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    La Liste Noire sort de l'ombre

    L'Académie des Oscars revient sur la période du maccarthysme à Hollywood, en consacrant une exposition à la Liste Noire en 2002.

    Hollywood poursuit son travail de mémoire. Trois ans après le premier élan en faveur de la réhabilitation des membres de la Liste Noire, l'Académie des Oscars prépare pour février 2002 une grande exposition sur cette période trouble de l'histoire du cinéma américain.

    L'exposition examinera le contexte historique qui a mené à la constitution de la Liste Noire, jusqu'à son retentissement dans le Hollywood d'aujourd'hui. C'est la première fois que le sujet sera évoqué grâce à de nombreux supports visuels : photographie, bandes sonores, extraits de films... L'événement est annoncé très en amont, afin de permettre aux personnes qui disposeraient de documents de les proposer au commissaire de l'exposition. Ce dernier n'est autre que Larry Ceplair, un des auteurs d'une étude très reconnue sur le maccarthysme à Hollywood, intitulée "The Inquisition in Hollywood : Politics in the Film Community, 1930-1960". L'enjeu est de taille pour Hollywood. "La blessure laissée par la création de la Liste Noire à Hollywood ne s'est pas cicatrisée, même si cinquante ans ont passé.", explique Robert Rehme, président de l'Académie des Oscars.

    Chasse aux sorcières à Hollywood

    Tout a commencé en 1933, avec plusieurs conflits entre syndicats et studios. La chasse aux sorcières s'instaure dès 1938, avec la création de la Commission des activités anti-américaines (House Un-American Commitee). Très vite, cette commission se focalise sur Hollywood, soupçonné d'être le foyer du communisme en Amérique. Une première vague de paranoïa s'instaure donc juste avant la guerre. Shirley Temple est même accusée de subversion pour avoir signé une carte de voeux dans un quotidien communiste français... alors qu'elle n'a que 8 ans !

    L'entrée en guerre des Etats-Unis calme le jeu. Mais dès la fin du conflit, la chasse aux sorcières reprend de plus belle. En 1947, la loi Taft Hartley oblige les syndicalistes à jurer par écrit qu'ils ne sont pas communistes. En cette période de guerre froide entre les Etats-Unis et l'URSS, il ne fait pas bon être communiste. Pour évaluer l'ampleur de la pénétration de l'idéologie rouge dans les milieux intellectuels et particulièrement cinématographiques, une commission d'enquête est nommée, dirigée par le sénateur Mac Carthy. Les auditions se succèdent alors, et la communauté hollywoodienne se déchire. Certains préfèrent rejoindre l'Europe : Charlie Chaplin, Joseph Losey ou encore Jules Dassin quittent ainsi le territoire américain. D'autres jurent leur allégeance à l'Amérique : Ronald Reagan, le futur président, Walt Disney, ou encore Gary Cooper font parti de ceux-là.

    Dans ce climat de suspicion, un petit groupe d'irréductibles résiste. Les "Dix d'Hollywood", composé de scénaristes, réalisateurs ou producteurs, tous proches ou adhérents du Parti communiste, refusent en effet de répondre aux questions de la commission. Ils invoquent pour leur défense le Premier amendement, qui garantie la liberté d'expression, et le Cinquième, qui garantit leur droit à ne pas témoigner contre eux-mêmes. Las ! Dans les années cinquante, le communisme est une affaire d'Etat. Les Dix seront donc condamnés à des peines de prison, pour outrage. Certains ne retravailleront plus, d'autres, à l'instar de Dalton Trumbo, utiliseront un pseudonyme.

    En 1951, la commission des activités anti-américaines organise une seconde enquête qui ratisse le milieu hollywoodien, sous la houlette du sénateur Mac Carthy. Sous la menace d'être banni d'Hollywood, une partie des artistes dénonce ses collègues. Certains, dont le réalisateur Elia Kazan, vont même jusqu'à inventer de faux coupables. Des vies sont ainsi réduites à néant car selon un accord entre les studios, aucune personne inscrite sur la Liste Noire ne peut travailler à Hollywood. En 1954, la liste compte 324 noms. Mais voilà, le sénateur Mac Carthy emploie des méthodes peu orthodoxes, et n'hésite pas à corrompre les témoins. Ce qui causera sa perte, et la fin de la chasse aux sorcières.

    Un passé à assumer

    Hollywood ne s'en relève pourtant pas facilement. L'épuration des talents hollywoodiens amène à une baisse qualitative de la production américaine, qui devient un relais pour les intérêts étatiques et anticommunistes. Or ces films, en étant des échecs, ont incité les banques à se méfier de l'industrie du cinéma. Très vite, pour être financé, il a fallu minimaliser les risques. A terme, la Liste Noire aura incité à l'autocensure et à la surveillance des contenus.

    Depuis plusieurs années, Hollywood revient sur cette période noire de son histoire. En 1991, le réalisateur Irwin Winkler réalise La Liste noire, avec Robert De Niro. Le film met en scène le réalisateur David Merrill. De retour d'un voyage en Europe, il est interrogé par la commission. Alors que son avocat lui conseille de collaborer, il refuse de dénoncer son meilleur ami, scénariste. Peu à peu, ses relations le délaisse, et il a de plus en plus de mal à travailler. Néanmoins, lorsqu'il paraît devant la commission, il ne cède pas, et donne ainsi le courage à son meilleur ami de ne pas trahir non plus.

    En 1997, Sony réhabilite le scénariste Michael Wilson, inscrit sur la liste noire, en le créditant au générique du film Lauwrence d'Arabie. De son côté, la Writers Guild of America entame une campagne visant à réhabiliter régulièrement certains de ces scénaristes oubliés. On peut estimer à une centaine le nombre de génériques de films modifiés depuis qu'Hollywood a entrepris son mea culpa. Mais le sujet continue de déchaîner les passions : l'attribution d'un Oscar d'honneur à Elia Kazan en 1999 avait déclenché une vaste polémique. Nombreux en effet étaient ceux qui ne comprenaient pas l'hommage rendu à celui qui dénonça certains artistes. D'où la même interrogation qu'à l'époque : un artiste doit-il être jugé sur la qualité de son oeuvre ou sur ses opinions ? Plus de cinquante ans après, la question divise encore Hollywood.

    F.M.L

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