En diffusion sur Amazon Prime Video, Totems est la nouvelle série d'espionnage française à ne pas manquer. Située en 1965, en pleine Guerre froide, cette série raconte comment Francis Mareuil (Niels Schneider), un scientifique français qui travaille pour les services secrets français et la CIA, va tomber amoureux de Lyudmila Goloubeva (Vera Kolesnikova), une pianiste contrainte de collaborer avec le KGB. Leurs sentiments sont-ils sincères ou guidés par des intérêts politiques ?
Comment créer une série d'espionnage et comment se distinguer des autres séries du genre ? AlloCiné s'est entretenu avec le cocréateur et scénariste Olivier Dujols, qui avait présenté Totems au festival CANNESERIES 2021, où elle était en compétition officielle.
AlloCiné : Comment en êtes-vous arrivé à cocréer et coécrire Totems ?
Olivier Dujols : C'était une demande de Gaumont de faire une série d'espionnage qui se passait sur fond de guerre froide. Donc, à partir de là, avec Juliette Soubrier, qui est la co-créatrice, on a commencé à broder un peu avec les contraintes du genre de la série d'espionnage qui se mêle la romance. Pour que ça fonctionne, il fallait des obstacles comme la notion de frontière avec ce mur infranchissable qui sépare les deux blocs. En tout cas, difficilement franchissable dans certaines circonstances, ce mur permet de créer un obstacle physique, finalement. Et pas qu'à l'histoire d'amour.
Moi, je suis ingénieur de formation et les années 60 sont très propices, justement, à la conquête spatiale qui revient au goût du jour ces temps-ci. On voit bien que les gens retournent dans l'espace et que la Lune est à nouveau en ligne de mire.
Et avec Juliette, on a fini par créer ces personnages et par se dire que ça serait bien aussi de se démarquer des films et des séries d'espionnage classiques, comme Le Bureau des Légendes ou The Americans, où la plupart du temps, ce sont de vrais espions formés intellectuellement et physiquement et qui savent réagir en situation. Alors que nous, on voulait se démarquer de ça en prenant des personnages qui étaient perdus.
Vos personnages sont des espions malgré eux.
Complètement. Après, on leur donne une dimension héroïque. On ne peut pas complètement dire que c'est Monsieur et Madame Tout le monde, mais au départ, sur le papier, c'est un peu ça quand même. C'est une infirmière, un ingénieur, une pianiste,... des personnes qui n'avaient absolument pas de prédestination à s'engager là dedans.
J'imagine que vos précédentes expériences, notamment sur Le Bureau des Légendes, vous ont aidé pour la création et l'écriture de Totems. Vous aviez peut-être déjà un cadre défini en tête ?
Oui, et en même temps, je n'étais pas si prêt que ça. C'est tout le paradoxe de l'écriture. Sur Le Bureau des Légendes, je travaillais pour Eric Rochant et il fait tout. Il est excessivement fort, rapide, doué, enfin tous les qualificatifs positifs possibles. Il faut juste l'aider, en fait. Et quand on se retrouve à passer d'une situation d'aide à une situation de faiseur, ce n'est plus du tout la même situation, clairement.
J'avais heureusement beaucoup appris grâce à cette expérience sur Le Bureau et en même temps, cette expérience maintenant sur Totems m'a fait apprendre d'autres choses. Mais c'est difficile de tout apprendre en même temps et donc ça a été évidemment formateur de faire des choses avant sinon on ne me l'aurait pas proposé. Mais j'ai senti que j'avais enfin une belle marge de progression et c'est toujours le cas.
En plus de votre expérience en tant qu'ingénieur, quel genre de recherches avez-vous effectué sur la Guerre Froide ? Aviez-vous des consultants ?
On a eu un consultant historique qui nous a aiguillés même s'il est arrivé un peu tardivement sur le projet. Jean-Pierre nous a aiguillés sur certains documents, sur certains petits détails. Il a relu les textes aussi. C'est bête mais parfois ça se joue sur une appellation ou un certain type de langage. Lui, il est spécialiste de l'Afrique et des services de renseignements français.
Après, le travail de fondation qu'on a fait avec les scénaristes a été facilité par Internet. On a travaillé sur la sociologie de l'époque, avec notamment la position de la femme qui n'était pas du tout celle d'aujourd'hui, la géopolitique, la conquête spatiale avec la France qui a un statut particulier, même si les Américains et les Russes ont pris une place majeure.
On a eu vraiment un développement industriel et technologique dans tout ce qui concerne la conquête spatiale de premier plan, puisqu'on est la troisième nation à avoir fabriqué des lanceurs qui ont été capables de mettre des satellites dans l'espace. Et le premier satellite français a été envoyé par un lanceur français alors qu'avant, il n'y avait que des lanceurs américains ou russes en 1965 et c'est ça qui a ensuite ouvert les portes vers une coopération plus européenne. Mais la France a toujours été quand même leader par rapport à ça.
Le casting a dû aussi se préparer pour connaître le sujet, les termes à employer et travailler avec d'autres comédiens internationaux. Comment a été choisie cette distribution ?
