du "widowmaker" du titre original ?". Moue de la réalisatrice, qui n'est visiblement pas au courant du titre donné à son oeuvre dans l'Hexagone. Débat évacué, question suivante.
Et pourtant. Que de débats suscités au sein de la communauté cinéphile par la traduction française supposée respectée ou non d'un long métrage étranger, principalement américain. Par définition premier outil de reconnaissance d'une oeuvre (on cite bien évidemment son nom pour évoquer un film), le titre donné à un long métrage peut influencer son succès ou non et fait partie d'une tactique marketing d'ensemble bien élaborée par les distributeurs français, même si la tradition des traductions ne date pas d'hier et a marqué bon nombre de classiques du septième art.
Un choix subjectif
Car la décision de (re)nommer une oeuvre revient logiquement à son distributeur sur le sol français. Et plus précisément aux équipes marketing, qui collaborent généralement avec le département des ventes et la direction. "Le choix d'un titre est surtout une question de feeling", explique Caroline Decriem, directrice des relations publiques de l'Agence Lumière, chargée de la publicité des films estampillés United International Pictures (UIP), qui a notamment distribué K-19. "C'est donc évidemment très subjectif. Pour K-19, traduire "widowmaker" en "faiseur de veuves" nous paraissait trop sombre."
"Qu'est-ce qu'on attend d'un titre ?", s'interroge Muriel Rousselet, directrice marketing d'United Fox Distribution (UFD). "Tout simplement qu'il donne aux gens l'envie d'aller voir le film. Il faut donc qu'il soit en adéquation avec le positionnement du film et la cible qui nous lui avons retenu". Pas de limite, seule compte la créativité, une bonne culture cinéma et une bonne dose de connaissance du terrain. "Chacun écrit ses idées, ou les envoie par mail. Il nous arrive d'avoir 70 titres possibles, même si certains finissent par se ressembler".
Ainsi est né L' Age de glace, distribué dans l'Hexagone par UFD. "Littéralement, "Ice age" se traduit par "ère glaciaire". Mais nous trouvions que cela donnait un air trop scolaire pour les enfants, à qui le film était destiné prioritairement. Nous l'avons donc adapté, pour donner "L'age de glace"."
Traduire or not traduire?
Le choix d'un titre n'a cependant rien d'une science exacte. Et en l'absence d'outils de mesure précis, difficile de déduire l'influence d'une dénomination sur les spectateurs. Faut-il systématiquement donner un nom français à un film étranger ? Lui assurer une traduction littérale ? Laisser son titre en anglais ?
Selon une étude publiée en décembre 2000 par le Centre National de la Cinématographie (CNC), cinq choix s'offrent aux distributeurs hexagonaux. "La conservation du titre original (comme Fast & furious, NDLR), la traduction littérale (La Somme de toutes les peurs, NDLR), l'adaptation (traduction large et libérale comme Dérapages incontrôlés), la création d'un autre titre mais pseudo-anglais (American girls pour Bring it on, NDLR) ou la duplication, qui consiste à composer un ensemble titre/sous-titre (Windtalkers, les messagers du vent, NDLR)".
Vastes possibilités donc, laissé au feeling des distributeurs, qui en référent cependant souvent aux producteurs, américains ou autre, voir au réalisateur dans de rares cas. "Quand Mark Romanek a vu que son One hour photo avait été traduit par Photo obsession, il était étonné de la présence du terme "obsession". Nous lui avons expliqué que nous trouvions que ce mot décrivait au mieux l'état mental du personnage principal du film", raconte Muriel Rousselet.
70% des titres en français
De manière générale, les distributeurs insistent sur la nécessité de traduire les titres de films anglophones. "Pour garder un titre en anglais, il faut une très bonne raison, car nous habitons tout de même dans un pays francophone", explique-t-on chez UFD. Là encore, tout dépend de positionnement de l'oeuvre et du public ciblé, un film grand public destiné en priorité à la Province ayant plus de chances statistiques d'être traduit qu'un long métrage dont le public est supposé cinéphile et parisien.
Reste que selon les estimations de certains analystes du CNC, 70% des titres de films étrangers sont traduits dans la langue de Victor Hugo, même si les titres anglophones ont tendance à augmenter. Et si ça coince, le titre français de l'oeuvre littéraire qui a inspiré le film, mode très en vogue actuellement à Hollywood, vient souvent à l'aide des brainstormers. "The Pledge a cependant été difficile à traduire", tempère-t-on du coté du service distribution de la Warner. "Le film est l'adaptation d'un livre intitulé La Promesse en français. Mais ce titre existe déjà au cinéma (pour un film des frères Dardenne, NDLR). Nous avons donc décidé de garder le titre original."
Les cas litigieux
Sempiternel sujet de débat, de surprise, voir de mécontentement, les titres en VF peuvent être à l'origine de polémiques locales entourant l'oeuvre. Ainsi, Les Sentiers de la perdition, accusé de négliger un double sens présent dans le titre en version originale et dans le film lui-même. "Mais c'était une volonté explicite de Sam Mendes que tous les titres étrangers de son film se rapprochent le plus possible de son intitulé original", précise Muriel Rousselet, qui s'est occupé de la distribution du film avec UFD.
Plus suspicieuses sont les traductions qui jouent sur la ressemblance avec des oeuvres déjà existantes, de préférence assez populaires. Du Flic de San Francisco à Piège en eaux troubles en passant par American girls, les oeuvres n'évoquent que rarement Le Flic de Beverly Hills, Piège de cristal et American pie. "Nous n'avons découvert la relation du film avec un autre qu'en lisant la presse", se défend-on du côté de la société Carrere, détentrice des droits français d'un Y a-t-il un flic pour sauver l'humanité ? sous-traité par Artédis et dont le titre se rapproche de Y a-t-il un flic pour sauver la reine ?. "Le titre résume bien l'action du film et nous ne voulions pas faire de jeu de mot sur 2001, qui est une oeuvre intouchable".Entouré de "sex" (Someone like you, traduit en salle par Attraction animale pour finir sur les rayons vidéo en tant que Sex agenda), oppressé par des dénominations "mortelles" ou "d'enfer", le spectateur peut tout de même parfois se sentir perdu, voir floué. A juste titre ?
Thomas Colpaert
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