Tout le monde s'accorde à dire que la légende de Kubrick se fonde en partie sur le contrôle obsessionnel qu'il exerçait sur son oeuvre. Omniprésent de l'écriture du scénario à la sortie du film – le magazine Première révèle qu'il lisait la presse indonésienne juste pour vérifier le format des publicités de Full Metal Jacket -, Kubrick se faisait un devoir de tout maîtriser.
La promotion de ses films n'échappait pas à cette politique. Depuis 2001 : l'Odyssée de l'Espace, Stanley Kubrick avait pris l'habitude de distiller ses informations, préférant envelopper ses oeuvres de mystère. "Il retenait ses films jusqu'à la dernière minute car il voulait que les gens puissent les voir avant d'entendre ce qu'en disait la presse", déclarait à l'AFP Nancy Kirkpatrick, la responsable de la communication chez Warner Brothers.
Eyes Wide Shut aurait dû connaître le même destin que ses prédécesseurs si Alexander Walker n'en avait pas décidé autrement. Journaliste au London Evening Standard et proche du défunt, Alexander Walker fait partie des rares personnes qui ont pu voir Eyes Wide Shut. Fort de son statut de privilégié, il n'a pas résisté à l'envie de diffuser sur Internet la critique du film posthume.
Titrée "It's a Sex Odyssey", cette "trahison" révèle de nombreux aspects de Eyes Wide Shut que nous préférons tenir secret, salue la performance de Nicole Kidman et précise qu'une seule projection ne permet pas d'apprécier pleinement la vision de Kubrick.
La famille du cinéaste s'est déclarée extrêmement choquée par ce manque de respect envers la mémoire de Kubrick. Quant aux dirigeants de Warner Brothers, ils souhaitent punir sévèrement Walker.
Parallèlement à cette indiscrétion, on a appris que Eyes Wide Shut bénéficiait de deux versions. Plutôt que de choquer le puritanisme américain et, par la même occasion, écoper du redouté Restricted (interdit aux mineurs), Stanley Kubrick a préféré édulcorer son film. Mais au lieu de pratiquer les habituelles coupes sur la scène incriminée - la fameuse scène d'orgie -, il a eu recours, en technophile averti, au dernier procédé numérique pour modifier 65 secondes. Astucieusement, il a rajouté des personnages afin de masquer certaines images jugées trop équivoques.
Les Américains verront cette version censurée à partir du vendredi 16 juillet. En revanche, le reste du monde pourra voir Eyes Wide Shut comme l'a imaginé et filmé Stanley Kubrick. C.V