Cri du cœur de la jeunesse marocaine par le biais du rap et du hip-hop, Haut et Fort signe le retour de Nabil Ayouch, connu pour ses films criant de vérité sur la société marocaine. La force et la sagesse d’Anas Basbousi, artiste œuvrant pour la culture et la communauté, lui permet d’incarner un mentor pour des jeunes d’un centre culturel d’un quartier populaire de Casablanca.
Après avoir été présenté au Festival de Cannes où il était en compétition, Haut et Fort sort aujourd'hui au cinéma et charmera par la vitalité de la troupe de jeunes artistes, le regard bienveillant d’Anas Basbousi, la mise en scène puissante de Nabil Ayouch et les slams brillants et rythmés par les compositions musicales de Mike et Fabien Kourtzer.
AlloCiné : Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés et d’où est né ce film Haut et Fort ?
Nabil Ayouch : J'avais envie depuis longtemps de faire un film sur la jeunesse, sur la musique comme voie d'expression. Un jour, dans un des centres culturels que j'ai créé avec ma fondation Ali Zaoua au Maroc, Anas débarque avec un passé d'ancien rappeur et une volonté de continuer à transmettre des valeurs du hip-hop à la jeunesse.
Ça m'a interpellé, je l'ai observé pendant un an, j'ai assisté à des cours, à des concerts et des spectacles. J'ai trouvé qu'il savait très bien transmettre et qu'il avait en face de lui des jeunes qui ont un talent fou donc j'ai demandé à les rencontrer et à savoir d'où venaient ces textes. La rencontre a duré plusieurs heures et j'ai été profondément bouleversé et avec l'envie et la conviction profonde que ce serait mon prochain film.
Anas Basbousi : J'ai travaillé dans le centre pendant une longue période et j'ai eu l'occasion de rencontrer Nabil plusieurs fois et d'échanger avec lui. L'idée de ce film m'a parlé tout de suite et qui représente le travail que je fais avec ces jeunes au centre.
Quel a été votre parcours, Anas, avant ce film ?
Anas Basbousi : J'ai découvert le hip-hop à travers le bakset-ball et j'ai commencé une carrière de rappeur amateur en 2003. J'ai essayé plusieurs fois de passer pro en faisant pas mal de projets et quelques tournées en Europe. J’ai pu rencontré des artistes pour voir le niveau de cette discipline artistique. Je me suis intéressé au côté historique de cette culture, de sa provenance.
Ça m'a permis de comprendre beaucoup de choses et de voir à quel point elle peut changer des vies. J'ai galéré pendant quelques années avant de rencontrer Nabil et le centre qui m'ont accueilli à bras ouverts et qui ont donné leur chance à ces jeunes.
Nabil, qu’est-ce qu’Anas a apporté d’important au film ?
Nabil Ayouch : J'ai demandé beaucoup de choses à Anas sur la crédibilité, la manière de parler de certaines choses. J'avais des envies d'histoire, parce que l'idée, vous l'avez compris, n'est pas de faire un film sur le hip-hop mais de faire un film sur le hip-hop comme voie d'expression et sur ce que la jeunesse a à dire, mais le hip-hop est un instrument qu'Anas connaît et possède parfaitement. C'est plus ce rôle là qu'il a joué, de conseil et d'orientation.
Vous avez réussi à réunir un groupe de jeunes vraiment charismatique et attachant dans ce film. D’où viennent-ils ?
Nabil Ayouch : Ils viennent quasiment tous de la Positive School of Hip-Hop qu'Anas a monté. C'est eux que j'ai observé pendant toute cette période. Quand j'ai commencé à écrire le film et qu'il a commencé à se préparer, je me suis quand même posé la question de savoir s'il ne fallait pas que j'élargisse le casting. Et Anas m'a filé un sacré coup de main là-dessus, il a fait le tour du Maroc.
