Après Mia et le lion blanc (2018) qui explorait la relation entre une jeune fille et un lion en Afrique du Sud, Gilles de Maistre s’est à nouveau attelé à raconter une amitié entre une femme et un félin mais en ajoutant cette fois un loup à l'équation ! Le résultat : le film familial Le Loup et le lion qui montre que l’amour fraternel peut prendre bien des formes.
AlloCiné : Un lion et un loup qui interagissent dans un film, c’est du jamais vu au cinéma, comment vous est venue cette idée ?
Gilles de Maistre : C’est vrai que c’est du jamais vu et c’est aussi ça qui m’a excité quand l’idée est venue sur le tournage de Mia et le lion blanc (...) avec la personne qui s’occupait des lions, qui s’appelle Kevin Richardson et qui est un type vraiment génial. Et Andrew Simpson, qui est le monsieur des loups, qui est vraiment une star dans tout ce qui est travail au cinéma avec des loups (il a fait des films avec Jean-Jacques Annaud, Game of Thrones et Belle et Sébastien aussi, avec des chiens) est venu me voir sur le tournage.
On était tous les trois : le monsieur des loups, le monsieur des lions et moi, on se baladait dans la savane (...) et les deux parlaient de leurs expériences, de leurs passions. Ils étaient très enthousiastes. Moi je les ai regardés tous les deux et c’est là que c’est venu, j’ai dit : les gars, pourquoi on ne ferait pas un film tous les trois ? Ça serait fantastique, on ferait cette espèce de rencontre de ces deux prédateurs mythiques du cinéma qui jamais ne se rencontrent dans les films (...) et ça serait une belle parabole pour parler de la nature, parler de ces espèces menacées.
Parler aussi du fait que, un peu en miroir pour les humains, une rencontre entre deux ennemis jurés pouvait se transformer en une histoire d’amour, une histoire de frères. Que peut-être on se déteste parce qu’on a peur de l’autre mais quand on connaît l’autre et qu’on n’est plus dans le combat, on peut être dans l’amour.
On a essayé de leur donner une vie meilleure.
Comment et où avez-vous trouvé vos animaux principaux ?
On a tourné au Canada (...) et évidemment on a trouvé les animaux [là-bas]. On ne prélève pas d’animaux dans la nature, évidemment. Les animaux sauvages on n’y touche pas, ils sont très bien là où ils sont et puis, il y a beaucoup d’animaux qui viennent d’élevages un peu partout dans nos pays donc on trouve, malheureusement je dirais, des loups et des lions dans des endroits pas terribles donc on les a récupérés là-bas au Canada.
On a essayé de leur donner une vie meilleure, notamment après le tournage, on les a laissés ensemble dans des grands enclos où ils sont heureux. C’est toujours un processus assez éthique : on essaie de respecter les animaux, de les mettre dans des conditions où ils sont heureux pour pouvoir être devant nos caméras et surtout pour aussi participer à des films et jouer des personnages qui défendent des choses dont ils sont victimes eux, leur espèce dans la vie.
Mozart (le loup) et Rêveur (le lion) étaient-ils bien joués par les mêmes animaux tout au long du tournage ?
Oui, ils sont joués par Walter et Paddington. Walter le lion et Paddington le loup. Ce sont les mêmes, depuis bébés. C’est un couple qui fonctionnait très très bien et on n’a pas eu besoin d’en faire tourner d’autres devant la caméra.
Comment dirige-t-on des animaux aussi sauvages ?
On s’adapte et on les dirige souvent par des stratégies (...) grâce à la nourriture, grâce aux câlins, grâce au jeu, grâce à l’organisation aussi. Par exemple, on sait qu'un lion va être beaucoup plus vif et énergétique le matin très tôt quand il fait frais que à 15h ou 13h sous le cagnard, où là il va être plutôt par terre en train de dormir et on ne pourra pas le bouger. Donc on organise en fonction de ce dont on a besoin mais, à eux, on ne leur impose rien. On n'est pas dans le dressage du tout, on est vraiment dans la relation, dans l’imprégnation et dans la compréhension pour organiser les choses.
