D'Everest au bien nommé Survivre, en passant par À la dérive, le thème de la survie a très souvent été l'un des fers de lance du cinéma de l'Islandais Baltasar Kormákur, qui fait des allers et retours entre son pays natal et les États-Unis. Et ce n'est pas avec Beast que cela va changer, puisqu'il y confronte Idris Elba, dans le rôle d'un mari endeuillé, à un lion mangeur d'hommes en Afrique du Sud.
Un long métrage qui lui a valu de changer de décor pour poser ses caméras en Afrique, et sur lequel il revient avec nous en compagnie de son acteur principal.
AlloCiné : D'où vient cette envie, Baltasar, de raconter cette histoire de survie ? Celle d'un homme face à la bête, et face à lui-même également ?
Baltasar Kormákur : J’ai toujours éprouvé une fascination pour les animaux sauvages et surtout les lions. Quand j’étais petit, je collectionnais les images de lions que je découpais dans divers magazines. J’ai également toujours été fasciné par l’Afrique, avec ses paysages gigantesques et envoûtants. Je voulais trouver un film sur la survie, sur un homme seul face à la nature déchaînée. Un peu comme Les Dents de la mer ou le documentaire La mort suspendue, deux films que j’adore.
J'ai donc eu la chance de trouver ce projet, d'autant plus qu’Idris voulait en faire partie. C'est l’acteur parfait pour ce rôle qui nécessite un bon dosage d’émotions et de gros muscles. Nous avions parlé pendant longtemps de faire un film ensemble. Cette histoire d’un homme devant protéger sa famille face à cet animal sauvage m’a fasciné. Pour moi, c’est une métaphore sur les divers défis qui auxquels nous faisons face dans la vie.
Est-ce cette envie de travailler avec Baltasar Kormákur qui vous a surtout poussé à faire ce film Idris ?
Idris Elba : Nous voulions travailler ensemble depuis longtemps. Le thème de la survie est quelque chose qui nous a toujours passionnés tous les deux. Si vous regardez bien, bon nombre de nos films parlent de la survie. C’était le film idéal [pour le faire ensemble], d’autant qu’ici, il est vraiment question de survie physique à tout prix. Ce fut un vrai défi que de faire ce film en Afrique, avec un nombre important de scènes en images de synthèse pour les lions. Mais je suis vraiment satisfait avec le résultat.
Le courage c’est de savoir affronter ses peurs intérieures et les domestiquer
Le fait de jouer un personnage plus vulnérable, auquel nous sommes moins habitués vous concernant, a-t-il aussi joué dans votre motivation ?
Idris Elba : Oui, cela m’intéressait de jouer quelqu’un qui ne soit pas un véritable action hero, mais plutôt quelqu'un qui ne sait pas se servir d’une arme. Jouer un homme presque comme les autres, sans prétention, c'était différent pour moi. J’aime aussi que Nate soit un père aussi vulnérable et sensible. Encore une fois, cela me change des rôles très machos que je joue d’habitude.
Au-delà de mon personnage, qui n’est pas cliché et unidimensionnel, nous voulions aussi montrer un lion qui n’est pas vraiment une bête sauvage. Il est ce qu’il est à cause des circonstances dans lesquelles il évolue : il réagit à un environnement qui lui a été hostile. Le lion n’est pas le méchant de notre histoire : c’est plutôt l’homme qui saccage son territoire, son habitat.
Que pouvez-vous nous dire sur le tournage en Afrique du Sud ?
Idris Elba : La géographie du film est capitale, car il est question d'une nature sauvage et indomptée. L’Afrique c’est aussi le chez soi de la mère des filles de mon personnage, récemment décédée [lorsque le récit commence]. Il était vraiment important de trouver des décors naturels majestueux et vierges. Je pense que si l’on voit le film sur un grand écran, on ne peut que ressentir la force et la grandeur des paysages. La lumière était également incroyable et cela donne des couleurs tellement surréalistes à l’écran. On se croirait vraiment en Afrique quand on voit notre film, cela semble plus vrai que nature.
Baltasar Kormákur : J’ai été surpris par le froid qu’il fait en Afrique du Sud le soir et la nuit. Je viens d'Islande, donc je m’y connais en froid, mais cela m’a pris par surprise qu’il y ait du froid en Afrique. Et il ne fût pas simple de filmer la nuit, car il a fallu éclairer au maximum toutes les scènes dans la brousse africaine. Sans compter que nous avons parfois dû filmer loin de toute grande ville, et nous adapter au confort et aux joies du camping.
Quel est le coeur du film pour vous, son vrai sujet derrière cette histoire d'homme face à la nature ?
Idris Elba : C’est vraiment un film sur la perte d’un être cher. Sur la douleur, la séparation des êtres. Il porte également un regard sur la colère et le désespoir : celui d’un père qui est désarmé face à la perte de sa femme et l’éloignement créé par cette perte avec ses filles. Quelque part, l’histoire de mon personnage est celle du lion qu’il affronte. On peut se demander qui est la bête et qui l’humain. On a tous en soi une bête qui peut remonter à la surface, suivant les évènements auxquels nous faisons face dans la vie. Rien n’est simple, rien n’est tout noir ou tout blanc dans la vie.
Baltasar Kormákur : Pour moi, c’est vraiment un film sur la difficulté de garder sa famille unie et solide, surtout lorsque l’on perd un être cher, comme la mère dans le cas de ces jeunes filles. La famille c’est tout ce qu’il y a de plus important dans ma vie et je peux totalement m’identifier au parcours de Nate Samuels. J’aurais fait la même chose à sa place, d’autant que, pour moi, la peur ultime c’est de perdre ma famille. Ce film est une métaphore sur le parcours du combattant qu’est la vie.
Rien n’est simple et nous faisons toujours face à une bête féroce à chaque grande étape de notre existence. La difficulté ultime est de ne pas succomber à ses peurs intérieures et savoir gérer ses émotions. Petit à petit, on voit bien comment le personnage d’Idris arrive à reprendre du poil de la bête et à devenir le héros et le père dont ses filles ont besoin. Le courage c’est de savoir affronter ses peurs intérieures et les domestiquer.
Propos recueillis par Emmanuel Itier à Los Angeles le 8 août 2022