AlloCiné : Au moment de la promotion de Jacqueline Sauvage, vous aviez dit que vous seriez prête à jouer dans une série si le rôle était "chouette". Aujourd’hui vous êtes enfin l’héroïne de Mon Ange. Qu'est-ce qui a fait que c’était le bon projet ?
Muriel Robin : En disant cela, je pensais surtout à une série récurrente, sur plusieurs saisons. Mon Ange est une mini-série, c’est comme si je faisais un téléfilm en deux grosses parties finalement. Mais ce qui m’a plu c’est ce personnage de Suzanne. Sa solitude, sa force, son courage. Un terme qu’on n’emploie pas assez, mais les femmes, globalement, sont courageuses. Elles m’épatent, elles me bouleversent, même dans des situations moins graves que celle que traverse Suzanne.
Et puis, elle dérange Suzanne. Elle arrive dans cette belle nature, et tout d’un coup il y a ce village avec des secrets, des secrets de famille. Et lorsqu’on arrive comme ça et qu’on n’est pas la bienvenue, c’est courageux. Et j’aime ça. J’aime les gens qui dérangent. C’est super de déranger. On fait bouger les choses, on change le point de vue. C’est l’inverse d’être figé. Et les gens n’aiment pas être bougés dans leurs certitudes. Car sinon tout va peut-être dégringoler. Mais tant pis si ça dégringole, car ce qui se reconstruit derrière est plus fort, plus solide, plus vrai.
J'avais beaucoup de scènes où je ne parle pas, et ça, ça m’intéressait beaucoup. Le téléspectateur peut mettre ce qu’il veut dans la scène lorsque les personnages ne parlent pas. C’est presque le spectateur qui nourrit le personnage à ce moment-là. Donc voilà, c’est un peu tout ça qui m’a plu. Avec aussi le thème de l’alcoolisme féminin qui me touche beaucoup. J’espère un jour faire quelque chose uniquement là-dessus. Mais il y a déjà de ça dans Mon Ange.
Et puis Kika Ungaro, la chef opératrice, qui avait déjà travaillé sur Jacqueline Sauvage, a créé une lumière et une ambiance particulière. La production employait le mot "western", il fallait une ambiance spéciale. Et c’est vrai que si nous étions aux États-Unis, Suzanne rentrerait dans un saloon, toutes les têtes se retourneraient, il y aurait un coup d’harmonica, du Ennio Morricone, et elle sentirait qu’il faut qu’elle se barre car les choses vont mal se passer. On la pousserait par la porte, elle rentrerait par la fenêtre. Et tout ça avec une force, une détermination inébranlable.
D’ailleurs Mon Ange a beaucoup été comparée au film 3 Billboards au moment de l’annonce du projet, et c’est vrai qu’il y a un peu de ça…
Oui, je comprends cette filiation car 3 Billboards a également une couleur western. Et c’est l’histoire de cette femme prête à tout. C’est un film formidable. Et, toutes proportions gardées, Mon Ange s'en rapproche à bien des niveaux. Il y a un rythme inhabituel, complètement différent. On est dans la lenteur, dans quelque chose de pesant. Tout a l’air tranquille, mais en réalité il y a de l’horreur derrière tout ça. C’est un vrai thriller. On est pris par cette histoire. C’est un mélange entre thriller et drame intime, et ça change un peu de ce qu’on voit tout le temps à la télévision française.
Vous êtes très bien entourée dans la série. Comment s'est passée la collaboration avec Marilou Berry ?
Très bien. J'ai pris un réel plaisir à jouer avec Marilou, qui est une très belle actrice. Je l’avais croisée quand elle était petite, mais c’est la première fois qu’on travaillait ensemble. C’est une actrice très intense, dense, avec beaucoup d’humanité. Mais j'ai également pris beaucoup de plaisir à travailler avec tout le reste des comédiens, dont Patrick Chesnais évidemment. Le casting de la série est vraiment très bon, c'est vrai.
Suzanne est un personnage qui dérange, comme vous le dites, mais elle touche aussi énormément le public. C’était facile de vous identifier à ses failles et à tout ce qu’elle traverse ?
Oui, parce qu’on s’appuie sur le scénario. Et il y a des parts de Suzanne en moi, c’est chimique. Comme il y avait un bout de Jacqueline Sauvage en moi. Suzanne, elle est là, quelque part en moi, donc c’était assez simple finalement de la faire ressugir lorsque j’entendais "action".
C’est un rôle qui a été écrit spécialement pour vous ?
Oui, complètement, le personnage de Suzanne a été écrit pour moi, c’est un très joli cadeau. D’autant plus que j’aime beaucoup le travail de Négar Djavadi, la scénariste, qui avait déjà travaillé sur Jacqueline Sauvage et sur Le Premier oublié. J’ai une confiance totale dans son travail. Donc c’était un vrai bonheur de se lancer avec elle dans ce nouveau projet.
