48 ans (!) après sa sortie dans nos contrées, L'Exorciste de William Friedkin reste plus que jamais un monument de terreur brut. Cette histoire de possession dont l'enjeu millénaire repose in fine sur la lutte éternelle entre les forces du Bien et celles du Mal, le cinéaste délivrait une expérience viscérale proprement traumatisante pour le public qui l'a découvert dans les salles obscures à l'époque.
Le film a tellement choqué et effrayé les spectateurs que bon nombre d'entre eux ont confondu la fiction et la réalité : Linda Blair, qui incarne la pauvre Regan, aurait été vraiment possédée, folle, était un suppôt du Diable... Dans des interviews, Blair avait même déclaré que des journalistes de l'époque lui demandaient avec effroi ce qu'il en était de la possession...
Des histoires à dormir debout entourant le film et sa création, qui n'étaient d'ailleurs pas forcément pour déplaire au réalisateur et à Warner Bros., productrice du film, contribuant à nourrir un peu plus le phénomène. Toujours est-il que L'Exorciste fut un immense succès au Box Office mondial, rapportant plus de 440 millions de dollars dans le monde. Et déclencha un débat mondial sur l'occulte au sein de l'Église catholique, tout en inspirant des générations de réalisateurs de films d'épouvante. Et pas seulement.
Roland Doe, le véritable Regan
Adaptant lui-même son livre publié en 1971 en écrivant le script, et d'ailleurs récompensé par un Oscar pour son travail, William Peter Blatty s'était inspiré d'un fait divers tout à fait authentique. Un cas de possession survenu sur un jeune garçon de 13 ans résidant à Cottage City dans le Maryland, en 1949.
L'identité du garçon, connu sous le nom de Roland Doe, ne fut pas connue avant près d'une dizaine d'années; certains experts estimant que son véritable nom était Ronald Hunkeler, ou Robbie Mannheim. Blatty eut vent de son histoire alors qu'il était étudiant à l'Université de Georgetown.
Elevé au sein d'une famille luthérienne d'origine allemande, Ronald était semble-t-il déjà familier avec le paranormal. Il demanda ainsi un jour pour son anniversaire un Ouija, planche censée permettre la communication avec les esprits. C'est sa tante, Harriet, qui lui en fit cadeau.
Peu de temps après le décès de celle-ci, le garçon commença à vivre d'étranges et effrayantes expériences de choses anormales dans et autour de la maison. Des événements qui figurent largement dans les films d'épouvante d'ailleurs : bruits étranges dans la maison et dans sa chambre, grattements dans les murs, vibrations du lit, déplacements d'objets...
Sa famille contacta divers experts, sans succès. Elle était d'autant plus paniquée que le garçon se réveillait avec des marques sur le corps, comme s'il avait été la cible de ces phénomènes étranges. Elle se tourna alors vers un prêtre, le père E. Albert Hughes, qui fit sur le jeune garçon un exorcisme en février 1949.
L'expérience fut de courte durée : Roland arracha durant l'exorcisme un ressort de son matelas pour le jeter au visage du prêtre. Quelques jours plus tard, il portait de nouvelles marques rouges sur le corps; les parents affirmant avoir cru lire "Saint-Louis" sur la poitrine du garçon. Saint-Louis étant le nom de la ville où résidaient les grands-parents de Roland.
Déménageant dans la ville de Saint-Louis, située dans le Missouri, où ses parents pensaient être enfin tranquilles, le mal dont semblait souffrir Roland / Ronald ne s'arrêta pas. Hospitalisé dans l'aile psychiatrique de l'hôpital de la ville, il fut là-bas pris en charge par deux autres prêtres, Walter H. Halloran et William Bowdern, qui firent sur lui un second exorcisme.
Devenant menaçant, insultant et crachant sur les prêtres, possédant une voix de plus en plus effrayante, Roland ne se laissa pas faire, à la manière de Regan face au père Merrin assisté du père Karras dans le film de Friedkin. Un troisième prêtre, jésuite et du nom de William Van Roo, vint en renfort pour exorciser Roland. Particulièrement agité, le garçon cassa même le nez du père Halloran, qui racontera, en 1988, avoir vu des mots comme "Hell" sur le corps du malheureux garçon.
Ingénieur à la NASA
Comme souvent dans une telle affaire, les interprétations sont très divisées. Des psychiatres ont estimé que le garçon souffrait de maladie mentale, s'infligeant lui-même sur le corps les marques observées. Certains ont parlé d'un enfant perturbé et trop gâté par son père, élevé par une mère religieuse et très superstitieuse. Un enfant sujet à des harcèlements de ses camarades, qui aurait créé lui-même toutes ces agitations pour attirer l'attention sur lui. Pour l'Eglise, cela reste un cas de possession démoniaque.
Toujours est-il qu'après une série d'exorcismes, l'enfant ne fut plus sujet aux crises qui s'étaient emparé de lui, et mena une vie plutôt normale. Ce qui est tout à fait étonnant, c'est que les experts pensent qu'il travailla, sous le nom de Ronald Edwin Hunkeler cité plus haut, en tant qu'ingénieur à la NASA, et participa activement au programme Apollo pour envoyer le premier homme sur la Lune. Il travailla semble-t-il à la conception des panneaux ultra résistants de la fusée, capable de résister à des températures très élevées.
Très peu de monde connaissait sa véritable identité et les exorcismes dont il fit l'objet; l'Eglise tenant à garder sur ce point l'anonymat des personnes. Cité dans l'article du New York Post, un ami de longue date de Ronald Hunkeler explique qu'il était en permanence inquiet que quelqu'un découvre son passé. Chaque année, à l'approche d'Halloween, il quittait même sa maison, de peur d'être harcelé. Hunkeler a pris sa retraite de la NASA en 2001 après 40 ans de travail chez elle, et s'est éteint en 2020 à Marriottsville, dans le Maryland, un mois avant de célébrer son 86e anniversaire.