On a vu 800 jeunes pour au final revenir, à une ou deux exceptions près, à la classe de hip-hop du centre. Je crois qu'il n'y a rien qui remplace le groupe, il n'y a rien qui remplace la durée. Ces jeunes vivent dans ce quartier, ils ont cette connaissance du réel. Anas a réussi à bâtir avec eux une cohésion de groupe, une solidarité qu'on ressent dans le film.
C'est ça qu'Anas a envie de chercher, c'est ce rap conscient. Il faut aller puiser à l'intérieur de ses ressources pour raconter qui on est.
Quelle a été la charge de travail pour les séquences musicales. Comment ont-elles été préparées et travaillées ?
Nabil Ayouch : Il y a eu beaucoup de répétitions, beaucoup de préparations en amont sur les chorégraphies avec un chorégraphe qui a bossé pendant des mois avec les danseurs. Anas a travaillé avec eux tous les slams, toutes les séquences de rap, il a écrit les textes avec eux pour qu'ils soient proches d'eux et de leur réalité.
Il y a des grands sujets qui les hantent et dont ils ont envie de parler, comme la politique, les sujets de société, la religion. Il y a aussi leur moi profond, leurs problèmes de vie, de famille, ce à quoi ils rêvent quand ils s'endorment. C'est ça qu'Anas a envie de chercher, c'est ce rap conscient. Il faut aller puiser à l'intérieur de ses ressources pour raconter qui on est.
Anas Basbousi : Ça a pris un temps de réflexion assez conséquent parce qu'il fallait que je réfléchisse bien aux personnages et à la manière dont j'allais aborder toutes les vérités dont ils avaient envie de parler. J'ai pris le temps d'échanger avec les jeunes et comprendre ce qu'ils ont envie de transmettre à travers ces slams.
J'ai commencé par un brouillon pour avoir une première vision sur leur parole et ensuite je suis intervenu sur le côté technique et narratif. Après, au niveau de l'interprétation, il y avait aussi énormément de travail puisque c'était une première expérience au cinéma donc il fallait du courage et de la préparation.
Comment la musique a-t-elle été travaillée pour créer un ensemble cohérent dans le film à partir des textes personnels ?
Nabil Ayouch : En partant des textes qu'Anas a écrit avec les jeunes, il y a deux compositeurs qui s'appellent Mike et Fabien Kourtzer, avec qui j'avais déjà travaillé sur Much Loved et Les chevaux de Dieu, qui sont venus en résidence deux mois et demi. C'est marrant parce que ce sont des mecs qui viennent du hip-hop à la base et qui nous ont dit qu'il y avait vraiment du talent, de l'énergie, de la fraîcheur. Ils étaient hyper enthousiastes et ils ont travaillé sur la construction et la production des musiques sur les mots qui étaient déjà écrits.
Qu’est-ce que représente pour vous la sélection de Haut et Fort en compétition à Cannes ?
Nabil Ayouch : Ça fait du bien parce que quand on fait du cinéma depuis longtemps, qu'on a tourné autour de cette compétition depuis longtemps comme on tourne autour d'un pot de confiture et qu'on arrive à mettre les doigts dedans, c'est bon et c'est particulièrement émouvant parce que ces jeunes, qui ne sont jamais sortis du Maroc, sont venus pour la première fois pour fouler le tapis rouge et voir défiler leurs vies sur grand écran avec des milliers de personnes.
Vous avez toujours parlé frontalement de sujets politiques et sociétaux au Maroc dans vos films et Haut et Fort ne fait pas exception. Est-ce que vous appréhendez des réactions négatives ?
Nabil Ayouch : Honnêtement, je ne me pose pas la question. Je ne me suis jamais posé la question et je n'ai pas envie de commencer aujourd'hui. J'ai l'impression que ce que cette jeunesse a à dire et surtout la manière de le dire est plus positive et pleine d'énergie qu'autre chose. Je ne pense pas, à priori, que le film puisse susciter des réactions trop négatives.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 15 juillet 2021 à Cannes.