Après, les coordinateurs animaliers ont plein de trucs en tête pour faire faire des choses aux animaux. Je prends comme exemple de faire mourir un loup : évidemment on ne va pas faire mourir un loup en vrai donc pour qu’il tombe et se roule par terre, on met des huiles essentielles par terre, le loup adore ça et donc il vient et se roule dedans. À l’image, on a donc l’impression qu’il tombe et qu’il est en train de mourir. On fait faire en douceur les choses aux animaux sans qu’ils se rendent compte, sans aucune contrainte et que dans le jeu et dans la bienveillance.
On s’adaptait beaucoup aux caractères des animaux.
Comment s’est passée la collaboration avec le dresseur Andrew Simpson ?
Pour lui, c’était un sacré challenge car souvent dans les films, les coordinateurs animaliers sont un peu la seconde roue du carrosse, ils viennent pour faire une ou deux scènes. Là, c’était au coeur du dispositif donc Andrew, en gros, c’était la star. Il avait un sacré challenge car les animaux sont tout le temps là donc il est tout le temps là et il fallait vraiment faire un travail extrêmement compliqué.
Le travail s’est bien passé parce qu’il est très professionnel, très impliqué (...). On s’adaptait aussi beaucoup aux caractères des animaux, donc on a fait beaucoup de versions du scénario parce que les animaux n’étaient pas comme ça, qu’il fallait faire autrement.
Y a-t-il eu des moments de tension entre le loup et le lion qui vous ont inquiété ?
(...) Je ne crois pas, ils ont vraiment créé une relation. Après, c’est vrai que comme ils ont des caractères très différents, par moment c’est surprenant de voir comment ils jouent ensemble. Évidemment, il y a un chat et un chien : un chat il saute, il mordille, il griffe, un chien il court… (...) Mais ils ont trouvé leur moyen de communiquer. Donc je n’ai jamais eu d'inquiétude.
L’actrice Molly Kunz a-t-elle pu développer une amitié avec les animaux comme son personnage ?
Elle l’a fait, mais beaucoup moins que sur Mia et le lion blanc où on a vraiment créé un lien très fort, au quotidien, pendant 3 ans. [Molly] a créé une relation parce qu’elle a joué avec les animaux sans trucage mais toujours dans quelque chose qui était quand même contrôlé par Andrew, alors que Mia était dans quelque chose de très complice. Molly était très habituée et n’avait pas peur des animaux, elle a pu jouer avec eux, mais elle n’a pas vraiment appris à les driver.
Vous n’avez, de fait, probablement pas non plus développé une relation privilégiée avec les animaux ?
C’est aussi une composante très importante des tournages : il y a très peu de gens qui interagissent avec les animaux parce qu’ils sont respectés, ce sont les stars. On ne va pas tous leur faire "guili guili", on ne le ferait pas avec un acteur ou une actrice donc c’est pareil et on doit être dans le calme, on ne doit pas les distraire. On essaie, nous, d’être très distants et de laisser faire les spécialistes pour que les animaux soient au mieux pour donner ce qu’on attend d’eux. Si tout le monde commence à jouer avec eux, ce n’est pas possible. Ils ne peuvent pas créer de relation avec tout le monde, ce ne sont pas des jouets.
On est tous dans des cages.
Concrètement, comment se passe un tournage avec des animaux sauvages, quelles mesures particulières devez-vous prendre pour éviter les accidents ?
On est dans une sécurité absolue, le tournage est très protégé. On est au milieu du Canada, c’est un pays très civilisé où il y a beaucoup de gens qui se baladent dans la forêt, qui vont faire des pique-niques, il n’est pas question qu’ils se retrouvent nez à nez avec un lion qui va les attaquer. [L'équipe] est aussi protégée des animaux, on est tous dans des cages et les animaux en liberté avec Molly.
Que pensez-vous de la tendance de Disney à mettre en scène des animaux en CGI comme pour le Roi Lion ou L'Appel de la forêt ?
