Olivia Wilde réalisatrice : deuxième ! Après Booksmart, teen movie plein de tendresse visible sur Netflix, la comédienne repasse derrière la caméra et confirme tout le bien que l'on pensait d'elle avec Don't Worry Darling. Elle nous plonge cette fois-ci dans l'Amérique des années 50, au sein d'une communauté en apparence parfaite.
Mais en apparence seulement. Car Alice (Florence Pugh, toujours aussi intense et impressionnante) se met à douter du bien-fondé de son créateur (Chris Pine) et de ce que cache cette banlieue proprette. L'occasion, pour Olivia Wilde, de créer une ambiance inquiétante et séduisante autour des mystères de son récit, qu'elle nous décrit comme une lettre d'amour au cinéma. Rencontre avec une réalisatrice passionnante, à l'écran comme en interview.
AlloCiné : Qu'avez-vous vu dans le scénario pour vouloir en faire votre deuxième film en tant que réalisatrice ? Des images, une iconographie ? Ou ce que le récit vous permettait de dire sur l'Amérique d'aujourd'hui ?
Olivia Wilde : C'était tout cela. Une opportunité de hausser mon niveau de jeu en tant que réalisatrice, et utiliser tous les outils à ma disposition pour créer un monde. Je savais que ce scénario me permettrait de plonger pleinement dans les notions de cinématographie, de décors et de costumes d'une manière ambitieuse et infiniment inspirante.
Cela me donnait la possibilité de faire quelque chose qui paraisse cinématographique pour le public. Don't Worry Darling a été fait pendant la pandémie [le tournage a eu lieu entre octobre 2020 et février 2021, ndlr], alors que l'on se demandait si les films allaient continuer de voir le jour, si Hollywood était mort. Ce film me paraît être une réponse à ces questionnements, d'une certaine manière. C'est une lettre d'amour au cinéma. Une lettre d'amour à l'expérience cinématographique. Il a été conçu en vue de cette expérience cinématographique ample.
Et, dans le même temps, les questions que le film cherche à poser m'intéressaient : qu'est-ce que le système qui vous sert et dans lequel on se retrouve ? Qui peut être assez courageux pour le remettre en question, même s'il est très confortable ? Cela m'a beaucoup intéressée, cette idée de savoir si vous êtes prêt à sortir du rang, même si vous êtes à l'aise en restant dedans.
Nous sommes parfois prêts à sacrifier nos droits pour notre confort
Et cela semble être votre volonté, en tant que réalisatrice, de sortir du rang.
Tout à fait ! Je veux continuer à poser des questions, être courageuse, audacieuse. Je veux sortir de ce que l'on attend de moi ou de ce qui, je pense, a déjà été dit. Je veux être provocatrice. Ajouter des éléments au débat. Être prévisible et chercher à m'intégrer à ce qui existe déjà ne m'intéresse pas. Faire un film demande énormément de travail, donc si vous en faites un, autant qu'il apporte quelque chose de nouveau. Même si des gens ne l'aiment pas. Cela reste une opportunité de prendre des risques, et c'est stimulant.
À quel point "Alice au pays des merveilles" et "De l'autre côté du miroir" ont influencé le scénario et la mise en scène ? Au-delà des personnages appelés Alice et Bunny.
"De l'autre côté du miroir" a été une énorme influence, oui. Cette histoire d'une femme qui se retrouve en train de remettre sa réalité en question a eu plusieurs sources d'inspiration, car ce sont des questionnements que les gens ont depuis longtemps : "Qu'est-ce qui est réel ? Comment savons-nous que ça l'est ? Sommes-nous dans un rêve ou dans la réalité ?"
Tout au long de l'Histoire de l'humanité, la philosophie a tenté de comprendre la conscience, et j'aime que Don't Worry Darling soit un hommage à toutes ces histoires qui ont cherché à questionner la notion de réalité et ce que nous voulons faire en son sein.
En quoi l'iconographie des années 50-60 était-elle propice à l'ambiance que vous créez, à la lisière de l'horreur ?
Je la trouve à la fois incroyablement séduisante et très problématique en même temps. Car il s'agit d'une époque très restrictive pour les femmes, les personnes de couleurs, les gays… Tous ceux qui n'étaient pas des hommes blancs hétéros. Mais nous sommes quand même attirés par son iconographie, à cause des films de cette période, de sa musique et de sa mode. C'est très séduisant et, indéniablement, sublime. Mais la nostalgie de cette époque est problématique, car cela nous replonge dans quelque chose d'intrinsèquement imparfait.
Mais cela me fascinait, et je me demandais pourquoi je voulais appartenir à une époque qui ne me servirait en aucun cas. Pourquoi je voudrais boire des Martini avec Frank Sinatra et traîner à Palm Springs, au bord de la piscine, en sachant que ce serait une époque bien plus difficile et contraignante pour moi en tant que femme. Car nous sommes parfois prêts à sacrifier nos droits pour notre confort, et je trouve cette ambivalence intéressante.
Être prévisible et chercher à m'intégrer à ce qui existe déjà ne m'intéresse pas
Le fait de tourner pendant la pandémie a-t-il aidé à créer cette ambiance un peu hors du temps sur le plateau ?
Ça a surtout aidé à créer l'intensité que l'on ressent dans le film. Il y a une énergie qui provient de l'intensité émotionnelle commune que nous ressentions à l'époque. La dynamique sur le plateau était très inhabituelle, car tout le monde était dans une bulle, pour se protéger les uns les autres. Nous étions beaucoup plus soudés que sur une production normale et, comme tout le monde, nous nous sentions isolés de la société. Mais nous avons pu nous réunir, d'un coup, avec pour but commun de raconter cette histoire. C'était étrange, que d'être ensemble pour faire un film, mais je pense que cela se ressent dans l'histoire.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 17 septembre 2022