Julie, la fille de Suzanne, que votre personnage recherche désespérément, quitte à tout retourner, est incarnée par Romane Jolly, dont on a beaucoup parlé cet automne pour son rôle dans Fugueuse sur TF1. Elle vous a impressionné ?
Romane m’a beaucoup touchée, on a beaucoup parlé. Elle est fissurée cette fille. Il y a les gens qui ont une fissure et ceux qui n’en ont pas. Et avec quelqu’un comme Romane, on est forcément touché. Elle a vraiment quelque chose cette gamine. Mais quand on a tourné ensemble je ne savais pas qu’elle avait ce rôle dans Fugueuse. Je suis ravie pour elle, car elle est formidable, elle le mérite.
Vous avez dit à plusieurs reprises que vous aviez l’impression que les rôles les plus intéressants étaient dorénavant plutôt à la télévision. Vous le pensez toujours ? Et est-ce que Mon Ange et Doutes, dans lequel on vous a vue sur Arte, en sont de bons exemples ?
Il y a évidemment des choses intéressantes au cinéma, mais je trouve qu’il y a davantage de choses fortes, de choses dures à trouver du côté de la télé aujourd’hui. Jacqueline Sauvage je n’aurais eu aucun intérêt à jouer ça au cinéma, nous aurions fait trois spectateurs. D’autant plus qu’il n’y a quasiment que les comédies qui sont des cartons au cinéma. Peut-être que pour les fictions "pas drôles", les gens préfèrent ne pas payer. Et inversement, je ne sais pas.
Mais il y a évidemment des choses superbes au cinéma. Et Doutes, par exemple, aurait totalement eu sa place au cinéma selon moi. Mais c’est très bien sur Arte. On est sur de la télé, mais une télé différente. De toute façon, je n'ai que des choses positives à dire sur Doutes. C’est le film de la vie. Ce huis clos, qui est dans l’apnée, ça a été passionnant et très fort à jouer. J’ai adoré incarner cette femme. Mais c’est le genre de projet qui ne ressemble à aucun autre et qu’on ne peut probablement pas voir ailleurs que sur Arte à la télé en France.
Donc ce que je peux dire, pour répondre à votre question de manière plus concise, c’est que la télé m’offre en tout cas des rôles magnifiques que je ne suis pas certaine de pouvoir trouver ailleurs.
Avez-vous la sensation que Jacqueline Sauvage a changé beaucoup de choses dans votre carrière ?
Dans ma vie, oui, c’est certain, car ce film est très important, il est lié à mon engagement contre les violences faites aux femmes. Mais dans ma carrière, pas tant que ça. Je jouais déjà dans des drames avant, comme Marie Besnard, et on continue de m’en proposer.
Je ne fais pas de comédies, ce n’est pas mon choix. J’anticipe sûrement sur une autre question. On ne m’envoie pas de comédies, c’est ainsi. A la télé il n’y en a pas, ou peu de toute façon. Mais il y a sûrement une place à prendre. Et au cinéma il y en a beaucoup mais je n’en ai pas reçue une seule en 30 ans. Du coup je me retrouve à être drôle sur scène et pas drôle à l’écran. J’aurais préféré un équilibre, mais c’est comme ça.
Heureusement, je suis en train de développer deux comédies pour le cinéma. Des comédies pour adulte. Peut-être qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. On verra.
Aujourd’hui, vous sentez-vous prête pour une série récurrente ?
Si c’est formidable, peut-être. Mais je ne sais pas si cette série et si ce rôle existent (rires). Mais pourquoi pas, il faut voir.
Quels sont vos projets pour 2022 ? D’autres collaborations sont-elles prévues avec TF1 ?
Pas à ma connaissance. En dehors évidemment de Ils s'aiment (ou presque), l'adaptation de la pièce Ils s'aiment, mais je joue simplement dedans, c'est davantage le "bébé" de Pierre Palmade et de Michèle Laroque, contrairement à I Love You Coiffure qui reposait sur mes sketchs.
Mais nous avons une belle relation de travail avec TF1, UGC, et Negar Djavadi donc il y a des chances que des choses se fassent à l’avenir. Mais il n’y a rien de concret pour l’instant. En ce moment je me concentre vraiment sur l’écriture des comédies dont je vous parlais. Mais ce qui est sûr c’est que pour mes prochains rôles, j’aimerais bien lâcher un peu les films sombres. J’ai envie d’escarpins.
Et au niveau de ce que j’ai déjà tourné, on me verra courant 2022 dans La Chambre des merveilles de Lisa Azuelos, aux côtés d’Alexandra Lamy. Et dans En corps de Cédric Klapisch, un très beau film qui se déroule dans l’univers de la danse, avec une danseuse qui a le premier rôle et qui est formidable. Il y a aussi Pio Marmaï et François Civil. Pour moi le tournage était assez court, mais j’ai un très beau personnage et j’étais très touchée que Cédric pense à moi car Klapisch, pour le coup, c’est le cinéma.
Propos recueillis dans le cadre du Festival de la fiction TV de La Rochelle 2021.