Quand on fabrique une une fiction, on peut toujours s'interroger sur plein de choses. On est en droit de se dire "Ok, on a écrit ce personnage de telle façon, c'est un homme. Est-ce que ça pourrait pas être une femme ? Il a 20 ans, est-ce qu'il pouvait pas en avoir 40 ?Il est blanc. Est-ce qu'il pourrait pas être noir ?" Il y a plein de questions qui se posent en casting.
Les contraintes après sont amenées parfois par le genre, parfois par l'époque. Là, on est en 1965, on a réussi à pousser les curseurs pour avoir quand même des femmes actives, des femmes présentes avec Ludmila, jouée par Vera [Kolesnikova] et Anne, jouée par Ana [Girardot]. Mais quand on arrive au niveau du casting, on arrive avec nos critères mais c'est aussi une question d'envie. On avait Niels [Schneider] en tête pour le rôle principal.
Mais au final, c'est eux qui choisissent. Il faut se rendre compte de ça. C'est que ce genre de projet naît d'une envie commune, que ce soit Vera , Niels, José [Garcia], Lambert [Wilson], ils reçoivent beaucoup de projets. La différence se fait sur des rencontres par rapport à une intention, un texte, par rapport à des gens.
Jérôme Salle, qui a réalisé les deux premiers épisodes et qui a produit la série aussi, a été une force d'attractivité et a rassuré ces comédiens parce qu'il a une dimension internationale. C'est quelqu'un avec d'énormes qualités. Donc c'est une question d'envie et puis de planning aussi. Et avec le Covid, on a découvert de nouvelles problématiques. Donc, je remercie vraiment nos équipes et les autres équipes de production qui ont réussi à coordonner les agendas.
Il fallait qu'on soit juste sociologiquement parlant. Le fait que Francis soit marié à ce personnage de Anne, jouée par Anna, qui est là, qui est présent, il faut l'incarner. Ça veut dire l'incarner individuellement, mais aussi dans un couple, plus globalement, dans une famille, dans une société. Et on est obligé, à défaut d'être dans le vrai, dans le plausible et donc en correspondance avec l'époque.
Justement avec toutes ses contraintes, comment s'est passé le tournage ? Et pourquoi la République Tchèque ?
Le choix de tourner en République Tchèque s'est fait avant le Covid. La problématique était plutôt liée à la faisabilité. Quand on est en 1965, on ne se rend peut être pas tant compte que ça, parce que c'est à la fois pas si éloigné, c'est nos parents, nos grands parents et en même temps, ça remonte quand même. Visuellement, les rues ne sont plus les mêmes et il y a aujourd'hui beaucoup d'aménagement urbain. A la rigueur, c'est même plus facile de tourner une fiction du Moyen Âge parce que on épure beaucoup.
Quand on tourne une fiction assez proche, il faut enlever tout le mobilier urbain, les voitures pour mettre nos propres éléments ou des écrans verts, donc avec un coût VFX. C'est une grande logistique. On devait trouver un endroit facile dans lequel on puisse se croire à Paris, à Berlin et à Moscou.
La Tchéquie, et donc Prague, était un bon entre-deux, parce que c'est à la fois une vieille ville comme Paris, et en même temps, elle avait des architectures qu'on recherchait. Il fallait qu'on puisse incarner au sein la de la fiction cette différence. Ça repose beaucoup sur cette notion de frontières. Il y a l'Est et à l'Ouest. Du coup, il fallait qu'on sente visuellement que ce n'était pas le même monde, qu'il y avait des disparités énormes et il fallait que ça se voit.
Vous évoquiez la place des femmes de cette époque dans l'écriture de la série. C'est très intéressant et bienvenu d'y avoir consacré une partie de l'intrigue. Le fait que ce ne soit pas qu'une série d'espionnage ou une histoire d'amour impossible mais qu'elle soit aussi un véritable reflet d'une certaine société de l'époque...
Il fallait qu'on soit juste sociologiquement parlant. Le fait que Francis soit marié à ce personnage de Anne, jouée par Anna, qui est là, qui est présent, il faut l'incarner. Ça veut dire l'incarner individuellement, mais aussi dans un couple, plus globalement, dans une famille, dans une société. Et on est obligé, à défaut d'être dans le vrai, dans le plausible et donc en correspondance avec l'époque.
Et en fait, ça devient assez naturel de se dire que c'était une époque, peut-être pas de merde, mais ce n'était pas l'extase. On n'a toujours pas gagné aujourd'hui, mais on a quand même avancé par rapport à ce qui était accepté à l'époque.
Évidemment, il y avait quand même déjà, heureusement, des féministes qui pointaient du doigt les choses qui leur semblaient inacceptables. Et on voulait incarner une femme qui subissait ça, qui ne s'était pas vraiment rebellé, mais qui se libère grâce à une prise de conscience. Elle ne veut pas se libérer de cet amour et ce couple, parce qu'elle aime son mari, mais elle prend des initiatives et elle dit qu'il y a des choses à ne plus accepter.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 10 octobre 2021 à Cannes.