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Aaron a consacré sa vie à élever son fils autiste Uri. Ensemble, ils vivent dans une routine coupée du monde réel. Mais Uri est à présent un jeune adulte, avec de nouveaux désirs et de nouveaux besoins. Alors qu’ils sont en route vers l’institut spécialisé qui doit accueillir Uri, Aaron décide de s’enfuir avec lui, convaincu que son fils n’est pas prêt pour cette séparation.
AlloCiné : Comment est né "My Kid" ?
Nir Bergman : My Kid a été écrit par Dana Idisis. Elle a écrit sur sa propre famille, et son scénario est né d'une peur qu'elle avait : "que se passera-t-il quand mon père et mon frère, qui est autiste, devront un jour se séparer ?" J'ai accompagné l'écriture, et les thèmes qui me sont chers l'ont nourrie au fur et à mesure que nous développions l'histoire. Pour moi, le film parle essentiellement de paternité, et de la manière dont nous cherchons à protéger nos enfants de la brutalité du monde. D'une certaine manière, c'est finalement notre création à tous les deux. Nous partageons le film ensemble, et nos deux vies s'y trouvent.
Vous dites avoir eu peur de tourner ce film ? Pourquoi ?
J'avais peur parce que j'aimais tellement le scénario. Je pleurais à chaque fois que je le lisais, et j'avais vraiment peur de gâcher la vision de Dana Idisis. Je connais son père. Je connais son frère. Je connais les personnes qui ont inspiré le film, et j'avais vraiment peur de ne pas être à la hauteur des sentiments et du niveau du scénario.
Par ailleurs, j'avais vraiment peur du sujet en lui-même, l'autisme. Quand je regarde des films sur le sujet, je suis toujours un peu gêné. Je voulais vraiment respecter ce sujet. Je voulais que le public voie Uri comme une personne autiste, et pas qu'il se dise : "Regardez cet acteur, comment il joue ça". Je voulais au contraire que le public voie le personnage. Pour y parvenir, j'ai dû faire un long travail avec les deux acteurs, le père et le fils, pour travailler leurs personnages. J'espère avoir réussi à le faire. Je ne sais pas.
Noam Imber n'est pas autiste : comment avez-vous travaillé son interprétation pour livrer quelque chose de juste et non caricatural, et qui soit à la fois universel et particulier ?
Cela a été un long processus pour nous deux. Sa première audition a été brillante. Il avait tout en lui, les gestes notamment. Nous lui avons demandé comment il avait réussi à capter cela. Et il s'est avéré que dans sa jeunesse, il avait grandi près d'un centre d'enfants autistes géré par son père. Et parce que c'est un gars avec un grand cœur, il est devenu ami avec ces enfants, donc il avait en quelque sorte ce personnage en lui. Mais il ne s'agissait ici que de gestes, la façon d'être du personnage. Nous avons dû construire Uri.
Pour y parvenir, nous avons beaucoup travaillé. Nous avions tout le temps en tête le documentaire brillant que Dana Idisis avait fait sur sa famille et sur son frère en train de faire sa bar mitzvah. Nous avons également rencontré des parents qui s'occupent d'enfants autistes et qui comprennent la communication spéciale qui s'établit entre eux. Je voulais montrer non pas l'autisme mais le personnage, pour le public voie Uri derrière les gestes et le comportement. Comprendre qu'il y a une personne très spécifique pleine d'amour et d'humour. Mon but était de montrer la façon dont Aharon, le père, le voit. Il ne voit pas son fils comme un enfant autiste, il voit Uri.
Parlez-nous de la construction du personnage de Aharon, qui est à la fois protecteur avec son fils tout en le maintenant dans un état de dépendance ?
Pour construire le personnage, nous avons en quelque sorte fait un tour de passe-passe au public. Au début du film, vous voyez la vie du point de vue de Aharon. Vous le voyez comme un très bon père prenant soin de son fils. Vous voyez à quel point il est protecteur, mais aussi imaginatif et comment il utilise son imagination dans sa parentalité. Vous voyez son humour, aussi. Et vous croyez vraiment qu'il est le seul à pouvoir aimer Uri. La mère, on la présente un peu comme "la méchante sorcière", celle qui veut mettre Uri en institution. Nous voyons ainsi Aharon comme quelqu'un qui a sacrifié sa vie et sa carrière pour prendre soin de son fils autiste. Nous pensons qu'il est le martyr, le saint de cette histoire.
