Repoussée par deux fois et finalement sorti en septembre 2021, la première réalisation de Laurent Lafitte pour le cinéma se sera faite attendre. Mais la patience du public fut enfin récompensée avec L'Origine du monde, comédie adaptée de la pièce homonyme de Sébastien Thiery qui détonne dans le paysage français actuel avec son humour trash et sans limites. Le film déboule d'ailleurs sur Canal+.
Un projet et un humour sur lesquels l'acteur et néo-réalisateur était revenu avec nous, en plus de parler de des grandes premières de sa carrière, entre théâtre, cinéma et César.
AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette pièce et donné envie d'en faire votre première réalisation pour le cinéma ?
Laurent Lafitte : Je n'ai pas pensé à ça tout de suite. J'ai juste énormément ri quand j'ai vu la pièce. Comme je n'avais pas ri depuis très très très longtemps. J'étais vraiment plié en deux de rire. Physiquement. J'avais mal au ventre. Et puis après, ça m'est resté. J'ai réfléchi de plus en plus à la pièce. Elle m'a intéressé sur plein de sujets différents, comme s'il y avait plusieurs niveaux de lecture, un peu comme chez Pixar (rires) Je me suis dit que ça allait super loin comme sujet.
Du coup j'ai commencé à imaginer ce que ce que je pouvais rajouter, ce que je pouvais enlever, les choses géniales qu'avait trouvées Sébastien Thiery, l'auteur de la pièce, auxquelles il ne fallait surtout pas toucher, qui étaient vraiment l'ADN de l'histoire. Et c'est devenu comme une évidence que ça allait être mon premier film.
Vous dites que "L'Origine du monde" va loin, et ça se ressent notamment dans l'humour, qui est marquant car il sort du cadre auquel on est habitués avec les comédies récentes.
Oui, surtout avec les comédies françaises. Les autres, et notamment les américaines, ont été plus audacieuses que les françaises ces dernières années. Elles ont un peu poussé les curseurs. Les Anglais aussi d'ailleurs : Sacha Baron Cohen est allé très loin par exemple. Et moi je n'avais pas ressenti une forme de liberté de ton comme ça depuis certains films français qui étaient plus du côté de Blier.
Et moi c'est ce qui me plaît. J'aime bien être un peu bousculé en tant que spectateur, qu'un film me provoque des choses et me fasse réfléchir. Puisque de toute façon, ça n'est un film. Donc autant y aller et ne pas avoir peur d'être bousculé.
J'aime bien être un peu bousculé en tant que spectateur, qu'un film me provoque des choses et me fasse réfléchir.
Et c'est la preuve que, contrairement à ce que l'on entend parfois, on peut rire de tout aujourd'hui.
Je pense qu'on peut rire de tout. Mais il faut que l'intention des artistes soit soit pure. Si l'intention ou la démarche sont vulgaires, ou si c'est juste de la provocation, je pense que ça atteint moins les gens.
Y a-t-il des moments où vous vous êtes dit que vous alliez trop loin ?
À plein de moments, oui. Mais après c'est très subjectif. Trop loin pour moi, ça va déjà être beaucoup trop loin pour d'autres gens ou pas assez loin pour d'autres. Donc c'est très très subjectif. Mais c'est une comédie qui est très sur le fil, donc je faisais très attention à ne pas basculer d'un côté qui ne me ressemblerait plus, ou qui ne ressemblerait plus au film que j'avais envie de faire.
Ça veut dire qu'il y a eu un équilibre à trouver au tournage puis au montage ?
Tout le temps. À l'écriture, au tournage, au montage. Beaucoup au montage même.
Est-ce qu'une scène en particulier a été difficile à obtenir ?
Disons qu'il y a une scène de nudité dans le film que je voulais doser : je voulais à la fois l'assumer et en même temps la doser pour que ce soit regardable, et que ça ne devienne pas gênant. Que ce soit juste un peu plus loin que d'habitude. Donc un peu plus drôle je pense. Mais ce n'est pas de la nudité juste pour être nus.
Ce qui est marrant, c'est la situation qu'a inventée Sébastien Thiery dans la pièce, à savoir le stratagème qu'ils mettent en place pour piéger le personnage d'Hélène Vincent. Et il se trouve que dans ce stratagème là, il y a de la nudité. Mais c'est pas drôle en soi. Ce qui est drôle, c'est pourquoi elle intervient.
Il y a aussi la progression de la scène, et ce moment où l'on pense que ça n'ira pas aussi loin.
Oui c'est gradué comme ça dans la pièce et j'ai voulu recréer une version cinéma de cette progression qu'il y avait dans la mise en scène de la pièce.
La faculté de travail m'impressionne beaucoup chez Paul Verhoeven, Albert Dupontel et Guillaume Canet.
Des réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé vous ont-ils, d'une manière ou d'une autre, inspiré pour votre film ?
Il y en a plusieurs. C'est vrai que Paul Verhoeven [qui l'a dirigé dans Elle, ndlr] est très libre. Il n'a pas peur. Il s'en fout un peu de ce qu'on va penser. Il est sûr de son intention, il sait qu'elle est juste. Ce n'est pas pervers, ce n'est pas de la manipulation, du voyeurisme. Par rapport à la confiance en soi, je le trouve assez impressionnant.
Albert Dupontel aussi. Il m'a impressionné par la manière dont il est préparé. Il est très très préparé quand il arrive sur son tournage, son découpage, il fait beaucoup répéter ses acteurs avant. Il est totalement investi avec beaucoup beaucoup de notes, beaucoup de carnets. Ça m'a impressionné. Guillaume Canet prépare aussi beaucoup ses films. La faculté de travail m'impressionne beaucoup chez ces réalisateurs.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 14 octobre 2020