AlloCiné : En Nous est la suite de Nous, princesses de Clèves, sorti sur les écrans en 2011. Quand avez-vous eu l'idée de composer ce diptyque ?
Régis Sauder : L’idée a germé petit à petit. J’ai toujours gardé des liens avec les jeunes filmés à l’occasion de ce premier film et c’est en quelque sorte eux qui ont lancé le signal de ces retrouvailles. 10 ans c’est une période cruciale, fondatrice d’une vie, entre 20 et 30 ans.
Beaucoup de choses s’étaient passées pour eux sur le plan familial, affectif et professionnel. Et pour nous, ces 10 dernières années ont été chargées politiquement. J’avais envie d’en faire le récit et de voir comment ces jeunes avaient réussi ou non à trouver une place dans cette société toujours plus inégalitaire et violente.
Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans l'évolution des élèves que vous retrouvez ici ?
C’est sans aucun doute leur courage, leur capacité à surmonter les nombreux obstacles auxquels ils ont dû faire face, sans violence. Ils ont un regard très précis sur la société qui les entoure et la place qu’elle leur réserve, sa capacité à les accueillir.
C’est intéressant de les écouter, car ils ont une lecture moderne du monde qui nous entoure. Certains ont quitté Marseille, d’autres y ont construit leur vie, mais tous ont effectué un voyage social, ils sont en quelque sorte des transfuges de classe, mais ils n’oublient pas d’où ils viennent.
Quel regard portiez-vous sur la jeunesse de 2011 ? Et sur la jeunesse de 2021 ?
Ce n’est pas mon regard qui compte, ma position est celle de l’empathie. Ce qui compte c’est de rendre visible cette partie de la jeunesse qu’on ne voit jamais, qui n’est jamais représentée. De lui faire une place pour l’écouter et la regarder dans son immense beauté. On met la lumière sur la proportion très minoritaire qui a choisi la violence pour exprimer sa colère, mais on ne regarde jamais l’immense majorité des jeunes qui décide de faire un autre choix.
Ces jeunes, par leur choix professionnels et politiques, ont décidé d’être de plain-pied dans la société, de choisir pour beaucoup le service public car ce sont leurs valeurs. Je trouve ça encore une fois courageux et remarquable. Je suis très admiratif et ils me donnent beaucoup d’espoir en l’avenir. Ils sont notre avenir.
Au coeur de votre film, on retrouve La Princesse de Clèves. Quel rapport entretenez-vous avec cette œuvre ? Qu'est-ce qui la rend utile pour décrypter la jeunesse ?
Au cœur du film, on retrouve surtout l’école, le rôle fondamental des professeur·e·s qui accompagnent ces jeunes, qui croient en la rencontre possible avec les textes, la littérature comme moyen d’émancipation. L’école publique aujourd’hui est menacée, comme l’hôpital public, c’est ce que raconte le film.
Je pense qu’il est fondamental de montrer pourtant comme elle est essentielle. Et, comme le rappelle Emmanuelle dans le film, "c’est exactement ici que l’école publique doit jouer son rôle" pour qu’on puisse encore imaginer que l’objectif commun que nous nous sommes fixé est la liberté, l’égalité et la fraternité.
Dans Retour à Forbach, vous vous interrogiez sur la paupérisation galopante et la dérive frontiste de la ville dont vous êtes originaire. Le Marseille de En nous ne semble pas si éloigné de Forbach...
Marseille, Forbach... la société est traversée par la xénophobie et le racisme. Il faut des œuvres, des films qui regardent autrement les gens qui naissent, grandissent et vivent dans ces quartiers délaissés. Ils sont comme nous, avides d’amour, d’amitié et d’espoirs. Ils ont dans leur immense majorité envie d’un métier, d’une place dans la société. Mon film montre autrement ces territoires et porte un regard d’espoir sur des zones continuellement disqualifiées ou stigmatisées.