Âgés de 33 ans, Damiano et Fabio D'Innocenzo ont conquis l'Italie en quelques années. Ces frères jumeaux originaires de Tor Bella Monaca, en périphérie de Rome, débutent en 2017 en collaboration avec le célèbre Matteo Garrone (Gomorra). Quand ce dernier les rencontre dans une pizzeria, il est rapidement séduit par leur énergie et leur soif de cinéma. Il leur propose alors de travailler avec lui sur le scénario de Dogman.
"Nous avons rencontré Garrone dans une pizzeria, par hasard. Nous sommes allés le saluer et nous avons finalement passé la soirée à parler cinéma. Le lendemain nous étions chez lui ; c'est là qu'est née la collaboration pour Dogman", confiaient-ils au micro d'AlloCiné en novembre 2018.
"Garrone nous a appris beaucoup de choses ; c'est un scénariste incroyable, toujours dans le concret, jamais dans l'abstrait ou la confusion. De plus, il est producteur de ses films, de cette manière, il écrit des séquences qu'il est toujours certain de pouvoir tourner, jamais rien de trop coûteux ou trop compliqué", ajoutaient-ils.
En 2018, Fabio et Damiano mettent en scène leur premier long-métrage, Frères de sang, une histoire poignante d'amitié sur fond de criminalité. Le récit nous entraîne dans la banlieue de Rome. Manolo et Mirko sont inséparables. Ils vont au lycée et font des petits boulots. Un soir Mirko, au volant, renverse un piéton et Manolo lui fait prendre la fuite. L’occasion de leur vie ! L’homme était recherché par un clan mafieux qui les embauche. Leur carrière criminelle commence.
Présenté dans la section Panorama de la Berlinale 2018, Frères de sang obtient plusieurs récompenses, dont les Rubans d’argent du meilleur premier film et du meilleur scénario. Il reçoit aussi quatre nominations aux David di Donatello (Les César italiens), notamment dans les catégories Meilleur premier film et Meilleur scénario original. Le succès du long-métrage leur assure une renommée internationale et leur ouvre les portes des prestigieux ateliers du Sundance Institute. Ces derniers sont réservés aux révélations les plus prometteuses du cinéma mondial, sous la direction de Paul Thomas Anderson.
Après une enfance difficile et défavorisée, les jumeaux auraient pu embrasser le même destin que les héros de leur film ; mais c'était sans compter sur leur plume et le 7ème art. "Ce qui nous a sauvés, avant le cinéma, c’est l’écriture", clament-ils. "Enfants, comme on n’avait pas d’argent, on utilisait que des couleurs primaires. Jusqu’au jour où on nous a offert une palette plus large, et d’un seul coup choisir la nuance juste est devenu une expérience exaltante. On est resté très connectés à ça, aux couleurs et aux émotions qu’elles produisent", précisent les jumeaux.
Après cette première expérience réussie, les réalisateurs mettent en chantier leur second long-métrage, Storia di Vacanze. Cette fois, ils s'éloignent du genre mafieux pour se diriger vers le pur drame social, dépeignant une facette peu glorieuse de la société italienne.
Dans ce film, la chaleur de l'été annonce les vacances prochaines pour les familles d'une paisible banlieue pavillonnaire des environs de Rome. Des familles joyeuses, qui parviennent à créer l'illusion de vraies vacances malgré leurs faibles moyens. Des familles normales. Enfin presque. Car leurs enfants vont bientôt pulvériser le fragile vernis des apparences.
"Ici, le malaise, la solitude et l’appréhension se nichent dans les familles. Le foyer – considéré autrefois comme un nid, même s’il pouvait avoir quelque chose d’étriqué – est aujourd’hui le lieu de l’intolérance, de la froideur et de l’anxiété. Il n’y a qu’à regarder les statistiques des meurtres domestiques pour se rendre compte que c’est souvent le cas. Nous voulions enquêter sur les problèmes de communication qui règnent au sein de ces familles, empêtrées dans des routines stériles, où seule la tragédie peut éventuellement faire bouger les choses", analysent les frères D'Innocenzo.
Avec Storia di Vacanze, ils suivent les traces de leur mentor, Matteo Garrone, qui a toujours revendiqué le côté "conte" de ses films, de Gomorra à Tale of Tales en passant par Dogman et Pinocchio.
"Cette histoire pourrait être tout droit sortie de l’oeuvre des frères Grimm. Un monde de sensations, de couleurs vives et d’odeurs, même si en arrière-plan, tout brûle. Et comme dans tout conte de fées qui se respecte, un narrateur énonce les faits", expliquent les cinéastes.
"Un narrateur moqueur qui aime brouiller les cartes, déceler de l’ambiguïté dans le geste le plus anodin et banaliser l’inhumain. Après tout, chaque film est un rêve. Storia di Vacanze parle d’un rêve brisé. Celui d’une génération de jeunes gens qui imaginaient l’avenir avec un sentiment d’espoir qui s’est avéré vain, et dont les enfants ne veulent même pas envisager le leur", expliquent-ils.
Sélectionné en compétition au Festival de Berlin en 2020, le film remporte l’Ours d’argent du Meilleur scénario. Pour les cinéastes, Pier Paolo Pasolini, Lynne Ramsay, Robert Altman, Brillante Mendoza ou Rainer Werner Fassbinder sont de grandes références. Ils viennent ainsi redonner un coup de jeune à un cinéma italien qui a tendance à se reposer sur ses lauriers. Les deux frères font partie d'une génération de réalisateurs prometteurs tels Gabriele Mainetti (Jeeg Robot), Pietro Castellitto (I Predatori) ou Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro).
"Je trouve qu’il y a une grande force visuelle et expressive dans le jeune cinéma italien. Pietro Castellitto est très bon, Jonas Carpignano (Mediterranea, A Ciambra) aussi. Alice Rohrwacher est extraordinaire. Et il y a vraiment beaucoup d’autres jeunes", s'enthousiasme Damiano D'Innocenzo.
Les jumeaux ont déjà tourné leur 3ème long-métrage : America Latina, qui gratte également sous le vernis de la petite bourgeoisie italienne. Ils sont actuellement en phase de post-production du 4ème, Travel Well, Kamikaze. Il s'agit de leur premier film en langue anglaise. L'histoire se déroule à Los Angeles et suit un jeune homme ayant l'intention de commettre un attentat terroriste dans la ville.