C’est une autre méthode, je ne critique pas du tout. Je trouve que les films de Disney sont incroyables et que c’est très bien. Eux, ils ont besoin de tout contrôler, ce sont des films qui coûtent des fortunes, ce sont des énormes films qui font le tour du monde, ce sont des films de producteurs, pas de réalisateurs. Tout est écrit, tout est prévu, il faut que le résultat à l’image soit exactement ce qui est écrit.
Moi je suis exactement dans le contraire : je suis dans l’improvisation, c’est écrit mais les animaux sont dans un écrin et dedans, ils peuvent s’exprimer. J’ai souvent des bonnes surprises et si je n’ai pas ce qui était prévu, je fais autre chose. Ça c’est compliqué pour les Américains. Évidemment, eux, ils ont les moyens de mettre toute leur puissance pour créer exactement ce qu’ils ont voulu.
Moi, ça ne m’amuse pas en tant que réalisateur. Ce qui m’amuse, c’est d’être dans une matière vivante, qui évolue. C’est le matin quand je viens sur le plateau de ne pas savoir ce qu’il va se passer, ne pas savoir ce que je vais avoir. Donc ce sont des méthodologies différentes.
Ce qui a été créé entre le loup et le lion en vrai, leur vraie relation, aujourd’hui on ne peut pas la créer en CGI. Ce que vous voyez à l’écran dans Le loup et le lion, on ne peut pas le faire, il n’y a pas encore de technologie assez puissante pour avoir cette émotion là. Peut-être dans quelques années.
Aujourd’hui, les films de Disney sont très stylisés, quand on voit Le Roi Lion, on voit bien que ce ne sont pas des vrais animaux, il y a un côté encore mécanique qu’on n’a pas avec la vraie vie. Ce qu’on donne aux spectateurs, c’est quelque chose d’unique qu’on ne peut pas reproduire.
Quel est le message que vous voulez faire passer à travers ce film ?
Il y a plein de messages assez clairs sur la défense de la faune, sur le fait qu’on ne doit pas prélever des animaux, les arracher à leur milieu et à leur famille, qu’on ne doit pas les exploiter, les traiter comme des meubles ou des objets, qu’ils ont une sensibilité, qu’ils ont des qualités qu’on n'a pas nous.
Évidemment qu’on est surpuissants donc on peut les écraser facilement, ce n’est pas difficile de faire disparaître la nature. Mais la protéger, ça c’est difficile et c’est primordial pour notre survie. On ne peut pas vivre sur une planète où il n’y a pas la nature, où il n’y a pas les arbres, où il n’y a pas les animaux, où il n’y a pas cet écosystème. Donc c’est important aujourd’hui et on en prend conscience de plus en plus. Et arrêter l’exploitation des animaux pour notre distraction parce que ça n’a pas de sens non plus de faire souffrir un être pour le plaisir.
Après les lions et les loups, y a-t-il d’autres animaux sauvages que vous aimeriez filmer ?
Je ne raisonne pas tellement en animaux sauvages, je raisonne plutôt en causes. Après, souvent autour de causes, il y a des animaux qui sont dans cette cause. Donc la prochaine cause qu’on va attaquer à travers une comédie c’est la déforestation de la forêt amazonienne, le massacre de la faune là-bas, le trafic des animaux qui est très intense et qui est le quatrième trafic au monde. Donc là, l’animal un peu symbolique, totem de cette forêt amazonienne c’est le jaguar et donc ça va être un film autour de sauver un jaguar.
Il y aura donc toujours une interaction avec un humain ?
Il y aura une interaction avec une petite fille et sa prof. Il y a un couple un peu improbable qui se retrouve plongé dans la jungle alors qu’il n’était pas calibré pour ça et ça devient source de comédie mais à la fois on passe le message sans didactisme, sans moralisation, pour passer un bon moment aussi dans une salle.
Propos recueillis par Marine de Guilhermier à Paris le 30 septembre 2021