Le 25 février dernier, Vincent Lacoste remportait le premier César de sa carrière, celui du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour Illusions perdues, après avoir été nommé à quatre reprises. S'il est évidemment trop tôt pour se projeter sur la cérémonie de 2023, il ne serait pas étonnant de le voir en lice pour une deuxième compression grâce à De nos frères blessés. Ce serait même mérité au vu de sa prestation, intense et déchirante, dans le film d'Hélier Cisterne.
Inspiré de l'histoire vraie de Fernand Iveton, racontée par Joseph Andras dans un livre dont le film a conservé le titre, De nos frères blessés nous plonge en 1954, alors que débute la Guerre d'Algérie. Incarner ce militant indépendantiste permet à Vincent Lacoste de dévoiler une nouvelle facette, à la fois plus sensible et plus brute, de son immense talent.
"Un acteur extraordinaire dans le corps d’un homme ordinaire, il est en évolution constante", dit Hélier Cisterne de lui dans le dossier de presse. "C’est un vrai travailleur qui n’en donne pas l’impression. Et il a cette immense qualité d’être absolument là, dans son personnage, sans avoir besoin de souligner son implication. Il n’est pas dans la mégalomanie de son personnage. Il a un naturel, une ingénuité, une forme d’humilité qui fait qu’on croit totalement à ses personnages."
Jusqu'ici peu enclin aux transformations physiques et autres changements de look, ce qui a pu faire dire à certains (à tort) qu'il jouait tout le temps les mêmes rôles, Vincent Lacoste est totalement crédible dans la peau de Fernand Iveton. Et on croit autant à son personnage qu'au couple qu'il forme avec Vicky Krieps alors que le film, comme la bande-annonce le montre bien, glisse de la douceur de leur amour vers les conséquences dramatiques de cette période sombre de l'Histoire de France.
Un sujet longtemps tabou que le film n'hésite pas à regarder dans les yeux, à travers les arrestations arbitraires, la torture et même la guillotine, qui dénotent une république se comportant comme une dictature : "[Il] met en scène ou évoque une partie infime de toutes ces pratiques qui existent alors et se systématisent à partir de 1956, pour devenir courantes pendant tout ce conflit alors même que c’est une 'république' qui mène cette guerre. Dirigée par la gauche modérée jusqu’en 1958 qui plus est."
Il y a un fossé incroyable entre la sous-représentation de cette guerre chez nous jusqu’à maintenant, et son omniprésence en Algérie
"Convoquer ces éléments, c’est aussi refuser qu’on puisse les ignorer, mais la question cinématographique est celle de leur représentation." Et cette représentation, Hélier Cisterne a pu la faire aboutir en partie grâce à l'Algérie, qui co-produit De nos frères blessés, et le soutien soutien du ministère de la culture de la ville d’Alger : "Sans la volonté du pouvoir, on n’aurait rien pu faire, mais sans l’aide d’une jeune génération plus indépendante, non plus."
"Il faut savoir que là-bas, Iveton est considéré comme un moudjahid [un combattant révolutionnaire, ndlr], il est très respecté par les intellectuels et les anciens combattants. Ce qui est intéressant quand on arrive en Algérie avec un tel sujet de film, c’est que tout le monde était très bienveillant mais chez les plus jeunes la réaction c’était, 'ah, encore un film sur la révolution', 'encore un film d’ancien combattant'… Il y a un fossé incroyable entre la sous-représentation de cette guerre chez nous jusqu’à maintenant, et son omniprésence là-bas."
Et si De nos frères blessés, tourné en 2019 et qui n'arrive qu'aujourd'hui dans nos salles, suite à plusieurs reports liés au Covid, faisait un peu changer les choses ?