Sorti en urgence par Universal fin 2019 aux Etats-Unis, histoire de pouvoir le placer -même tardivement- dans la course aux Oscars millésime 2020, 1917 est le nouveau film de Sam Mendes. Un réalisateur pas si prolifique d'ailleurs : à peine huit films en 20 ans.
Couvert de critiques dithyrambiques à l'issue des premières projections, saluant une œuvre tournée en (quasi) plan séquence d'une rare puissance visuelle, mais où l'émotion n'est jamais absente, il relate un conflit finalement pas si souvent traité au cinéma, contrairement à la Seconde guerre mondiale.
D'autant que l'histoire de 1917 a aussi des résonances intimes, familiales, pour le cinéaste. Comme il le rappelait lui-même, "mon film ne relate pas l'histoire de mon grand-père, mais s'attache plutôt à évoquer son esprit – ce que ces hommes ont subi, leurs sacrifices, et leur foi en une cause qui les dépassait".
Soit l'histoire de deux hommes dans la tourmente de la Première Guerre Mondiale, Schofield (George McKay) et Blake (Dean Charles Chapman), deux jeunes soldats britanniques, qui se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies...
C'est bien en amont de la sortie du film en France que nous avions rencontré son réalisateur à Paris. Un réalisateur chaleureux, passionné. Modeste même, devant le compliment que nous lui glissions à l'oreille sur son film.
Une oeuvre qui tutoie des sommets, pas très éloignée du maître-étalon du genre sur ce conflit, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, dont l'assaut sur le lieu dit "la Fourmillière", précédé d'un fabuleux travelling avant et arrière dans la tranchée, hante encore notre mémoire cinéphilique. L'oeil de Mendes s'illumine. "Ah ! Kubrick... Le maître ! Votre compliment me touche" disait-il, avant de s'enquérir du temps d'interview dont nous disposions. "Environ 15 min !" lâchait l'opérateur qui filmait notre rencontre. Eclat de rire de Mendes. "Ah, parfait ! On va pouvoir se reposer un peu et surtout développer les réponses !" nous lancait-t-il, facétieux.
Notre interview se décompose en deux séquences. Une partie vidéo, à découvrir ci-dessous, et complétée par trois questions traitées à l'écrit, non présentes dans le montage.
AlloCiné : Vous avez écrit le script avec Kristy Wilson-Cairns. Comment avez-vous travaillé avec elle ?
Nous avons fait déjà beaucoup de recherches, que nous avons mises en commun. Nous avons élaboré chacun un traitement scénaristique que nous avons également fusionné, donc j'avais in fine une structure globale au niveau de l'intrigue. En fait, au départ, lorsque je me suis assis pour écrire une version élaborée du script, dès la première scène, je me suis arrêté. Je ne suis pas naturellement un scénariste, ca m'ennuie, et la perspective de devoir écrire une centaine de pages me bloquait.
J'ai donc stoppé temporairement le travail d'écriture. Ma productrice, Pipper Harris, m'a alors dit : "il te faut absolument quelqu'un pour t'aider à écrire l'histoire". C'est elle qui m'a orienté vers Kristy, avec qui elle avait d'ailleurs déjà travaillé à deux reprises. Elle est brillante, jeune -pas comme moi !-, c'est une femme...
Ca peut prêter à sourire que j'insiste sur ce point, mais je pense justement que ca ouvre une perspective et un point de vue intéressant et totalement neuf sur le récit. Dans ma position, le danger vient du fait que c'est comme si je me trouvais dans une chambre d'écho. Travailler avec des gens qui ont le même âge que moi, pensent de la même manière que moi, etc.
Donc l'idée de travailler avec quelqu'un n'appartenant pas à ma génération, plus jeune que moi, était importante. Ce que j'ignorai avant de lui confier l'écriture du script, c'est qu'elle était déjà à la base passionnée par la période. Elle est très au faît des guerres mondiales, et des films ayant pour cadre ces périodes. Elle s'est mise très rapidement au travail sur le premier jet du script, que j'ai réécrit après puis que j'ai renvoyé pour qu'elle apporte des modifications à son tour...
On a fonctionné comme ça par navettes durant environ six mois, et ca a vraiment été un processus très agréable. J'aime bien avoir cette possibilité de réécrire un script sans avoir à demander la permission. Comme j'ai jusque-là toujours travaillé avec un scénariste [NDR : 1917 est le premier scénario co-écrit par Sam Mendes], ca fait plaisir de demander des modifications sur un script sans culpabiliser, vu mon investissement dessus (rires) !
Parmi ses nombreuses qualités, le film est visuellement fantastique, et rappelle même par moment dans la composition de l'image, lorsqu'on voit la boue, les cadavres, les squelettes, le sang et l'étendue désolée du No Man's Land, le travail du peintre et graveur expressionniste allemand Otto Dix (1891-1969), avec sa série de gravures Der Krieg ainsi que son fameux triptyque "La guerre". Aviez-vous des références précises à l'esprit ?
(Il sourit) C'est une référence tout à fait intéressante, mais non. Souvent sur les films que j'ai fait jusqu'à présent, je disais à mon équipe technique "vous devriez regarder ce film, celui-là et celui-là", parce qu'ils me nourrissent, m'influencent aussi, même inconsciemment, donnent des idées de mise en scène, ou sont des références pour la photographie, etc.
Mais, pour le coup, la seule référence que j'ai donné à mon équipe pour préparer 1917, c'était une centaine de pages comportant des photos de la Première guerre mondiale. Pour moi, tout est dans ces photos, qui sont d'ailleurs absolument remarquables, non seulement d'un point de vue qualitatif, mais aussi par leur capacité à saisir l'instant et le détail.
Certaines de ces photos indiquaient clairement la direction que nous souhaitions prendre pour l'approche visuelle du film. En revanche, je n'ai pas eu en tête de référence particulière en matière de peinture, et très peu de films, car très peu justement obéissaient aux règles et conditions que nous nous sommes fixé. En un sens, de ce point de vue et sans mauvais jeu de mot, nous avons fonctionné à l'aveugle la plupart du temps.
Il y a bien plus de films sur la Seconde guerre mondiale que sur la Grande guerre. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce dû par exemple à un manque global d'intérêt pour la période ?
Je ne le crois pas. En fait, je pense que la raison principale est que la Première guerre mondiale est avant tout une guerre de paralysie, très statique, au moins pendant une grande partie du conflit. Elle offre finalement peu de variété dans les paysages, parfois lunaires, et à cause de cela, peut aussi présenter une difficulté pour créer une histoire suffisamment excitante. Ajoutez à cela le fait que ce qui ressort aussi de ce conflit, c'est la couleur marron. Autrement dit la boue. De la boue qui aspirait les hommes, partout. De la boue et encore de la boue.
Propos recueillis par Olivier Pallaruelo à Paris le 2 décembre 2019.
1917 de Sam Mendes, diffusé ce samedi soir à 21h00 sur Canal+