Mais au fur et à mesure que le film avance, on comprend que la réalité est plus complexe. Et peut-être que Aharon utilise l'excuse de son fils pour ne pas voir que sa carrière est détruite ou que sa relation s'est dégradée avec sa famille et avec son ex-femme. Plus le film avance, plus on comprend que cette image est plus nuancée et que ce personnage est plus complxe. Et que, peut-être, il a abandonné sa carrière non pas à cause de son fils, mais à cause de ce qu'il est, à cause du fait qu'il est trop fragile pour le monde.
La séquence de la gare est extrêmement puissante. Quels souvenirs en gardez-vous ?
C'est l'une des seules scènes que nous avons tournées caméra à l'épaule. Elle est abordée un peu comme un documentaire. Dana Idisis voulait montrer l'autisme sans "gloire". Habituellement, lorsque les films présentent des personnages autistes, ils mettent en avant un talent, avec les chiffres, la peinture ou la musique... Or cétait vraiment important pour elle de montrer le quotidien de l'autisme. Et ce quotidien est très difficile. Et plein d'amour. Nous voulions montrer cela à travers cette scène à la gare, où les gens défilent sur le quai alors que votre enfant se jette par terre car il ne veut aller nulle part. Dans la salle de montage, notre producteur l'a vue et nous a dit que c'était trop dur et qu'il fallait le raccourcir. Le monteur et moi-même avons alors ressenti la même chose : nous avons estimé au contraire que ce serait une erreur de raccourcir cette scène. Elle doit être dure. Ce doit être une scène où le public se dit justement : "C'est trop dur". Parce que c'est ça la réalité, c'est trop dur.
L'ombre de Chaplin plane sur le film, à travers le titre et les extraits de ses films : quelle a été l'influence de son œuvre sur "My Kid" ?
Cela vient déjà du fait que le frère de Dana Idisis a eu une période de sa vie où il adorait les films de Chaplin. Et cela l'a inspirée pour utiliser The Kid. Si vous regardez à nouveau le film de Chaplin et que vous regardez notre film, vous verrez qu'il y a des moments que nous avons repris, comme des références ou des inspirations, lorsqu'ils s'échappent ou lorsqu'ils perdent l'argent par exemple.
Par ailleurs, pour moi en tant que réalisateur, cela m'a aidé à décrire le personnage de Aharon qui est un peu comme un Charlie Chaplin triste. Nous avons également essayé de nous inspirer des films muets, en supprimant le son dans quelques scènes : vous êtes avec les personnages, sans effet sonore, sans dialogue, et vous les voyez juste avec la musique.
C'était un peu comme dire : regardez-les, ils auraient pu être dans un film muet. Ces deux personnages sont un peu hors du temps. Ils sont dans ce train, mais en fait, ils ne vont nulle part. Ils ne font que traverser le monde, en essayant de ne pas interférer avec lui, de ne pas avoir d'ennuis. Cela a donc aussi inspiré la mise en scène.
Vous avez participé à la création de "Betipul" : que pensez-vous de son adaptation française "En thérapie" ?
J'ai effectivement travaillé sur la série originale israélienne, Betipul, qui est a été adaptée dans En analyse aux Etats-Unis et En thérapie en France. Je n'ai pas vu la version française, mais j'ai entendu dire par des amis français que c'était vraiment bien. Je suis très heureux si c'est le cas. J'aimerais juste pouvoir parler français pour la voir. Je vais essayer d'obtenir une version sous-titrée, parce que ce serait très intéressant pour moi de la voir. Betipul, c'était un vrai voyage en termes d'écriture, parce que nous étions tous en train de faire notre propre thérapie en l'écrivant en quelque sorte. Mais c'était important ensuite de m'en éloigner, car en tant que scénariste, ce n'est pas un très bon exercice dans la mesure où le personnage du thérapeute est là pour verbaliser le sous-texte. Donc, après une saison, je suis passé à autre chose.